Tri obligatoire des biodéchets dès le 1er janvier 2024 : quelle mise en œuvre ? Pour quel impact réel ?

Au 1er janvier 2024, les collectivités seront dans l'obligation de proposer une solution de tri à leurs administrés pour les biodéchets alimentaires. L'intention est louable, mais les associations s'interrogent sur la mise en œuvre de cette loi et son impact réel.

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Aujourd'hui en France, chaque habitant produit entre 70 et 100 kilos de biodéchets alimentaires (restes de réfrigérateur, de cuisine ou de table) chaque année. Pour la métropole de Tours, ce sont ainsi 15 à 20 000 tonnes de biodéchets qu'il faudrait valoriser en compost dès 2024, au lieu de les incinérer ou de les enfouir en décharge. Sachant qu'un composteur partagé, collectif, ne peut traiter qu'une tonne par an, on imagine l'ampleur de la tâche...

Vice-président de la métropole en charge des déchets et de la transition écologique et énergétique, Martin Cohen, pourtant, se montre plutôt optimiste :

"La métropole de Tours est presque prête, tout est lancé. Certains processus demandent un peu plus de temps et tout ne sera pas déployé dès le 1er janvier. Mais il y aura bien une solution pour tout type d'habitat, pavillon, maison individuelle, habitat collectif dense ou très dense." 

Le principe d'une gestion séparée des biodéchets a été entériné dès 2015 dans la loi de transition écologique pour la croissance verte. Puis la date d'entrée en vigueur, 1er janvier 2024, a été fixée en 2020 dans la loi de lutte contre le gaspillage. Autant dire que les élus ont eu du temps pour s'y préparer.

Mais l'administrateur de l'association Zéro Déchet Touraine (ZDT) se montre, quant à lui, très réservé sur la mise en application de cette loi :

Les objectifs sont ambitieux, mais c'est dans la réalité des actions que l'on mesure l'impact d'une loi. Cela fait 6 ans que l'on prévient les collectivités d'Indre-et-Loire, que nous formons, accompagnons, expérimentons, et l'on est encore très loin du compte. Non, au 1er janvier 2024, il n'y aura pas une solution pour chaque Française et chaque Français habitant le territoire afin qu'il trie ses biodéchets à la source pour les valoriser ! Ce ne sera pas faute d'avoir essayé et prévenu...

Sébastien Moreau, administrateur Zéro Déchet Touraine

L'association estime que les élus n'ont pas mis en place les moyens humains et financiers nécessaires pour atteindre les ambitions portées par la loi.

Pour tenter d'y voir plus clair, détaillons la stratégie mise en place par Tours Métropole Val de Loire pour chacun des types d'habitats : compostage individuel pour l'habitat pavillonnaire, lombricompostage ou compostage partagé en habitat collectif. Enfin le déploiement de points d'apport volontaire dans les zones d'habitat collectif très dense, où le compostage partagé n'est pas envisageable.

Composteurs individuels pour les maisons avec jardin

"Cela fait déjà 20 ans que l'on distribue des composteurs individuels gratuitement, explique Martin Cohen. Environ 25 000 habitants en ont reçu un, et d'autres l'ont fabriqué eux-mêmes ou font du compostage de manière informelle parce qu'ils disposent d'un grand jardin. Le potentiel restant est estimé à 35 ou 40 000 habitants. C'est là qu'on va devoir renforcer la distribution et faire de la sensibilisation pour informer les gens. Il faut leur donner envie de composter."

Sur le déploiement des composteurs domestiques, Tours Métropole semble donc plutôt dans les clous. Sébastien Moreau, de ZDT, met toutefois un (gros) bémol à ce satisfecit :

"Il n'y a aucun suivi, aucun état des lieux sur l'utilisation et l'état de ces composteurs domestiques. Or, si un composteur bien géré est un puits de carbone, mal géré, il peut devenir source d'émission de gaz à effet de serre, et notamment de méthane, 84 fois plus néfaste que le CO2 ! Le drame, c'est qu'on ne va pas chez les particuliers vérifier leurs pratiques. Nous plaidons pour un véritable effort d'éducation du grand public au compostage."

