Charlie, 16 ans, non binaire : “être un homme ou une femme, pour moi, cela ne veut rien dire.”

De nombreux jeunes se disent non binaires, ou gender fluids. Ni homme, ni femme, entre les deux...Bousculant notre conception stéréotypée du genre. Charlie, 16 ans, se raconte.

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Cheveux courts, maquillé.e, parfois, ongles vernis, toujours. À l’âge de 14 ans, Charlie, née fille, ne se reconnaît plus, ni dans un genre, ni dans l’autre : "le mien est plutôt fluide, entre homme et femme. Je dirais que je suis non binaire. Etre un homme, ou une femme? Pour moi cela ne veut rien dire."
Comme Charlie, selon une étude  YouGov  réalisée pour l’Obs, 14 % des 18-44 ans, et 8% des plus de 44 ans se considèrent non binaires. 
On parle aujourd’hui de fluidité, d’une infinie nuance des genres, de gender fluids. 


Un corps toujours inconfortable

"Je ne me suis jamais senti.e confortable dans mon corps, confie Charlie. Mes premiers sentiments de malaise sont apparus à l’école primaire. J’ai commencé à me poser des questions en 6 e. Au collège tout est très genré, filles d’un côté et garçons de l’autre. Et je ne comprenais pas pourquoi on faisait autant de différence. En 4 e,  j'ai réalisé que je ne me sentais pas “fille” . Au début, je pensais que c'etait l’adolescence. Mais peu à peu, son malaise s’accentue. Charlie ne sent pas bien dans le genre ( féminin )  qui lui est attribué. Ni dans l’aspect du corps qui correspond à son sexe biologique.  


La non binarité a toujours existé

Pour Maud Yeuse Thomas, anthropologue et co-fondatrice de l’Observatoire des transidentités, ce n’est pas un phénomène nouveau : "la non binarité  a toujours existé, mais de manière discrète, comme les personnes trans, intergenres. Des termes adéquats manquaient face à une société et une culture binaire hégémonique, c’est-à-dire ne reconnaissant pas cette identité. La lenteur de leur émergence sociale est liée au contexte naturaliste prônant un lien sexe-genre de nature biologique, où le sexe précède le genre."
Comment devient-on non binaire?  " Les chromosomes et hormones définissent comment est l’organisme, non le devenir et l’organisation de société. Comment deviennent les hommes et femmes ? Par le jeu de l’assignation, l’adhésion contrainte à celle-ci, l’obligation à une éducation dans un genre unique, fixe et intangible. Mais aussi, leur subjectivité, désirs, émotions, ressentis. Il en est de même des non binarités." 

Pour Karine Espineira, sociologie du genre, autre co-fondatrice de l’Observatoire des transidentités, et membre du laboratoire d’étude de genre et de sexualité à l’université
Paris VIIII, "Genderfluid, non binaire, agenre. À travers ces qualificatifs,  les personnes cherchent à se nommer elles-mêmes et à se situer dans le monde en fonction de leurs expériences de vies."

Et quand, comme Charlie, on naît dans un corps qui ne correspond pas à ce que l’on ressent, l’existence peut être synonyme de mal être. 


En quête de son identité 

Troublée par ce corps et ce genre qui la dérangent, à 14 ans, Charlie veut comprendre l’origine de son tourment intérieur. Et commence à chercher des réponses à ses questionnements sur internet : "je suis allé.e sur les plateformes de personnes transgenres. Au début, je me suis dit “peut être que je suis un garçon”. Et en continuant mes recherches, je suis tombée sur le terme non binaire. Et peu à peu je me suis rendu.e compte que c’était probablement ce que je ressentais, et que je n'étais pas seul.e à traverser cela."

