"Il n'y avait pas de fenêtres dans la chambre" : 36 785 enfants en centre de rétention en France depuis 2012

"Il n'y avait que des grands, il n'y avait que moi." Kosta, Ania et leurs familles ont laissé une part d'eux-mêmes, pétrifiée, dans le centre de rétention où ils étaient enfermés. Le documentaire de Noémie Ninnin et Selim Benzeghia ouvre un pan d'une réalité souvent ignorée.

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Kosta n'avait que huit ans lorsqu'il a franchi les portes d'un centre de rétention et qu'elles se sont refermées derrière lui. Depuis, il a grandi, comme il a pu, avec ses blessures et ses traumatismes qui lui collent à la peau et lui scellent les lèvres. Il dessine à même le sol, les plans de son enfermement, gardés en mémoire comme un clou résiduel au milieu d'un salon déserté. 

Sa maman Mia prend le relais et raconte tout ce qu'elle a vécu à travers lui. 

Ania, quant à elle, tout juste majeure au moment des faits, témoigne pour ses petites sœurs et son petit frère, pour ses parents et pour elle-même, ayant endossé trop vite des peurs et des responsabilités démesurées pour son âge.

Kosta

Kosta, sa maman Mia et son papa Noukri ont dû quitter leur pays, la Géorgie, parce qu'ils étaient menacés de mort. Ils sont arrivés en France, à Paris, le 17 juillet 2019. Kosta était aux anges ; ses parents lui avaient dit qu'ils seraient accueillis par des amis et qu'il pourrait très vite entrer dans une bonne école. Il était heureux. Après avoir passé un test, il intègre une classe de CE1, où il a une institutrice extraordinaire. Grâce à son soutien, Kosta apprend très vite le français. En un mois, il parle déjà.

Mia a engagé des démarches pour une demande d'asile le 17 juillet. Le 21 janvier, la réponse tombe comme un couperet. Début mars, ils reçoivent l'ordre de quitter le territoire.

Assignée à résidence, la petite famille doit se rendre chaque jour au commissariat pour signer un document. Kosta, malgré son jeune âge, a les mêmes obligations. Il subit cette contrainte quotidienne, chaque jour après l'école et même les week-ends.

Le petit garçon pose des questions qui ne devraient pas être de son âge et en retient certainement tant d'autres. Il se demande ce qu'ils ont fait de mal, ses parents lui auraient-ils caché quelque chose ? Dans sa petite tête tout se bouscule. 

Le 46ème jour, le policier ferme la porte et leur dit : "Vous serez expulsés demain, donc aujourd'hui, nous allons vous transférer au centre de rétention." Kosta se met à pleurer.

Kosta est enfermé 

Arrivés au centre de rétention, la petite famille est fouillée : Noukri par un homme, Kosta et sa maman par une femme. Que peut imaginer un petit garçon à qui l'on fait les poches ? L'accuseront-ils d'avoir volé quelque chose ? S'il n'a rien fait, qui a commis une bêtise pour mériter une telle punition ?

Le CRA de Metz peut accueillir 98 personnes, principalement des hommes. Emmenés dans la zone femmes et familles, Kosta et ses parents étendent les matelas des deux lits de la chambre sur le sol pour se rapprocher et trouver du réconfort. 

Kosta est le seul enfant ici ; il n'a pas d'amis de son âge et ne sait que faire. Il voudrait dessiner, mais les crayons sont interdits dans la chambre. Alors, il regarde la télévision toute la journée. Parfois, il sort sur l'aire de jeux, mais il pleut beaucoup. 

Les repas sont servis à heure fixe, entre les deux pas de goûter. Le ventre de Kosta gargouille. Son papa emballe des petits morceaux de pain dans une serviette pour son fils. Sept heures sans manger, c'est long, surtout quand on n'a rien à faire. Si les journées sont longues, les nuits sont courtes. 

Tous les matins et tous les soirs, quatre ou cinq policiers effectuent un contrôle, entrent dans la chambre en faisant du bruit. Kosta se réveille en sursaut. 

Les chaussures de Kosta sont déchirées, tout comme son petit cœur d'enfant. Une jeune policière qui travaille de temps en temps au centre de rétention leur apporte tout le nécessaire pour se changer et glisse même de l'argent de sa poche pour les aider.

Kosta au tribunal 

Les parents de Kosta refusent d'embarquer une première fois. Ils sont donc ramenés au centre de rétention avant d'être présentés devant un juge. Au tribunal, entouré de policiers, Kosta a si peur qu'il se fait pipi dessus.

Personne ne peut rien pour lui, ce n'est pas le moment. Son papa et sa maman font ce qu'ils peuvent pour le mettre à l'abri des regards et de la honte. 

Kosta doit partir 

Au 14ème jour, la préfecture ordonne une nouvelle fois l'expulsion. Ils doivent partir immédiatement. La maman de Kosta ne parvient pas à s'y résoudre. Mia et Noukri sont menottés aux mains et aux chevilles, face au regard effaré de Kosta.

Ils ne restent que quelques jours en Géorgie, où ils sont en danger, avant de trouver refuge en Turquie, leur seule échappatoire.

Au fil du temps, Kosta se renferme sur lui-même, la peur au ventre d'être expulsé à nouveau. Il fait des cauchemars, des terreurs nocturnes, et crie dans la nuit.

