Témoignages. "Tu as pris 25 ans de ma vie, tu étais ma priorité. " Trois femmes racontent sans tabou leur combat contre l'alcoolisme

Josiane, Marie-Hélène et Annie sont unies contre une amie commune, la bouteille d'alcool, qui a fait de leur vie un enfer. Sournoisement bienveillante, toujours présente pour faire face aux difficultés, elle a finalement pris le contrôle.

Le documentaire de Rémi Jennequin donne la parole à trois femmes qui se confient sans filtre sur l'emprise de l'alcool dans leur histoire de vie. Un regard intime et une écoute attentive entre le réalisateur et ces amies, unies dans un même combat, qui se sont rencontrées dans un atelier d'art-thérapie. Une sincérité et une confiance réciproque pour témoigner de cette emprise souvent passée sous silence.

"Je suis allergique aux fraises", le titre du documentaire qui traite de l'alcoolisme féminin peut surprendre à première vue. Cette réplique de Josiane met l'accent sur l'incompréhension de son entourage qui lui demande pourquoi elle part en cure de désintoxication. Un retour décalé face à une question qui n'a pas de raison d'être, tant sa réponse est évidente.

L'expression "Je suis allergique aux fraises", met en relief cette difficulté de communication, même quand le secret est dévoilé à ses proches.

L'alcoolisme féminin

On en parle peu comme d'une maladie honteuse. Une femme qui boit, ce n'est pas beau à voir, "surtout si elle a des enfants ou si elle est enceinte." Si le sujet est abordé, il sera presque chuchoté.

Le médecin et voisin de Josiane savait, mais il n'a jamais évoqué le sujet, considérant qu'elle était adulte et responsable. Un mal passé sous silence alors qu'elle aurait voulu qu'il crève l'abcès.

Pourquoi, tu ne m'as jamais dit "attention". J'avais peut-être besoin qu'on me sonne un peu.

Josiane

La plupart du temps, cela ne se voit pas ! Dans la vie de tous les jours, elles savent donner le change. Tout se joue avant ou après l'exposition aux regards de l'autre. Quand le masque tombe, le face-à-face avec sa solitude invite à table la diabolique bouteille et les suivantes.

" Un coup, tu as le bourdon, tu t'emmerdes, rien ne t'intéresse, tu n'as pas grand-chose à faire ou tu n'as pas envie de le faire. Tu bois un porto, tu en bois deux, puis trois, puis quatre. Tu recommences la semaine d'après et tu bois la bouteille."

Combien sont-elles enfermées dans cette spirale infernale ? Que savons-nous de ces femmes en souffrance ? Sommes-nous l'une d'entre elles ? Le silence et la honte gangrènent ce mal qui ne trouve pas de mots pour s'extérioriser. L'alcoolisme est un "plaisir" solitaire et insidieux qui emprisonne sa proie dans un cercle vicieux. La parole et l'écoute sont un premier pas vers la guérison.

Josiane

Josiane se raconte avec des mots simples et justes. Elle dit les non-dits et expose ce qu'elle a caché si longtemps. Elle cherche le pourquoi, remonte à la surface ses blessures et ses peines pour essayer de comprendre le cheminement qui mène à ce premier verre qui se vide et se remplit sans cesse. La source des émotions est pleine et les larmes au bord des yeux.

Josiane évoque la perte de son frère, qui la considérait comme une petite mère et qui a mis fin à ses jours. Une blessure toujours béante, liée à une profonde culpabilité. Elle s'en veut de ne pas avoir été là pour lui quand il en avait le plus besoin, de ne pas l'avoir soutenu face à l'alcoolisme. 

L'aurait-elle pu, seule avec ses enfants à élever ? Chauffeur routier, son mari était absent la semaine et le week-end, il s'activait aux bois ou au jardin.

Elle n'a jamais oublié non plus sa fausse couche à plus de six mois de grossesse. "On ne parlait pas de ça, ce n’était pas grave. C'était comme ça, on ne te disait même pas ce qu'on faisait du bébé, alors que moi, il bougeait."

La perte de sens de son métier d'aide-soignante a elle aussi joué un rôle dans cette descente aux enfers, Un travail à la chaîne où les êtres humains perdent de leur personnalité pour devenir des numéros de chambre. Des heures de lever, de repas et de coucher inadaptés aux besoins pour rentrer dans les cases d'un planning rentabilisé. Une impuissance difficile à assumer pour ceux et celles qui le prennent à cœur.

Des blessures sur le chemin de la vie comme nous en traversons tous, plus ou moins, et que nous gérons, comme nous le pouvons. Quand ses enfants sont partis de la maison, Josiane s'est sentie inutile. Elle a proposé son aide à des associations caritatives mais ces activités ne comblaient pas le vide omniprésent. C'est à ce moment-là, que cette satanée bouteille, vidée verre après verre a choisi pour s'imposer.

