"On ne juge pas que les faits, mais aussi les personnes" : on a passé une journée avec un procureur de la République

Jean-Cédric Gaux est procureur de la République de Montargis. Son rôle, c'est d'être "le lien entre la justice et les citoyens". Entre son bureau et les salles d'audiences, France 3 Centre-Val de Loire l'a suivi une journée.

Société
De la vie quotidienne aux grands enjeux, découvrez les sujets qui font la société locale, comme la justice, l’éducation, la santé et la famille.
France Télévisions utilise votre adresse e-mail afin de vous envoyer la newsletter "Société". Vous pouvez vous désinscrire à tout moment via le lien en bas de cette newsletter. Notre politique de confidentialité

"Ça sent le contrôle judiciaire", lorsque l'on est procureur de la République, on apprend sans doute à interpréter les signes. Ici, celui des juges qui viennent de passer une trentaine de minutes à délibérer sur le sort de deux jeunes hommes avant leur jugement.

Présentés en comparution immédiate, les vingtenaires ont demandé un délai pour préparer leur défense. Ils ne sont donc pas jugés dans la foulée, mais les trois juges doivent prendre une décision : les placer sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire.

Réquisitions 

Jean-Cédric Gaux, procureur de la République de Montargis misait sur la seconde option. Ses réquisitions seront à moitié suivies : l'un est placé en détention provisoire, étant donné son statut de récidiviste. L'autre est quant à lui sous contrôle judiciaire en attendant l'audience, deux semaines plus tard. Tous les deux sont mis en cause pour refus d'obtempérer, et le premier pour rébellion.

C'est au nom de la société, et pour le compte du ministère de la justice, que le magistrat se lève, à chaque audience, pour requérir une peine. Les juges prennent ensuite une décision, sans obligation de suivre ces demandes. Elle peut être plus clémente, ou au contraire, plus sévère. Dans la limite des peines maximales prévues par la loi.

Au cinéma ou à la télévision, c'est dans ce rôle que le procureur de la République est le plus mis en avant. "Mais ce n'est finalement qu'un tiers de notre travail" affirme Jean-Cédric Gaux. C'est aussi celui qui est autorisé à communiquer sur les affaires en cours. Par des conférences de presse, ou encore via les réseaux sociaux, sur des comptes dédiés.

Une permanence 24/24

Le reste du temps, c'est dans son bureau, ou les couloirs du tribunal judiciaire de Montargis que tout se passe. "Nous sommes de permanence 24 heures sur 24 pendant une semaine" explique-t-il. La rotation se fait chaque semaine entre lui et les trois substituts qui l'accompagnent. Près de lui, le téléphone de permanence, qui peut sonner à n'importe quel moment. 

Lorsque France 3 le rencontre, le smartphone reste étrangement silencieux. Dans ses anciennes juridictions de l'Esonne ou la Seine-Saint-Denis, la sonnerie retentissait à tout moment. La veille a été mouvementée, ce qui laisse son lot de dossiers à gérer.

"Je vous appelle concernant une garde à vue hier à 14h", à l'autre bout du fil, un enquêteur. Jean-Cédric Gaux est tenu informé au fur et à mesure des actes d'investigations. L'une des premières questions qui se posera est celle de prolonger, ou non, une garde à vue de 24 à 48h, en fonction des éléments que détiennent les forces de l'ordre.

Une jeune fille vient de dénoncer des agressions sexuelles de son beau-père. La priorité pour le procureur, c'est alors de s'assurer que l'adolescente ne rentre pas dormir chez elle, pour la protéger d'éventuelles pressions familiales.

La prison pour les faits graves 

Dans son grand bureau, Jean-Cédric Gaux jongle entre deux téléphones portables, un fixe et trois écrans d'ordinateur. Ce vendredi de juin, il doit aussi préparer l'audience de comparution immédiate, et choisir quelle peine il requerra auprès des juges. 

"La prison ferme doit être la sanction uniquement pour des faits graves ou des cas de récidive"

Jean-Cédric Gaux, procureur de la République de Montargis

"La prison ferme doit être la sanction uniquement pour des faits graves ou des cas de récidive" explique-t-il. Entre ses mains il a alors un panel de sanctions possibles, allant de l'amende à la prison ferme.

Sur une année, la juridiction recueille 10 000 plaintes ou signalement. "Si l'on retire les auteurs non identifiés, l'absence d'infraction, ou celles qui ne sont pas caractérisées, il nous reste 3 000 procédures" détaille Jean-Cédric Gaux. 

Justice laxiste ? 

