Va-t-on pouvoir choisir sa mort en France ? Le dernier tabou politique devant l'Assemblée nationale ce jeudi

Ce 8 avril doit être discuté le projet de loi pour une aide médicale active à mourir, un débat qui pourrait bien avoir déjà été confisqué par quelques opposants. En Centre-Val de Loire, le débat fait rage, y compris au sein de la majorité LREM-MoDem.

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"Ce qu'on veut en 2021, c'est que nous ne soyons pas confrontés à la souffrance, que nous puissions partir apaisé. Je considère que l'homme doit maîtriser son destin. C'est un sceau civilisationnel extrêmement important." Pour le député LREM du Cher François Cormier-Bouligeon, les objectifs sont très clairs. Ce 8 avril, c'est jour de vote à l'Assemblée Nationale pour le texte qui consacre l'aide médicalisée active à mourir. Voté en commission le 31 mars, il est maintenant examiné dans le cadre de ce que l'on appelle la niche parlementaire, des temps réservés aux différents groupes politiques pour discuter leurs propositions.

En France, va-t-on pouvoir choisir sa mort ?

Le droit à choisir sa mort est plus qu'un élément de débat public, c'est une lame de fond : début mars, pas moins de quatre textes sur le sujet se sont entrechoqués, à l'initiative d'élus issus du parti socialiste, des républicains et d'En Marche. Le dernier texte, déposé par le député Olivier Falorni, du groupe Libertés et Territoires, est finalement celui qui a rallié les parlementaires. Quelque 250 députés de tout bord se tiennent derrière ce projet de loi.

Le texte va un cran plus loin que la loi Claeys-Leonetti, révisée en 2016, qui autorise l'arrêt des traitements, de l'alimentation, et la sédation profonde du patient jusqu'à sa mort. Ce sont les services de soins dit palliatifs, quand il n'y a plus de guérison envisageable, qui prennent souvent en charge, aux côtés des familles, ce délicat passage.

"Dans notre société, est-ce qu'on s'accorde le droit de tuer autrui ?"

Certains opposants au texte d'Olivier Falorni, comme la députée MoDem du Cher Nadia Essayan, ne souhaitent pas dépasser le cadrage de la loi Claeys-Leonetti. "Je pense vraiment que s'il y a une urgence, c'est de donner à la loi les moyens de s'appliquer et de se renforcer, et aussi regarder dans les pays où l'euthanasie s'applique comment ça se passe. Ce n'est pas toujours si facile, ou toujours bien encadré. Il faut prendre de la distance entre ce qu'on imagine et ce qui s'applique, les dérives qui existent, avertit l'élue. Il faut se poser la question : dans notre société, est-ce qu'on accorde le droit de tuer autrui, de faire sauter cette barrière culturelle et anthropologique du "tu ne tueras point" ?

Pour elle, le coeur de l'effort, c'est donner aux services de soins palliatifs les moyens de se développer. Une stratégie également plébiscitée par le gouvernement, qui a annoncé le 11 mars dernier un plan national de développement des soins palliatifs.

"Il y a énormément de besoins. Le pas en avant est nécessaire, mais il y a beaucoup à faire, au niveau des moyens comme des mentalités. Par exemple, il y a beaucoup de manques dans la gestion de la douleur, et c'est le premier pas. Le deuxième, c'est établir une relation digne avec les patients, les mettre dans une situation de dignité totale quelque soit leur état" rappelle Nadia Essayan.

La loi Claeys-Leonetti, une solution "un peu datée"

Le député LREM d'Indre-et-Loire, Philippe Chalumeau, médecin, est membre de la commission qui réfléchit depuis le début du quinquennat à la question de la fin de vie. "J'ai eu l'occasion de faire du soin palliatif dans ma pratique. Cela réunit les personnes dont on sait qu'elles ne peuvent pas guérir, et c'est extrêmement large. Cette loi n'empêche pas le développement des soins palliatifs, c'est une possibilité parmi de nombreuses dans le champ du soin palliatif" rectifie-t-il.

Pour lui, ne pas légiférer sur l'aide médicale active à mourir est même une hyprocrisie. "On fait ça sous le manteau, ou alors à l'étranger, un peu comme avant la légalisation de l'avortement. On jette un voile pudique là-dessus et nous, on propose de la transparence et un encadrement. Le droit permet une équité pour tous les concitoyens et permet d'avancer, y compris lorsqu'on touche à l'intime."

Le député François Cormier-Bouligeon, lui aussi membre de la commission Fin de vie, abonde dans ce sens. "La solution Clays Leonetti est un compromis un peu daté qui consiste à dire qu'on ne veut pas mettre en place l'aide médicalisée active à mourir, et on a opté pour la sédation profonde, l'arrêt des traitements et de l'alimentation jusqu'au décès. Mais ça peut prendre quelques heures ou plusieurs jours, et quand votre corps dysfonctionne gravement, que les organes lâchent les uns après les autres, ça peut être extrêmement impressionnant physiquement. Je pense que la souffrance psychologique à entrer en agonie sans savoir quand on va mourir est important."

