Seconde guitare de Brassens, Joël Favreau est lui-même un très talentueux auteur-compositeur et interprète. L'oncle Georges a cassé sa pipe il y a belle lurette, mais Joël n'a pas l'intention de raccrocher sa guitare. Au Rail Road studio, il partage son expérience avec des artistes en devenir
En octobre prochain, on célèbrera le centenaire de la naissance (à Sète) de Georges Brassens. Le genre de commémoration qui fait sourire Joël Favreau, qui parle de "fétichisme arithmétique décimal". Lui a toujours perpétué le souvenir du bon maître de la chanson française, à travers ses albums ou ses tournées, un peu partout dans le monde.
S'il était influencé dès l'adolescence par ses chansons, Joël n'a rencontré Georges que plus tard. Il était devenu l'accompagnateur, à la guitare, de la chanteuse Colette Chevrot :
"Il avait pris Colette en première partie de sa tournée, à l'automne 66. Dès que j'avais fini avec elle, j'allais dans la loge de Brassens où il gratouillait sa guitare en chantant. Je me suis enhardi, j'ai apporté ma guitare et commencé à faire de petites réponses à ce qu'il chantait. Il me donnait quelques indications, je n'en revenais pas..."
"Comment vas-tu, galopin?"
Il faut croire, en tout cas que Joël a tapé dans l'oeil et dans l'oreille de Georges :
"Quelques années plus tard, il m'appelle au téléphone : allo, c'est Georges, je vais enregistrer mes prochaines chansons, est-ce que tu veux bien venir jouer avec moi? Vous vous rendez compte?...", ajoute Joël, comme s'il n'y croyait toujours pas.
Joël était alors âgé d'à peine plus de trente ans, autant dire un gamin pour son nouvel employeur :
Quand j'arrivais chez lui, il me disait : comment vas-tu galopin? Et il était tellement généreux. Il savait que je ramais avec mes propres chansons, alors il m'emmenait à la télé pour chanter en me disant : il faut qu'ils s'habituent à ta gueule! c'est pas un beau cadeau, ça?...
Brassens à Sète et... autour du monde
Le dernier album de Joël Favreau, "Neuf", salué par la critique, est sorti en 2019. Mais aujourd'hui encore, il est davantage connu comme l'accompagnateur de Brassens que comme auteur-compositeur-interprète. Il semble toutefois n'en concevoir aucune amertume :
"Si l'ange de la gloire voulait bien me frôler de son aile, j'accueillerais ce geste avec beaucoup de bienveillance, dit-il en riant. Mais déjà être connu comme musicalement proche de Brassens, cela n'a rien de honteux. Je ne suis pas dans son ombre, au contraire, il me fait bénéficier un peu de sa lumière. Sur le tard, après sa mort, je me suis mis à chanter ses chansons, avant je ne faisais que l'accompagner et chanter les miennes de façon assez confidentielle."
40 ans après la mort de son ami, Joël continue à se produire sur scène, soit avec son propre répertoire, soit avec les chansons de Brassens. Il a même enregistré un "Brassens autour du monde", en allant au Liban, au Bénin, en Afghanistan ou en Nouvelle-Calédonie.
"Brassens nous a fait un cadeau incroyable, transmettre des livrets sous une forme extrêmement simple, dépouillée. Ils sont d'une telle richesse que chacun, à sa façon, peut y apporter sa couleur."
En 2011, Joël a posé ses accords de guitare sur l'album "Supplique pour être enterré à la plage de Sète" :
"Georges m'avait confié qu'il voulait le refaire, car c'était le seul à être enregistré avec une seule guitare. Quand l'album est sorti, en 2011, j'ai été invité à Sète où l'on m'a installé sur une barge, au milieu du canal où se produisent les joutes nautiques. Il faisait nuit noire et j'étais pas rassuré, il y avait intérêt à ce que cela plaise, il y avait des milliers de spectateurs...On a projeté sur des écrans géants Georges interprétant La supplique, avec Pierre Nicolas à la contrebasse. Et j'ai fait la deuxième guitare, un grand moment, très émouvant, même pour moi."
Rail Road, un studio dans une gare désaffectée du Loir-et-Cher
La transmission est aussi l'une des missions que se donne Joël :
"On ne peut pas progresser, recevoir si l'on redonne pas en même temps, c'est une loi universelle".
Depuis une dizaine d'années, il propose des stages à Boursay, un petit village tout au nord du Loir-et-Cher. Son fils Lucien y a aménagé le "Rail Road Studio", dans une gare désaffectée. Un lieu de résidence artistique, où Joël a enregistré une grande partie de son dernier album, sous la direction de son fils.
Les stages programmés cet été auront lieu les 6,7 et 8 août (1ère rencontre, niveau 1), les 9, 10 et 11 août (perfectionnement, niveau 2) ainsi que les 10, 11 et 12 septembre (perfectionnement).
"J'essaie de transmettre un peu de mon expérience dans ces stages que j'anime. Beaucoup des stagiaires sont des amoureux de Brassens, forcément, mais pas seulement. C'est une base de départ pour s'intéresser à d'autres chansons, y compris celles des stagiaires eux-mêmes. Je les aide à développer leurs accompagnements et à affronter la scène. Il y a une soirée ouverte où ils chantent leurs chansons devant un public d'amis, de voisins, de familles...", explique Joël.
Pour pouvoir participer à ces stages, il suffit de savoir chanter quelques chansons en s'accompagnant, sans le support du texte ou de la partition. Les inscriptions peuvent se faire sur le site de Joël Favreau (la petite structure "Le sourire du chat" est reconnue comme centre de formation professionnelle, et le coût du stage peut être pris en charge par une entreprise).
Joël, en tout cas, a hâte de retrouver d'autres amateurs de guitare et de chant. Comme nombre d'artistes, la période est éprouvante pour lui, privé de scène et de son public. A plus de 80 ans, il ne montre aucune lassitude, aucune envie de raccrocher la guitare. On se quitte sur une dernière pensée pour Brassens :
Je crois que Brassens continue à nourrir les gens qui se posent des questions sur l'existence, qui se posent les questions essentielles. Des questions qu'on a tendance à balayer sous le tapis quand on entre dans la vie active, et que l'on retrouve plus tard.