Louis Schittly fait partie de ces êtres si précieux qui brillent par leur humanité et qui ajoutent du beau dans la laideur du monde. Un homme aux mille vies qui a donné le meilleur de lui-même pour sauver celle des autres.

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Le réalisateur Vincent Froehly s'est donné pour mission de mettre en lumière le destin si particulier de Louis Schittly : médecin des champs, pionnier de l'aide humanitaire, cofondateur de Médecin Sans Frontières, paysan, défenseur de la langue alsacienne, écrivain, cinéaste. Louis Schittly est tout cela à la fois et surtout, il est son ami.

"Ça fait très longtemps que je veux faire un film sur Louis Schittly. Louis, je l'ai rencontré en 1989, j'avais 23 ans, lui 51. À l'époque, c'était déjà une légende, pour moi, c'est devenu un modèle, un guide, presque un deuxième père. Spirituel, spiritueux, intellectuel, festif. J'ai partagé de nombreux moments avec lui, fait de nombreux voyages et je l'ai filmé, beaucoup, souvent, partout."

Alors par où commencer sans se perdre, sans craindre de se tromper, sans rien oublier ? Comment rester fidèle à l'ami en mettant en avant ce qui a compté quand rien ne semble anodin dans cette vie hors du commun ?

Dans une conversation entre amis, Vincent Froehly s'en remet donc à Louis Schittly pour nous raconter les souvenirs de ces mille et une vies qu'il garde en mémoire. Il confie son tout premier souvenir d'enfance et son parfum de liberté.

De l'Alsace au Biafra

Louis Schittly est né en 1938 à Bernwiller dans le Sundgau, au sud de l'Alsace. Il a grandi dans la ferme familiale. Une éducation, des valeurs ancrées à la terre et des ailes de liberté pour ne pas se laisser happer par les injonctions. Il se veut maître de sa vie et ne se soumet pas aux directives. Son chemin de vie, il le trace seul, animé par ce qui lui semble juste et utile.

Jeune docteur, il lit dans la presse un article sur l'agonie du Biafra et une annonce de la Croix-Rouge pour le recrutement de médecins français. Il sait d'instinct que sa place est là-bas. Il découvre l'Afrique, la misère, la guerre et les enfants. Ces petits biafrais, le ventre gonflé par la faim et aux yeux immenses, orphelins en quête de bras et de compassion humaine.

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Louis Schittly, de terre et de guerre - extrait 1 ©France télévisions

Une autre planète sur une même terre, un constat et une réalité effroyable. Le Biafra veut son indépendance, mais le Nigeria qui la refuse organise une famine et s'en sert comme arme de guerre.

Le regard de Louis Schittly s'illumine de tendresse pour ces enfants dont il a partagé le quotidien. Un regard de compassion, un sourire qui le renvoie auprès de ceux qu'il a tenté de sauver. En août 69, il est nommé par la Croix-Rouge médecin-chef de l'hôpital de Santana, près de la ligne de front. Des milliers d'enfants biafrais sont là, affamés. Les images témoignent de ce qu'il est si difficile à regarder : la réalité.

Des enfants, en souffrance, le corps déformé, les muscles fondus pour sauvegarder le moteur : le cœur, le poumon et la tête.

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Louis Schittly, de terre et de guerre - extrait 2 ©France télévisions
Les mots sont durs à entendre et les images à regarder mais c'est un effort que nous devrions tous faire pour rendre hommage à tous ces innocents victimes de l'indifférence et de la cruauté de l'être humain.

Dans son malheur, la petite Sabina a eu la chance de croiser Louis Schittly et son équipe. Son histoire se termine mieux qu'elle a commencé et les moments de tendresse entre la petite fille et le docteur mettent du baume sur les maux en mots.

Malheureusement, toutes les histoires ne se terminent pas bien, loin de là. Les enfants des camps de réfugiés souffrant eux aussi de la famine sont transportés à l'hôpital mais il y a un quota à ne pas dépasser par manque de place. Il faut donc faire un choix.

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Sur 200 admissions par semaine, il y en avait quand même 20 qui mouraient. ©France télévisions

Engagé pour trois mois, Louis Schittly prolonge son engagement pour rester auprès de ceux qui ont besoin de lui. Il n'est pas sûr de revenir vivant, les conditions pour récupérer les ravitaillements de médicaments sont difficiles. Couché sur le sol, sous les bombardements, il sait le risque qu'il prend mais, ne se laisse pas abattre. Son combat pour la vie continue. Ici, il se sent utile, ses études de médecine lui permettent d'apaiser, de soigner ceux qui peuvent encore l'être. La mortalité s'accentue au fil des mois, chaque vie sauvée lui fait dire que sa vie est belle.