Tu te dis, je suis bien quand j'ai bu. Je dors, je ne pense à rien, je ne vois personne. Après, c'est un engrenage, ton corps a besoin, ta tête a besoin, même si tu sais que ce n'est pas bien

Josiane

Quand Josiane a pris la décision d'entrer en cure de désintoxication, ses proches n'ont pas compris, ils étaient en colère. Admettre son alcoolisme, cela les remettait certainement aussi en question. Le sentiment de culpabilité n'est jamais loin quand l'un des siens est en souffrance, Josiane en sait quelque chose. Une mise en lumière d'un mal qui jusqu'alors avait trouvé refuge dans les méandres de l'ombre et des cris silencieux.

Marie-Hélène

Marie-Hélène a fait une carrière de danseuse au théâtre et à l’opéra, principalement au Capitole de Toulouse. Un métier artistique qui demande rigueur, équilibre et discipline.

Pour être au centre de l'attention, Marie-Hélène se mutilait en tapant sur sa cheville avec un marteau, feignait de s'être blessée en dansant pour jouer la jeune fille courageuse qui ne s'arrête pas à la moindre blessure.

J'avais un gros besoin de reconnaissance, alors au travers de la danse et du public, la reconnaissance, tu l'as tout de suite. Moi, ça me remplissait.

Marie-Hélène

Son courage et sa persévérance saluée par les autres danseurs la remplissaient de nouveau. S'entendre dire qu'elle était irremplaçable la comblait et effaçait la douleur. Se remplir, un verbe employé par Marie-Héléne qui entre en résonance avec son besoin irrépressible de boire encore et encore. 

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Marie-Hélène ©France télévisions

Boire pour tenir debout, pour ne plus trembler, soigner le mal par le mal pour "être d'équerre, pour être d'aplomb." jusqu'à la prochaine alerte.

Marie-Hélène a essayé plusieurs fois de mettre fin à ses jours. Son envie de disparaître l'emporte sur toutes ses raisons de vivre, même son amour incommensurable pour sa fille Flavie ne fait pas le poids.

Comment trouver les mots pour répondre à son enfant quand il vous demande "ça veut dire que tu ne m'aimes pas ?" Comment lui expliquer que le besoin de mourir, de s'effacer, est plus fort que tout,

Annie

Annie, exerçait le métier d'infirmière libérale, comme ses deux amies, elle est à la retraite. Elle a toujours aimé lever son verre pour trinquer tout en faisant la fête.

Quand son papa décède, Annie est enceinte. La joie de la naissance prend toute la place et pose un lange sur la tristesse qu'elle aurait dû ressentir. Le travail de deuil ne se fait pas, l'effet boomerang est sous-jacent. Annie boit plus que de raison, fait le tour des épiceries pour se garantir un stock de bouteilles suffisant. Elle continue de travailler, personne ne voyait rien.

J'avais ma dose, je buvais et je partais tranquille au boulot pour faire mes prises de sang, je ne tremblais pas.

Annie

Avec le recul, bien qu'elle estime qu'elle ne sait pas encore si dans sa tête, elle a vraiment tout compris, elle qualifie son comportement d'inconscience aggravée. " Je conduisais et je prenais des gosses dans la voiture."

La vie d'après

Sept ans après ces premiers témoignages, Rémi Jennequin est retourné à la rencontre de Josiane, Marie-Hélène et Annie. Toutes trois sont toujours restées en contact et se soutiennent mutuellement. Annie écrit, elle tient un journal intime où les mots se déposent et s'ancrent sur le papier. Elle s'adresse à celle qui lui a volé vingt-cinq ans de sa vie, à sa "funeste confidente".

J'ai fait six tentatives de suicide et j'ai été enfermée huit fois. Je te souhaite toutes les défaites du monde et rien que pour mes enfants, tu as toute ma haine.

Annie

Marie-Hélène, victime d'une intoxication médicamenteuse a perdu de son autonomie. Soutenue par son compagnon, elle avance avec lui, main dans la main. Dépendante de sa présence, elle a conscience que sans lui, tout deviendrait bien compliqué !

Comme l'écrit si bien Annie, "J'ai eu trois vies, avant toi, avec toi, après toi", un message d'espoir, l'horizon à la sortie du tunnel, pour toutes ces femmes qui n'y croient plus.

Le documentaire "Je suis allergique aux fraises", de Rémi Jennequin à voir ce jeudi 11 avril à 23h sur France 3 Centre-Val de Loire et à retrouver sur france.tv. Une Coproduction Simone & Raymond Productions, Les Films du Tambour de Soie et France 3 Bourgogne-Franche-Comté.

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