La moitié fera l'objet d'une alternative aux poursuites : "il peut s'agir d'un stage, d'une mesure de réparation par exemple". C'est une ultime chance pour la personne mise en cause, qui reconnaît des faits considérés "peu graves". Si la mesure décidée se passe bien, aucune poursuite ne sera retenue. Dans le cas contraire, le tribunal correctionnel verra passer le mis en cause. 

À qui dirait que la justice est laxiste, le représentant du ministère public expliquerait que 50 ans auparavant, les faits les moins graves "étaient globalement classés sans suite". Les alternatives aux poursuites ont été créées pour sanctionner et donner un sens "ce ne sont pas des mesurettes, mais des décisions adaptées". Et Jean-Cédric Gaux y tient. 

Les 1500 affaires restantes sont poursuivies en justice. Environ 700 passent alors devant des juges. La prison peut y être prononcée avec sursis, sursis probatoire, assortie d'un travail d'intérêt général, d'obligations de soins, ou encore de stages de quelques jours. Puis, pour les cas les plus graves, la prison ferme. Toute peine inférieure à un an peut aussi être aménagée. Une détention sous bracelet électronique par exemple, ou encore une semi-liberté. 

"On ne juge pas que des faits, mais aussi des personnes"

Jean-Cédric Gaux, procureur de la République de Montargis

Pour demander la peine qui lui paraît le plus adaptée, Jean-Cédric Gaux regarde le casier judiciaire des prévenus, mais aussi leur personnalité, à travers une enquête réalisée par une association avant la comparution. "On ne juge pas que des faits, mais aussi des personnes". Pour cela, il jongle entre de nombreux logiciels. De quoi en perdre parfois la tête : "c'est pour moi un enjeu très important, les efforts sont faits, mais ça prend du temps" affirme-t-il, se qualifiant lui-même de "geek".

Un tribunal qui pousse les murs

Les couloirs du tribunal sont exigus, parsemés de portes qui cachent des bureaux. Ceux des greffières, des juges, et substituts du procureur. Les déplacements se font souvent au pas de course, et les marches des escaliers se descendent à toute vitesse. Qui ne connaît pas le tribunal judiciaire de Montargis pourrait se perdre. Il n'est pourtant pas gigantesque. 

Pour preuve, cet appel de l'agente d'accueil, qui demande où mettre un gardé à vue qui doit être présenté au procureur avant sa comparution l'après-midi même. De grands travaux sont prévus à partir de 2025 "c'est une question de sécurité, mais aussi de dignité pour les personnes".

Robe noire sur les épaules, le procureur entre toujours avant les magistrats à l'audience. Code pénal sous le bras, feuilles à la main et ordinateur jamais éteint, il s'installe à droite des juges. Derrière la porte, sorte d'entrée des artistes, les citoyens ne voient pas que les uns attendent les autres avant de faire retentir la sonnette. Annonce officielle de l'entrée des magistrats. Les habitués se lèvent immédiatement, les autres suivent le mouvement.

La délinquance parisienne à Montargis 

Le public a souvent la mine inquiète lorsque toutes les robes noires investissent la salle à 13h30. Il en va de l'avenir d'un fils, un père, un proche. La majorité du temps des hommes. Parfois, des femmes. Tous arrivent menottés, escorte à leurs côtés. 

Montargis, à moins d'une heure de route de Paris, se veut parfois la petite sœur de la capitale "avec une délinquance qui lui ressemble". Des trafics d'héroïne, rixes entre bandes, dans une agglomération de 56 000 habitants qui n'est pas comparable à celles de la région parisienne.

C'est justement un règlement de comptes qui amène ce père Turc devant la justice. Après une rixe le 12 mai 2023, il intervient quelques jours plus tard devant le lycée de son fils, tringle de rideau à la main, pour le "venger". "J'avais un bâton mais je n’ai pas touché le gamin" affirme-t-il dans le box. "Mon fils avait été attaqué avant, j'étais en colère".

Sur le banc des victimes, le jeune homme de 17 ans est encore marqué par la scène, une violence déferlante qui a laissé des traces "j'ai encore des douleurs, je fais des cauchemars, je ne vais plus au lycée".

Le père de famille boulanger est finalement condamné à un an de prison dont six mois avec sursis. Il effectuera la partie ferme de sa condamnation sous bracelet électronique. Une manière de ne pas "désinsérer" l'homme, c'est-à-dire d'éviter une exclusion de la société pourrait l'entraîner encore plus loin dans la délinquance, voire le crime. Les décisions de justice sont ainsi guidées : punir, mais aussi éviter la récidive.

Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Veuillez choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité
Je veux en savoir plus sur
le sujet
Veuillez choisir une région
en region
Veuillez choisir une région
sélectionner une région ou un sujet pour confirmer
Toute l'information