Agriculture : le casse-tête des départs en retraite et de la transmission des exploitations

Dans le Loir-et-Cher, le nombre d'exploitations agricoles a été divisé par 5 en 50 ans, et le processus n'est pas prêt de s'arrêter. Pour les exploitants à l'aube de la retraite, la question de la transmission est devenue épineuse.

Avec une centaine d'hectares et une soixantaine de vaches, la ferme des Bouleaux, au nord du Loir-et-Cher, est une exploitation à taille humaine : les bovins ont fière allure et paraissent bien soignés. Ici, on sent bien que des générations d'éleveurs se sont suivies.

"Qui veut passer 365 jours par an au cul des vaches aujourd'hui ?"

Achetée en 1959, cette ferme va pourtant devoir changer de main. À cinquante ans Samuel Samson, se retrouvera seul pour s'en occuper en septembre 2024. Son frère, de dix ans son aîné, partira à la retraite. Ils ont cherché un associé, en vain. Une seule personne est venue visiter. Les neveux et  enfants ne veulent pas reprendre la ferme familiale.

La mort dans l'âme, Samuel explique : " Qui veut passer 365 jours par an au cul des vaches aujourd'hui ? Les jeunes regardent en premier les revenus par rapport au temps passé. Ils ont vu leurs parents s'inquiéter quand le lait ne se vendait que 200 euros les 1000 litres. Récemment, les coopératives laitières ont annoncé un prix de 471 euros les 1000 litres, mais elles ont encore un wagon de retard, pour être bien, il faudrait être à 500 euros."


Cinq fois moins de fermes qu'il y a cinquante ans

Comment dans ces conditions, donner envie à des jeunes de rester ? C'est tout l'enjeu de la Chambre d'agriculture.

Comme la ferme des Bouleaux, au nord du Loir-et-Cher, d’ici 10 ans, la moitié des exploitations du département devront trouver un repreneur. On dénombrait 14 000 fermes il y a cinquante ans, il n'en reste que 2800 : l'équivalent de 18 fermes par mois ont donc disparu. Pour enrayer le processus, la Chambre d’agriculture prend des mesures et anticipe en organisant des visites entre cédants et repreneurs.

Pour dix départs à la retraite, on compte à peine quatre installations. Entre 2010 et 2020, la France a perdu 21 % de ses fermes, soit 100 000 exploitations agricoles (18 % dans le Loir-et-Cher). "Le secteur le plus touché demeure l'élevage laitier," explique Gaelle De Magalhaes, conseillère en transmission installation à la chambre d’agriculture du Loir-et-Cher. " Les personnes qui atteignent l’âge de la retraite ne sont pas renouvelées par d'autres agriculteurs. En 2022, 48 installations ont été aidées, c'est bien, mais nous devons faire mieux. Les années qui vont venir s'annoncent sombres. Ces deux jours de visites entre cédants et repreneurs sont primordiales".

Car aujourd'hui, des candidats venus spécialement pour visiter l'installation ont adoré la ferme des Bouleaux. Pourtant, la Chambre d'agriculture en attendait plus. Sur trois couples inscrits, seuls deux ont fait le déplacement. Le premier, des trentenaires, ont prévu de s'installer fin 2023 début 2024.

Arnaud Manceau souhaite continuer à exploiter ses 110 hectares près de Brou, en Eure-et-Loir, et venir habiter avec sa compagne Marie, qui s'occuperait des vaches. Mais il s'inquiète : "On manque de services de remplacement. Il faut une personne en qui on a confiance pour les vaches. Marie finira bientôt ses études agricoles. C'est pour elle, les bêtes. Dans l'Eure-et-Loir, les fermes en polyculture élevage sont rares alors on visite ailleurs. Nous ne sommes pas pressés, et les banques nous suivent facilement."

Des fermes trop grosses, trop chères

Le frein pour beaucoup de repreneurs est le fait que les cédants ont souvent du mal à partir. Ils ont capitalisé toute leur carrière pour payer moins d’impôts et de MSA. Les fermes ont grossi et deviennent trop chères. "En Eure-et-Loir, certaines exploitations trop grandes se perdent quand la famille ne reprend pas" constate Arnaud "Personne ne souhaite s'endetter de 800 000 euros en début de carrière."

L'autre couple a fait 600 kilomètres pour l'occasion. Venus de Franche-Comté spécialement pour ces deux jours, David et Delphine Delaunay tablent sur le Centre-Val de Loire pour oublier une mauvaise expérience.

Ils avaient repris une exploitation bio, et monté un meilleur cheptel que leurs prédécesseurs. David raconte : "Les propriétaires étaient resté sur place, ce fut l'enfer. On nous a tué les bêtes, mis le feu aux bâtiments. Les gendarmes nous ont dit de partir. Dans une région en AOP, la concurrence est terrible. Alors on vend. Nous avons 130 000 euros d'apport."

Ils doivent trouver une exploitation qui les fasse vivre tous les trois : "à 53 ans, je pense à Antoine, mon fils de 19 ans. L'exploitation qui nous plaît le plus se situe à Lignières. Quand vous arrivez, et que vous vous sentez tout de suite bien, c'est important. Bien sûr, le prix par rapport à la rentabilité est également à prendre en compte. Pour travailler à trois, la seule solution, c'est que ma femme se mette en maraîchage. C'est faisable, il y a une exploitation en bio à 25 km qui pourrait correspondre" Leur projet serait d'adopter la forme d'un GAEC, un groupement agricole d'exploitation en commun. Ils pourraient ainsi dégager trois salaires de 1500 euros.

David et Delphine  ont constaté que le plus compliqué était  de racheter des structures. "On a vu d'autres fermes, avec deux véhicules de 350 000 euros chacun, c'est injouable. Les trois banques, qui étaient sur place, lors de ces journées, ne nous suivraient pas." expliquent-ils.

Financée par le Conseil régional, cette action tourne sur les départements. Pourtant, cette première édition dans le Loir-et-Cher a bien montré son utilité et devrait être reconduite. À la fin de la visite, les deux couples ont gardé leurs coordonnées respectives. Ils comptent bien se donner des nouvelles lorsqu'ils auront trouvé chaussures à leurs pieds. Samuel, quant à lui, reste au pied du mur. Il espère encore trouver un associé d'ici septembre prochain.

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