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Les séquelles de l'enfermement chez l'enfant ©France télévisions

Il voudrait retourner en France, retrouver son école et ses amis. Le silence l’envahit chaque jour un peu plus, et il ne communique plus comme avant avec ses parents. L'enfance s'est envolée.

Ania

Ania, aujourd'hui âgée de 25 ans, arrive en France avec sa famille en 2012.

Du jour au lendemain, son père décide de fuir l'Albanie alors qu'elle a 15 ans. Cette décision bouleverse sa vie, l'amenant à quitter son pays, ses amis et ses repères pour un nouvel environnement qu'elle doit apprivoiser.

En tant qu’aînée, elle se sent investie d'une responsabilité envers ses deux petites sœurs et son frère de 4 ans, tous scolarisés. Après deux ans d'efforts, Ania réussit à décrocher son baccalauréat de français. Cependant, le bonheur est de courte durée : la demande d'asile de ses parents est refusée. Un mois plus tard, ils reçoivent une OQTF, la décision d'obligation de quitter le territoire.

Comme Kosta, Ania ne comprend pas pourquoi elle doit quitter la France, alors qu'ils n'ont rien fait. La crainte de se faire arrêter un jour est une épée de Damoclès bien lourde à porter pour l'adolescente. Protéger les plus petits est une mission qu'elle endosse en silence.

L'insouciance de son âge lui échappe, et elle se sent de plus en plus différente des autres.

Ania vient tout juste d'avoir 18 ans. Sa petite sœur a 15 ans, l'autre 12, et son frère, 7. C'était l'été, les vacances. Son père est sorti jouer avec le petit dernier. Vers 11 heures, un coup retentit à la porte : deux policiers, suivis d'une vingtaine de personnes, pénètrent dans l'appartement. En l'absence de son mari, sa mère est déboussolée, et c'est Ania qui prend les choses en main.

Les agents lui présentent des papiers et annoncent qu'il faut préparer leurs affaires, qu'ils viennent les chercher pour les emmener dans un centre de rétention. Lorsqu'ils demandent où est son père, Ania répond qu'il est sorti. Ils le retrouvent facilement dans ce petit village.

Aujourd'hui encore, Ania se demande si elle a commis une erreur en révélant sa présence, même si elle sait qu'elle a fait de son mieux dans une situation désespérée.

Ania a l'impression que le lieu de l'arrestation est noir de monde. Le maire du village est le seul à serrer la main de son père, les larmes glissent sur les joues. 

Ania et le centre de rétention

Arrivés au centre de rétention, leurs objets personnels sont soigneusement contrôlés. On leur donne l'autorisation de garder leurs téléphones, à condition qu'ils n'aient pas de caméra… Ils seront donc tous confisqués. Une de ses petites sœurs réussit à cacher le sien, Ania l'utilse pour appeler tous les gens qu'elle connaît et demander de l'aide.  

"D'après la loi, les étrangers ne doivent être enfermés en centre de rétention que le temps strictement nécessaire à leur départ. Il s'agit d'une mesure transitoire en attendant les prochains vols disponibles."

Ania et sa famille passeront une nuit sur place.

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Le mal est fait, quelle que soit la durée. ©France télévisions

La jeune fille a l'impression de vivre un cauchemar, elle voudrait se réveiller et que tout redevienne comme avant, mais c'est sa réalité. La peur, la rage, la colère se mêlent et se cognent au rythme de l'angoisse, du désespoir et de l'impuissance. 

L'expulsion de la famille d'Ania

La clé tourne dans la serrure, et un vieil homme annonce à Ania que l'avion va partir aujourd'hui avec eux et qu'ils doivent prendre cela « comme des vacances ». « Comme des vacances ! »

Sa maman est présente, mais elle semble absente. Dans l'avion, ils sont tous séparés.

Il n'y avait que nous, notre famille, et des policiers qui nous ont accompagnés comme des criminels.

Ania

Ania cherche les siens du regard et ne voit pas son père. Il arrive, menotté, la colère dans les yeux. La jeune fille lui fait signe que cela ne sert à rien. L'avion décolle. 

Le retour 

Deux mois après leur expulsion, Ania et sa famille sont revenus en France. Elle et sa sœur obtiennent des titres de séjour, quatre ans plus tard. Cependant, sa deuxième sœur sombre dans un mutisme et une immobilité face à son devenir, ce qui blesse Ania après ce parcours du combattant.

En mars 2022, la Cour européenne des droits de l'homme condamne l'État français pour avoir enfermé la famille de Kosta. Ses parents reçoivent 5 000 euros de dédommagement.

Un an après son expulsion, la petite famille revient en France. Mia et son mari ont trouvé du travail, Kosta, le chemin de l'école.

Ce documentaire "Enfants enfermés" est réalisé par Noémie Ninnin et Sélim Benzéghia et coproduit par Nova Production / France 3 Grand Est. 

Les magnifiques illustrations sont de Claire Frossard et la Musique de Parigo

► "Enfants enfermés ", un film à découvrir le jeudi 7 novembre à 23h05 dans La France en vrai sur France 3 Centre-Val de Loire. À revoir en replay sur france.tv.

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