En 1970, quand le Biafra tombe et que les troupes nigérianes avancent sur tous les fronts, la Croix-Rouge demande à ses équipes de quitter le pays. Toutes les délégations médicales fuient en abandonnant les Biafrais. Louis Schittly et ses collègues ne veulent pas se résigner, ils décident de rester et de poursuivre leur mission jusqu'au rétablissement des enfants suivis.

Médecins Sans Frontières

En 1971, les médecins marqués par leur expérience au Biafra vécue avec la Croix-Rouge française créent Médecins Sans Frontières avec Bernard Kouchner. Au départ, l'organisme s'appelait "Groupe d'intervention médicale et chirurgicale en urgence, le GMCU.

Louis Schittly et l'ancien ministre sont toujours en relation. Ils ne partagent pas toujours les mêmes opinions sur la finalité de l'aide humanitaire. Louis craint le néocolonialisme et ne veut que soigner et son ami Bernard Kouchner croit en l'aide du développement et au progrès.

L'humanitaire était pour moi, une bonne façon de faire de la politique.

Bernard Kouchner

Des divergences d'opinions qui ne les empêchent de rire ensemble, de se chercher avec humour et de se chamailler aussi pour des broutilles.

Le Vietnam

Du Vietnam, Louis Schittly, n'était pas sûr d'en revenir, en éprouvait-il seulement l'envie ?

J'ai flirté avec la mort en allant au Vietnam, de façon délibérée, je ne pensais pas que j'allais revenir. Une partie en moi ne voulait pas revenir.

Louis Schittly

L'Occident veut imposer sa manière de vivre avec brutalité, tout ce que Louis déteste.

Il se rend compte que les deux tiers des blessés qu'ils soignent sont des paysans. Des villageois qui ne font la guerre à personne, des victimes innocentes en première ligne. L'histoire du petit garçon défiguré qui a sauté sur une mine avec son buffle dans les rizières, veillé toute la nuit par son grand-père et mort au petit matin, lui laisse un goût amer. Un sentiment d'injustice, une colère intarissable qu'il exprime encore aujourd'hui.

Il se rapproche du personnel local, des petits paysans et prend peu à peu ses distances avec ses collègues allemands, tous pro-Américains.

"Il livre des médicaments au maquis Vietcong qui n'a rien."

Quelques mois plus tard, son contrat n'est pas renouvelé !

Le retour à la terre

De retour chez lui, à Bernwiller en Alsace, il reprend son métier de médecin de campagne et aide son père aux champs comme autrefois.

Louis Schittly n'est plus tout à fait le même, il a vécu les horreurs de la guerre et il sait que des enfants meurent quand d'autres se remplissent les poches sans aucun scrupule.

Partout, le monde rural disparaît au profit de la modernité. Il ne veut pas rester sans rien faire, cette fois encore !

On est dans une société du Titanic... Moi, je ne vois que l'iceberg. Alors que faire ? Qu'on freine le Titanic, c'est possible, ou que l'on contourne l'iceberg ou peut-être qu'on fasse escale.

Louis Schittly

Louis Schittly rêve de justice sur terre et c'est au nom de cette justice, qu'il bouge, qu'il dit les choses, qu'il veut se faire entendre. Il veut prévenir les villageois du danger qui les guette. La rencontre avec un jeune cinéaste lui donne l’idée d’un film paysan en alsacien, D’Goda (la marraine). Un an plus tard, en 1976, il écrit un roman, Näsdla ou Un été sans colchiques. Une histoire qu'il puise dans celle de sa famille.

Il se spécialise en ophtalmologie mais, en a vite fait le tour et puis c'est une spécialisation qui ne lui plaît pas tant que cela. Il ne sait plus trop quoi faire de sa vie et se débat avec la monotonie.

Pour Louis, mourir d'ennui est bien pire que de mourir à la guerre.

Vincent Froehly

L'aide médicale internationale lui propose de monter une mission exploratoire. Il sera le premier médecin à rentrer en Aghanistan. Surnommé "Celui qui n'a peur de rien" puis " Le moine fou" parce qu'il soigne sans se faire payer.

Le retour d'Afghanistan est chaotique mais, une fois encore pour Louis, la vie a le mot de la fin du voyage.

Il se marie à Erika, l'héroïne de son film avec qui il a deux enfants. Il leur enseigne l'autonomie de subsistance, indispensable à la liberté, qu'il chérit tant. Entouré de ses amis, et de sa famille, il continue son chemin, les yeux pétillants de compassion, d’espièglerie, de franchise et d'infiniment d'amour.

"Louis Schittly, de terre et de guerre" un documentaire de Vincent Froehly à retrouver sur France 3 Centre-Val de Loire ce jeudi 14 septembre à 23h et à revoir en replay sur france.tv

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