Dernier jour d'audience pour le procès en appel dans l'affaire "de la madeleine". Alain J. est jugé une seconde fois pour le meurtre de Yvette. La nonagénaire a été retrouvée étouffée par des madeleines, en mai 2019, dans sa chambre d'Ehpad. Au tribunal d'Orléans, l'avocat général vient de requérir 20 ans de réclusion criminelle contre le sexagénaire.
Trois nouveaux jours de procès, et toujours des zones d'ombre, sur cette journée du 13 mai 2019. L'intime conviction du ministère public, elle aussi, demeure. "J'ai estimé que justice n'avait pas été rendue en 2022" assure l'avocat général en prenant la parole.
Dans un réquisitoire d'un peu plus d'une heure, Denis Chausserie-Lapree, demande la condamnation d'Alain J. à 20 ans de réclusion criminelle, avec une peine de sûreté de 10 ans et l'interdiction de porter une arme pendant 15 ans. "Je vous demande de vous intéresser à la victime et de lui rendre justice".
Ce procès en appel intervient un an et demi après une première instance devant la cour d'Assises d'Indre-et-Loire. Alain J. avait été acquitté, face aux doutes qui persistaient dans cette affaire. Dans ce cas, seul le procureur général peut décider d'interjeter appel, c'est ce qui avait été fait : "J'ai pris une décision lourde de conséquences pour monsieur J., et toutes les parties prenantes de ce dossier" reconnaît ainsi Denis Chausserie-Lapree.
"Je suis innocent, je veux raconter cette journée. Je veux répondre à toutes les questions. Je n'ai rien à cacher" avait affirmé Alain J. plus tôt dans la journée, avant son audition.
Alain J. ému lorsqu'il évoque la victime
Dans une expertise psychologique réalisée en janvier 2020, alors qu'il est en détention provisoire, l'homme est décrit comme "authentique", sans "toubles psychiatriques" et sans volonté de "manipulation". "Il etait en larmes pendant tout l'entretien" révèle le document, et le psychologue l'estime victime d'un syndrôme post traumatique.
Son épouse, absente de ce procès pour des raisons médicales, reste fermement convaincue de son innocence.
Parmi les éléments qui jouent encore contre Alain J, une recherche active de maisons pour déménager, peu avant le décès d'Yvette. L'estimation de la maison en viager, la prise de contact avec plusieurs notaires, viennent aussi s'ajouter au faisceau d'indices. Dans les deux mois qui ont précédé le décès d'Yvette, il s'est rendu plus régulièrement à l'Ehpad, estiment les enquêteurs. Jusqu'à trois fois par semaine.
Deux visions irréconciliables
Alors qu'il parle de sa relation avec la vieille dame, Alain J. a la voix qui tremble. Il évoque peu d'échanges avec le personnel de l'Ehpad tourangeau où résidait Yvette. "Elle mangeait seule, on m'avait dit de ne pas lui donner à manger". Tout devait être mixé. Ce jour-là, il se souvient avoir laissé la nonagénaire endormie, une madeleine à la main.
En 2019, Yvette n'est plus que "l'ombre d'elle même" affirme sa petite-fille à la barre, "elle n'aurait pas pu manger des madeleines". Elle souffrait de problèmes de démences depuis son arrivée dans la structure, cinq ans plus tôt.
Une toilette mortuaire qui interroge
Au deuxième jour de ce procès en appel, la réaction des personnels de l'Ehpad ont été au coeur des échanges. Comme le relatent nos confrères de la République du Centre.
La toilette mortuaire, réalisée avant l'arrivée des gendarmes cristalise les interrogations. Une aide soignante, à la barre, a lancé une information qui pourrait ressembler à un retournement de situation. Un coup de fil reçu de la directirce de l'établissement, dans lequel elle affirme sa peur d'aller en prison. La question demeure alors : a-t-on cherché à dissimuler une faute de la part de l'établissement ? L'avocat général, Denis Chausserie-Lapree, évoque quant à lui "la sidération du personnel soignant".
Pour l'heure, la parole est à la défense, alors que la nuit est déjà tombée, sur le tribunal d'instance d'Orélans. Le verdict est attendu tard dans la soirée, ce vendredi 8 décembre 2023.
Avec Valérie Labonne.