L'élu du Cher le rappelle : une fois la sédation profonde amorcée, "on n'a aucune idée des souffrances réelles de la personne. Dans ces cas-là pour moi, l'humanité consiste à permettre à la personne de partir rapidement."

Les deux hommes, qui travaillent cette proposition de loi depuis plusieurs semaines le martèlent : la loi Falorni n'est pas une consécration du suicide assisté. "On est sur un sujet extrêmement grave. La liberté de conscience est concernée, ça touche à des questions de profonde humanité, aux convictions, à la philosophie et la spiritualité de chacun. Il faut donc bien construire le périmètre du sujet et dire qu'on ne crée pas à un droit absolu à la mort assistée" tempère François Cormier-Bouligeon.

Philippe Chalumeau détaille : "On reste bien dans le cadre très strict de l'agonie d'une personne majeure, avec évidemment une clause de conscience des médecins. Deux professionnels différents seront contactés pour s'assurer du contexte pathologique dans lequel on se situe, celui d'une souffrance qui ne peut pas être apaisée, et le consentement libre et éclairé du patient."

Fin de vie : le débat confisqué

Sur cette grave question qui ne laisse personne indifférent, la commission transpartisane a débattu 8 heures durant. Des échanges dont la qualité a été saluée par le député-médecin Philippe Chalumeau. "C'était un échange de très haute tenue, où nous avons considérablement fait avancer le texte. A la fin, Olivier Falorni l'a dit : "ce texte n'est plus le mien, c'est le nôtre". Le texte a été voté à une large majorité, c'était plutôt un beau moment" raconte-t-il, un peu ému.

Seulement voilà, la discussion à l'Assemblée Nationale ne se fera pas dans cette ambiance de franche camaraderie. Dès l'adoption du texte, une poignée de députés de la droite ont massivement déposé des amendements, chacun rallongeant le temps nécessaire à l'examen. In fine, quelque 2700 amendements ont été déposés, quelques députés en ayant pris à leur charge plus de 400. Problème : la niche parlementaire exige l'examen et le vote du texte en une seule journée, sous peine de voir le projet tomber à l'eau. Avec tant d'amendements, et si peu de temps, le sort de la loi Falorni est déjà réglé.

Plus de 270 députés, dont Philippe Chalumeau, ont cosigné dans le JDD une tribune s'indignant contre cette pratique d'obstruction parlementaire. " Le dépôt de 500 amendements à la virgule sur un texte de six articles, ils le font sciemment. Mme Ménard, qui dépose 160 amendement, a pu s'exprimer, débattre en commission, être écoutée, et on en arrive là. C'est intellectuellement malhonnête d'utiliser le droit à l'amendement, le fondement de la liberté des députés, pour empêcher d'autres de s'exprimer. Je trouve ça misérable. Quand on ne peut plus opposer les idées aux idées et qu'on doit utiliser ces subterfuges... C'est vraiment une dernière cartouche, peste l'élu. Victor Hugo disait : "Rien n'arrête une idée dont le temps est venu". Je pense que c'est le cas pour ce nouveau droit."

Pour Nadia Essayan, l'élue du Cher et fervente opposante au texte, ce coup de théâtre est une très bonne nouvelle. "C'est normal qu'on prenne le temps d'en débattre et je suis tout à fait d'accord qu'il ne soit pas discuté dans une niche parlementaire, ce n'est pas le lieu. Là, on autorise quelqu'un à tuer quelqu'un d'autre, on ne donne pas ce permis de tuer en 3h. Ici, le cadre n'est pas légitime. J'imagine que LR a des choses à dire ou à défendre, on a déjà fait des milliers d'amendements sur certaines lois parce qu'on voulait prendre le temps et il n'y a jamais eu de véto. Mais si on la vote dans un cadre qui est digne du sujet, je me soumettrais à l'avis général."

Interrogé sur cette problématique de la niche parlementaire, le député Cormier-Bouligeon balaie l'argument. "La Vème République est déjà allée trop loin dans la maîtrise de l'agenda parlementaire. Il faut respecter les prérogatives qui sont celles des députés, et il n'y a aucune raison pour que ces temps réservés ne puissent pas servir à légiférer sur des sujets importants. Je trouve ça normal que les représentants de la nation s'emparent de ces sujets, et aillent jusqu'au bout. Si des incidents de séance devaient conduire à ce que le texte ne puisse pas être voté à minuit, je ferai partie de ceux qui demanderont une nouvelle journée d'examen avant la fin du quinquennat. Je pense qu'on le doit aux Français."

Selon un sondage IFOP paru en 2019, 60% des Français se prononcent en faveur de l'aide médicale à mourir dans le cas d'une pathologie grave. 36% étaient favorable à l'obtention de ce droit sans distinction d'état de santé.

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