Selon l'anthropologue Maud Yeuse Thomas : "internet a joué un rôle considérable en propulsant les subcultures minoritaires de genre , en offrant à ces groupes un « territoire en ligne » s’ajoutant et contestant le modèle binaire." Facebook propose plus de cinquante options d’identité de genres…

Charlie se dit transgenre, car son identité de genre est différente de celle qui lui a été assignée à la naissance. Et, de fait, se reconnaît pleinement dans la communauté LGBT+. 
Dans sa chambre trône un drapeau Arc-en-ciel. Une bannière rassurante: "cela m’apporte beaucoup de joie. Cela fait me fait penser aux bons souvenirs de la Gay Pride de l’an dernier. Personne ne se connaissait, mais savoir qu'on avait tous un  lien qui nous rapprochait me donnait un sentiment de sécurité."

 


Le rôle des artistes

Dans sa quête d’identité, Charlie se laisse emporté.e, et porté.e, par des stars anglo-saxonnes qui incarnent des rôles modèles, comme les chanteurs anglais Harry styles, Yungblud, ou Sam Smith, officiellement non binaire : "avoir des idoles, qui soutiennent la communauté LGBT+,  dont les personnes non binaires, renforcent notre capacité d’acceptation de notre identité."  

"La pop culture a aussi joué un rôle primordial dans l'explosion des revendications des personnes non binaires, explique l'anthropoloque Maud Yeuse Thomas. Elle incarne une sensibilité parfois en avance sur son temps. Le fait que cela passe par des canaux artistiques lui confère par ailleurs, cette aura de liberté qui n’a d’autre contrainte que d’assumer cette liberté. Un chanteur comme Bowie, un mouvement musical comme la culture gothique et new-wave a véhiculé une aura d’androgynie. "

 

  

Des parents bienveillants et compréhensifs

Le cheminement de Charlie prend du temps. Non binaire, mais aussi gender fluids, ou transgenre. Les mots se bousculent. Mais tout est encore flou dans sa tête, et dans son corps : "Je me suis dit qu’en en parlant à mes parents, ça allait peut être m’aider.  Car j’étais certain.e que, eux, n’auraient pas de problème avec ma nouvelle identité.
Au début, ils étaient encore plus perdus que moi. Je ne savais plus trop où donner de la tête car il fallait que je me trouve moi et que je réponde à leurs questions." 


Pendant quelques jours  la famille est  perturbée : " la première réaction de ma mère a été de sortir son ordinateur pour qu’ensemble, on tente de comprendre ce que je ressentais. Papa m’a lui posé beaucoup de questions. C'était des réactions  plutôt bienveillantes." 

Isabelle et Yves, les parents de Charlie ont pris du temps pour comprendre. Mais ils ont tout de suite accepté sa nouvelle identité : "leur en avoir parlé, le fait qu’ils m’acceptent comme je suis m’a beaucoup aidé.e à m'accepter moi-même."   
Finalement, après seulement six mois de recherches et de réflexions, Charlie est enfin sûr.e de sa nouvelle identité : non binaire. 

 


Le prénom, symbole de l’identité

"Le genre touche à notre identité, donc les mots qu’on va utiliser pour nous appeler vont changer. Pour moi, cela a donc beaucoup plus de conséquences qu’un coming out d'orientation sexuelle", me confie Charlie.

Exister, en harmonie avec son identité devient essentiel.  Pour cela,  Charlie doit amorcer une révolution culturelle au sein de sa famille : la langue française est une langue binaire. Et on vit aussi dans un monde binaire où tout est genré : "le prénom, qu’on m'avait donné à la naissance est complètement féminin". Charlie préfère qu'on ne le cite pas : "J’ai préféré Charlie qui est unisexe. J’ai demandé à mes parents, mes amis, et mes professeurs de m’appeler comme ça. C’est mon père qui a le plus de mal. Mais pour tous les autres, il n'y a eu  aucun problème." 

Certes Isabelle, et Yves font preuve d’une ouverture d’esprit admirable à son égard. Mais appeler son enfant avec un prénom différent de celui qu’on lui a choisi à sa naissance, c’est évidemment déstabilisant. Et cela prend du temps : "quand ils parlent de moi à Gabrielle, ils disent encore” ta soeur”. Parfois, ils nous appellent “les filles à table !". Ca m’énerve. Mais cela fait 16 ans qu’ils ont cette habitude. Je sais que ce n’est pas délibérément méchant. Papa a encore du mal. Il m'appelle souvent  encore par mon prénom de naissance."

