La pauvreté en Centre-Val de Loire : “Certains culpabilisent de venir, ça, c'est très grave”

En juillet dernier, l'Ifop a publié une nouvelle étude sur la perception de la pauvreté par les Français. Les résultats inquiètent les associations. Le plan national de pauvreté du gouvernement annoncé jeudi 13 septembre va-t-il répondre à ces inquiétudes ?

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"En 2016, ils étaient 48% à penser comme ça, et aujourd’hui, on est à 61%." Le nez sur le document, Jean-François Lunebitz constate, choqué.

Jean-François Lunebitz, c'est le co-reponsable de l'antenne du Secours Populaire à Orléans centre, et secrétaire général adjoint de la fédération du Loiret. Le document, c'est une étude réalisée par l'institut de sondage Ifop pour le pure-player classé à droite Atlantico*.

Son titre : les français et la pauvreté. Elle questionne surtout les perceptions des français face à ce fait social. Selon la dernière étude de l'INSEE, en 2015, 8.9 millions de personnes étaient considérées comme pauvres, c'est-à-dire qu'elles gagnaient moins de 1015 euros mensuels.
 

Est-on responsable d'être pauvre ?


Ici, à l'antenne du Secours Populaire d'Orléans centre, ce sont environ 200 familles qui viennent chercher de l'aide chaque mois, "beaucoup de personnes retraitées, des étudiants, des familles monoparentales...".

Et Jean-François Lunebitz fait face à ce premier constat de l'étude : 61% des sondés estiment que les individus "sont responsables de leur propre bien-être et ils doivent eux-mêmes se prendre en charge".

La responsabilité individuelle prévaut largement sur le rôle supposé de l'Etat. "C’est vraiment le chiffre qui m’a frappé. On tombe sur un désintérêt, on n’a plus envie d’aider les gens. Les autres, on n'en a un peu rien à faire. Là, c’est évident, on culpabilise les gens pauvres. On va leur dire : c’est de votre faute."

Ces réflexions, entendues à tous les coins de rue, il s'en inquiète. "Énormément", de son propre aveu.
 

La honte comme double peine


Autre point d'inquiétude : 38% des sondés estiment que les aides sociales "rendent les pauvres dépendants et les incitent à rester dans la pauvreté".

"C’est un argument facile,
expose Jean-François Lunebitz. Je crois qu’on méconnaît les raisons de la pauvreté, mais parce qu’on ne veut pas les voir ! Il y a les bas salaires, déjà : on ne peut pas vivre avec un temps partiel… Et vivre avec des aides sociales, ce n'est pas évident du tout ! Il y a un loyer, une vie au quotidien à régir. Ce n’est pas parce que vous avez eu votre colis mensuel aux Restau du cœur ou à la Croix rouge que vous pouvez tenir 30 jours, ce n’est pas possible. Si on donne à des gens ces aides, c'est parce qu'ils en ont vraiment besoin."

Le cliché du profiteur a la vie dure. Pourtant, seuls 0.36% des bénéficiaires d'aides sociales se sont rendus coupables de fraude au cours de l'année 2016. Plus parlant encore : fin 2017, la CAF a décidé de partir à la recherche des familles qui, ayant droit aux aides sociales, ne les réclament pas. 10 milliards d'euros non-réclamés chaque année.
 
Pour l'essentiel, c'est un manque d'information. Mais maintenant, Jean-François Lunebitz en est témoin, la peur du regard des autres s'invite dans l'équation. "Je me souviens de personnes qui me disaient : "ça ne sert à rien de me donner un rendez-vous, je ne peux pas revenir, je suis incapable de passer la porte"… Il y en a qui culpabilisent de le faire, ça, c’est très grave."

"On voit des personnes qui arrivent : ils ont perdu leur emploi, et ensuite ils perdent tout. On bascule très vite", continue le secrétaire général, qui est passé à une autre question du document.
   

Basculer va vite, rebasculer prend du temps


Question qui rend le constat de l'étude paradoxal : si les Français sont plus nombreux à juger que l'état de pauvreté tient au moins en partie à une responsabilité personnelle, ils sont aussi plus nombreux à avoir peur de basculer eux-mêmes dans la pauvreté.

"Je comprends que ce soit une angoisse. Tant qu'on a un salaire qui rentre tous les mois, il couvre les frais. Mais si on le perd, qu'on n'en retrouve pas tout de suite, on rentre dans un cycle. On le voit aujourd'hui, des gens qui sont en surendettement : il faut payer le crédit de la voiture, de l'appartement... En sortir, c'est toujours aussi difficile."

D'autant que le penchant de plus en plus net vers le tout-numérique crée d'autres embûches pour les catégories les plus lésées. "Vous avez des gens qui ne savent pas utiliser ces nouveaux produits numériques, ou qui ne peuvent pas le faire, qui n'ont pas les moyens d'avoir ce genre de matériel. Vous savez, on est vite rayé de Pôle Emploi, si on ne passe pas par internet ! La fracture du numérique, elle est là."
 

FEAD, plan pauvreté : les points d'interrogation


Le Secours Populaire pense se spécialiser davantage dans ce genre d'aides. Mais ce n'est pas le seul qu'il faudrait gérer. Ici, l'antenne est ouverte deux après-midis par semaine. L'équipe de 17 bénévoles fait tourner une boutique solidaire, avec les dons de vêtements ou encore de vaisselle. Mais la première aide est bien sûr, alimentaire. Et c'est elle qui se voit menacée.
 

En 2020 va être rediscutée la pertinence du Fonds européens d'aide aux plus démunis (FEAD). Grâce à ce fonds, chaque année, les pays européens reçoivent une enveloppe directement transformée en aide alimentaire et matérielle, selon le choix de chacun.

"Ça risque de disparaître, certains pays européens n'en veulent pas, ils considèrent que c'est de l'aide "facile". Quand on n'aura plus le FEAD, je ne sais pas ce qu'il nous restera à distribuer..." soupire le co-responsable de l'antenne. A partir du 15 août et à cause du retard de versement de cette aide, la station d'Orléans centre n'aura déjà plus de lait à distribuer.

Comment gardent-ils espoir sur ce que qu'ils font au quotidien ? Comment défendre le bilan des associations au milieu de ces constats d'opinion décourageants ?

Jeudi 13 septembre, le gouvernement doit annoncer son plan pauvreté. Jean-François Lunebitz en ricanerait presque. "J'ai peur qu'on nous installe un peu une usine à gaz, avec des avancées par pallier, sans savoir où l'on va à la fin. Et puis, qu’est-ce qu’on fait du plan pauvreté ? On le fait passer après la coupe du monde de football. C’est-à-dire qu’on verra ça plus tard, qu’il n’y a pas d’urgence… C’est typique de ce qu’il se passe."
* A propos de l'étude
Les enquêtes d'opinion ne sont pas neutres. Le choix et la formulation des questions sont en partie dépendantes des objectifs et attentes du commanditaire, ici Atlantico.

Elles attirent l'attention sur des points de débat, en choisissant certains et en éludant d'autres.

Tout sondage a également une marge d'erreur, explicitée dans la notice "Méthodologie" préalable aux résultats du sondage.

 
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