Une étude internationale pilotée par le CHRU de Tours vient d'être publiée dans le Lancet Respiratory Medicine, un journal scientifique de référence. Elle porte sur l’efficacité du placement sur le ventre des patients atteints de Covid et non intubés, pris en charge en réanimation.
Cet essai international a permis de collecter et d’analyser les méta-données de 41 services de centres hospitaliers en France et à l’étranger (Canada, USA, Irlande, Espagne et Mexique) A la tête de cette recherche au CHRU de Tours : le professeur Stephan Ehrmann, le docteur Yonatan Perez, chef de clinique assistant de médecine intensive réanimation et Elsa Tavernier, biostatisticienne, sans oublier toutes les équipes associées à cette étude.
Une étude internationale rapide et innovante
L'essai a été entamé dès le début de la pandémie, en mars 2020. Mais il fallait établir la preuve scientifique que ce "décubitus ventral vigile", le placement sur le ventre de patients conscients, représentait un bénéfice pour eux, pour éviter l’intubation.
Stephan Ehrmann, professeur de médecine intensive réanimation au CHRU de Tours est le coordinateur de cette étude et le premier auteur de cette publication : "Tout le monde a vu les patients intubés, quand ils sont à un stade extrêmement grave de la maladie, là je dirai que c’est standard de mettre les gens sur le ventre. Par contre, ça n’avait jamais été étudié de façon scientifiquement rigoureuse avant l’intubation."
Nous ce qu’on a montré, c’est qu’en mettant des patients, néanmoins graves, qui ont besoin de beaucoup d’oxygène, sur le ventre, ça prévient l’intubation, et donc ça les met à l’abri de l’ensemble des complications de l’intubation qui est quelque chose d’extrêmement invasif. C’est un tuyau dans la gorge, vous êtes endormi, mis en coma artificiel, vous allez rester très longtemps en réanimation. Le fait d’être sur le ventre chez des gens non intubés, ça prévient cette évolution défavorable puisqu’on a eu seulement 33% des patients intubés chez ceux qu’on avait mis sur le ventre contre 40% chez ceux qui restaient sur le dos, au bout de 28 jours.
L’idée est venue assez tôt dans la pandémie, explique le scientifique, puisqu’il y avait eu quelques cas cliniques, en Chine, de gens qui avaient fait du décubitus ventral avec des effets assez bénéfiques en particulier sur le fonctionnement pulmonaire.
Plusieurs groupes de recherche en collaboration à travers le monde
En mars 2020 le docteur Yonatan Perez obtient un financement du Programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) inter-régional, pour son étude "High Prone Covid-19", dès le début de la pandémie. L’innovation a été aussi d’arriver à fédérer les efforts de plusieurs groupes de recherche, au niveau mondial, pour mettre en commun, de façon prospective, les données et aboutir à une publication commune.
Le Pr Stephan Ehrmann nous explique comment : "Durant la première vague, sur ce décubitus ventral vigile, il y a eu beaucoup d’initiatives éparpillées dans le monde pour évaluer différentes modalités thérapeutiques dans le Covid. Plutôt que de dire 'nous on va faire plus vite que les autres et chacun dans son coin', on a contacté l’ensemble des gens qui avaient déclaré des études similaires à la nôtre et on leur a proposé de faire un travail ensemble et de mettre en commun nos données d’emblée et prospectivement."
Le Professeur Ehrmann souligne, amusé, l’explosion des visioconférences entre les 6 pays. Une visioconférence avait lieu tous les mois, pour harmoniser les données randomisées (un tirage au sort détermine les patients qui seront placés sur le ventre) et analyser en commun ces données tous les 200 patients (3 analyses intermédiaires ont eu lieu jusqu’en janvier 2021) pour pouvoir, dès qu’on avait la réponse, faire bénéficier tous les patients (ceux qui étaient restés sur le dos) du décubitus ventral après la publication des résultats.
Au total l’étude porte sur 1121 patients sur 6 pays, dont 401 en France, 54 personnes au CHU de Tours. "On s’était mis d’accord pour publier tous ensemble les résultats, donc c’est quelque chose d’innovant pendant la pandémie, c’est assez adapté et on est très heureux d’avoir réussi à mener cette étude." Il aura fallu moins de 16 mois pour aboutir à la publication de cet essai international sur l’intérêt du décubitus ventral chez les patients non intubés, pris en charge en réanimation.
"On passe de 40% d’intubations à 33% d’intubations"
"Dans la publication des données on a un résultat positif qui montre un évitement ou une réduction du recours à l’intubation quand on applique ce décubitus ventral vigile", poursuit le professeur. "Une mise sur le ventre plutôt bien tolérée et surveillée de près par les équipes de réanimation car plus le patient reste longtemps, plus le bénéfice est important : on passe de 40% d’intubations à 33% d’intubations"
"Ca a une implication clinique immédiate pour les vagues épidémiques en cours, c’est-à-dire que là, maintenant, les malades qui satisfont à ces critères d’oxygénation importante qu’il y avait dans l’étude, il faut les mettre sur le ventre" précise encore Stephan Ehrmann. "Là on a vraiment tout mis en commun, pour avoir une réponse plus rapide à la question scientifique, pour que l’ensemble des patients dans le monde puise en bénéficier le plus rapidement possible", ce qui n’aurait pas été le cas si chacun avait fait son étude dans son coin.
"Nous ce qu’on a apporté, c’est vraiment un bénéfice fort pour le malade, c’est-à-dire, de réduire ou d’éviter le recours à l’intubation et de bien démontrer ça alors qu’avant il y avait juste quelques cas cliniques. On a apporté la preuve par une étude randomisée avec un niveau de preuve scientifique élevé. Cette étude appelée 'méta trial' ou essai avec agrégation de métadonnées, était connu d’un point de vue théorique mais n’avait jamais été mis en œuvre, grandeur nature."
A Tours, Elsa Tavernier, du département de bio statistique et du Centre d’Investigation Clinique avait une expertise et un savoir-faire théorique sur ce concept de "méta-trial", et cette étude est la preuve de sa faisabilité et c’est quelque chose qui pourra probablement être réutilisée pour d’autres questions scientifiques. Pour cette étude, l’ensemble des patients souffrait de la Covid mais la question de l’intérêt du décubitus ventral peut se poser pour d’autres pneumonies virales, comme la grippe, ou bactériennes. De nouvelles études en perspective.