Créée en 1797, l'emblématique maison orléanaise Martin Pouret change pour la première fois de main, après six générations dans une même famille.
Une reprise sans heurts, sans désaccord, sans larmes et sans sacrifier aucun employé. Le fait est assez rare pour être signalé. En septembre, pour la première fois depuis sa création en 1797, l'emblématique maison Martin Pouret, la dernière à perpétuer les vinaigres d'Orléans, a changé de main.
Ce sont les entrepreneurs Paul-Olivier Claudepierre et David Matheron qui ont reçu les clés des mains du dernier patron, Jean-François Martin. Le premier est déjà rôdé à l'agroalimentaire ; le second, "profil plus financier", vient de l'industrie. Et tous les deux cherchaient le bon projet, la "belle entreprise". Martin Pouret était dans la short list.
"C'est les rencontres de la vie, et moi j'y crois beaucoup, raconte le dernier taulier de la famille, Jean-François Martin. C'est principalement le fait que David et Paul Olivier m'ont montré une belle envie, un beau projet pour l'entreprise, c'est des hommes qui ont des valeurs communes aux miennes et je suis tout à fait à l'aise de leur avoir transmis cette entreprise."
Cette entreprise, lui, il l'a reçue en 1982, des mains de sa mère. "Mon père est décédé en 1971, c'est ma maman qui a repris les rênes et ça faisait déjà plus de 10 ans. Je voudrais la remercier. Sans ce qu'elle a fait, on ne serait pas là aujourd'hui. Il n'y aura rien eu", précise-t-il, un peu ému. Il devient chef d'entreprise à 25 ans, sans vraiment le penser en ces termes, "sinon ça peut faire peur. J'ai fait mes armes sur le terrain."
Martin Pouret, le made in France avant l'heure
En 37 ans à la barre, Jean-François Martin a initié bien des changements, dont il ne veut pas se dire "fier". "Particulièrement content, tout au plus". Son successeur intervient pour rectifier. "Jean-François, c'est quelqu'un de très humble. Ce qu'il ne dit pas, c'est qu'il a fait deux choses particulièrement extraordinaires" entame Paul-Olivier Claudepierre.
Il y a d'abord la transformation de Martin Pouret, à l'époque une marque qui alimente les distributeurs et les grossistes, en une marque qui s'adresse directement au public. "Avec tout le travail que ça comporte, tous les risques et tous les choix que ça comporte. Du jour au lendemain, on arrête les gros volumes, et on commence à construire sa marque. Il y a beaucoup de gens qui ont désiré le faire, il y en a peu qui l'ont fait, et ceux qui l'ont fait n'ont pas tous réussi" précise le nouveau dirigeant.
Deuxième fait d'armes, "et là c'est plus du courage, c'est de la vision", encense Paul-Olivier Claudepierre. C'est le lancement de la moutarde Martin Pouret, faite avec des graines de moutarde 100% françaises. "Cinq ou six ans avant tout le monde, Jean-François a senti qu'on revenait à des choses importantes au niveau du territoire, de la qualité de ce qu'on souhaite manger, du sentiment d'appartenance à une région..."
"Un produit moderne"
L'agilité, pour Jean-François Martin, c'est le point fort des petites entreprises comme la sienne, qui compte une dizaine de salariés. "On l'a toujours dit, tradition ne veut pas dire immobilisme, et ce produit traditionnel est un produit moderne" insiste-t-il. Car depuis, l'entreprise a inauguré ses vinaigres de cépage, aromatisés, ou en différents formats.
Faire du neuf, toujours, avec cette même méthode précieuse, ce même vinaigre qui reste trois semaines en fût, quand les produits de grande distribution s'accomodent de quelques heures à peine. Dans la pièce, l'odeur prend le nez et la gorge. Paul-Olivier, qui fait la visite, s'est déjà habitué. Vêtu de sa blouse, il salue les maîtres vinaigriers et moutardiers par leur prénom, sort de leurs sacs les graines jaunes et noires des moutardes, désigne avec fierté ces quelques tonneaux qui comportent des vinaigres 20 ans d'âge.
Quelques-uns de ces fûts sont pour le marché japonais, où Martin Pouret est déjà plutôt bien implanté. C'est que, pour la marque, Paul-Olivier Claudepierre a des ambitions vastes, et enthousiastes. "Il y a encore plein de choses extraordinaires à faire. L'idée, c'est de consolider l'activité dans les Nordiques, développer fort au Japon, et attaquer les Etats Unis, qui sont le premier marché pour les condiments" prophétise-t-il avec un plaisir visible.
L'ambition orléanaise
Son autre ambition, à lui et David Matheron, elle mûrit encore, après deux mois à travailler au milieu des Orléanais. "Plus on avance, et plus on se dit qu'on a même un gros coup à jouer sur comment Martin Pouret peut devenir un outil de la fierté locale. Comment on fait en sorte que chaque Orléanais ait dans son placard nos produits et même mieux que dans son placard : sur sa table. Oui, c'est bien d'aller chercher du business au Japon, aux Etats-Unis, et on va le faire, hein. Mais plus on est fort chez soi, plus on est fort ailleurs."
En faisant le tour des restaurateurs, en allant à la rencontre du public sur les quais de Loire, les entrepreneurs ont pu mesurer l'attachement de la ville à la maison Pouret, en dehors de l'entreprise, comme dedans. "On a bien fait comprendre aux équipes qu'on avait besoin d'eux, qu'on allait rester sur les mêmes standards de qualité. Et ce sur quoi on a insisté, c'est de dire : "mesdames, messieurs, vous vendez des produits d'exception, ne l'oubliez pas."
Avec Jean-François Martin qui garde un pied bienveillant dans les instances dirigeantes, Paul-Olivier Claudepierre et David Matheron veulent assurer cette continuité qui a fait le succès de l'entreprise depuis des siècles. "C'est pas tant les hommes qui comptent, juge le nouveau patron. C'est leur désir de faire grandir et perpétuer une tradition. Après peu importe si c'est Claudepierre ou Matheron, parce que le nom qui restera de toute façon, c'est Martin Pouret."