Compostage partagé pour l'habitat collectif

Si le lombricompostage est une solution viable en appartement, tout le monde n'est pas prêt à accueillir des vers de terre chez soi, même dans une boîte hermétiquement fermée. Et "nos petits vers sont un peu comme des animaux de compagnie", sourit Martin Cohen. "Il faut s'en occuper un peu, ne pas partir un mois en vacances en laissant le lombricomposteur au soleil sur le balcon."

La métropole a équipé plus d'un millier de foyers avec un lombricomposteur, mais c'est le composteur partagé qui reste la solution privilégiée en habitat collectif :

"On en a près de 90 actuellement sur la métropole et on va poursuivre le déploiement sur 2024, reprend le vice-président. Il faut trouver un emplacement, soit sur l'espace public, soit sur un espace privé de la copropriété. Là aussi, on va sensibiliser, informer les habitants. Il faut arriver à constituer des petits collectifs de 10 ou 15 personnes pour faire remonter l'info et trouver des emplacements."

Tous les habitants potentiellement concernés par un composteur partagé n'y auront donc pas accès au 1er janvier 2024, loin de là. ZDT, qui dispose d'un marché public avec la métropole pour en installer, y voit beaucoup de mauvaise volonté :

"Nous avons prévenu la métropole que nous pouvions installer au minimum 300 sites de compostage partagé, un pour 1 000 habitants de la métropole, on est aujourd'hui très loin des objectifs. La ville de Tours, qui est pourtant écologiste, ne veut pas qu'on installe des composteurs supplémentaires dans ses espaces verts. Et les syndics ne jouent pas le jeu, dans un certain nombre de copropriétés ils ne font pas l'effort d'appliquer la loi, alors qu'ils disposent de l'espace nécessaire", se désole Sébastien Moreau.

Points d'apport volontaire en habitat collectif très dense

Le déploiement de points d'apport volontaires, dans les zones non couvertes par le lombricompostage et le compostage partagé, est la dernière solution envisagée par la métropole. Elle est aussi la plus en retard sur le calendrier légal :

"Une délégation de service public a été décidée au printemps 2023, mais le temps de la procédure est long et complexe et notre délégataire ne sera connu qu'à la fin du printemps 2024, reconnaît Martin Cohen. Le temps de la mise en place, les premières collectes ne se feront qu'à partir de septembre 2024, le déploiement des points d'apport volontaires se poursuivra jusqu'à fin 2027."

Concrètement, les points d'apport volontaire biodéchets seront installés à proximité de ceux qui existent déjà pour les ordures ménagères ou la collecte sélective. Collectés deux fois par semaine a minima, les biodéchets seront envoyés à La Grange David, à La Riche, dans un hygiéniseur géré par le délégataire qui les fera monter en température avant de les envoyer en méthanisation.

Zéro Déchet Touraine rappelle le compostage de proximité, individuel ou partagé, doit rester prioritaire sur les points d'apport volontaire :

"Le compostage relève de la prévention des déchets, alors que les points d'apport volontaire constituent du recyclage, précise Sébastien Moreau. C'est moins prioritaire dans la hiérarchie des modes de traitement, qui est, elle aussi, inscrite dans la loi."

Reconnaissant qu'il n'existe pas de solution miracle, l'association défend la complémentarité des modes de valorisation des biodéchets et attribue tout de même, in fine, un bon point à la métropole de Tours :

"Dans le marché qui sera attribué à un délégataire, un volet de sensibilisation du public est prévu. La prévention n'a pas été oubliée, afin d'apprendre aux gens à trier correctement leurs biodéchets et les informer sur ce qu'ils deviennent."

L'enjeu est crucial : alors que le réchauffement climatique ne connaît pas de pause, les biodéchets sont encore le plus souvent mis en décharge ou incinérés avec les ordures ménagères. Ils constituent pourtant une ressource importante de matières organiques utiles, qui permettent d'enrichir les sols, de faciliter la rétention de l’eau. Le tri des biodéchets et le compostage doivent bien devenir l'affaire de tous.

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