Pour Charlie, le plus important c’est le prénom : "mais s’il y a le pronom en plus c’est mieux". Entre il et elle, il y a “iel”. C’est le pronom que certaines personnes non binaires souhaitent qu’on leur attribue. Charlie n’aime pas trop cette sonorité, et préfère “il” : "je demande souvent aux gens de me parler au masculin, pour essayer d’établir un équilibre. Car j’ai été appelée au féminin pendant 15 ans. Et aussi parce qu’en français, le neutre est masculin." 


Une intégration aisée au lycée

En septembre 2019, Charlie choisit d’intégrer la section internationale du lycée de Sèvres, dans les Hauts-de-Seine. Une décision, en partie liée à sa nouvelle identité. Au-delà de la volonté d’une éducation bilingue, il y a le choix de l’anglais : une langue non genrée. "Maintenant la moitié de mes ami.es sont bilingues. Et pour dire Charlie, là-bas ils utilisent les pronoms “they et them” :  c’est le neutre de il et elle, au pluriel comme au singulier."  

Lors de sa rentrée au lycée, en septembre 2019, Charlie décide d’assumer son identité, courageusement.  Et demande à chacun.e de ses professeur.e.s de l’appeler Charlie, à la place de son prénom de naissance. Elle appréhende leur réaction. Elle sera surprenante  : "tout s’est très bien passé. Ils n’ont posé aucune question. Même le principal m'a dit que si un jour je voulais changer mon prénom officiellement, j’aurais juste à aller le voir.

Charlie n’en revient pas, se sent rassuré.e, soulagé.e. Faire changer son prénom sur sa carte d’identité. Il y pense, bien sûr. Et ses parents sont d'accord : "J’ai les papiers. Mais j’attends d’avoir accumulé suffisamment de preuves  pour que la demande acceptée. Car il faut prouver que c’est le prénom qui est utilisé le plus au quotidien, sur tous les courriers que l’on reçoit, et dans les listes de contacts des téléphones de ses parents, entre autres."


Et même aux Scouts ...

Le chemin de Charlie va croiser d’autres horizons humains : les scouts et guides de France, catholiques, contrairement à lui. Mais peu lui importe. Ses "meilleures amies sont là-bas". Les Scouts de France sont réputés très ouverts d’esprit, certes, mais encore une fois la surprise est belle : "Lors d’un camp d’été, mes chefs ont vu que l’on m’appelait Charlie. Ils m’ont dit : pas de problème, on demandera aux autres de t'appeler comme cela. Les camps ne sont  pas mixtes. Je dormais avec les filles , et cela m’allait très bien. Et le  jour, j'étais dans une équipe de garçons. Ils ont tout de suite accepté et m’ont même demandé si je voulais des toilettes et une douche à part ! "


Un look fluide

Pour Charlie, un comportement, une manière de s’habiller ou de paraître ne définit pas le genre : "’j'ai un nombre incalculable d’amies filles qui n’ont jamais mis de jupes et d'amis garçons qui mettent des jupes. Pourquoi un morceau de tissu devrait définir le pronom. Le style androgyne me correspond."

Charlie préfère porter les cheveux courts.  Mais peut imaginer un jour les faire pousser ou même se raser une partie de la tête : "je n’ai jamais porté de jupe ou de robe. Un jour je vais m’habiller en arc en ciel, le lendemain tout en noir. Mon style est fluide. Je pars du  principe que tous les vêtements sont unisexes. Être non binaire c’est s’ouvrir à un monde sans frontières, bouleverser les codes de la société : "je me maquille car j’en ai envie.  Mais cela ne veut pas dire que je me sens plus féminine. Et je trouve le maquillage plus beau sur quelqu'un de masculin." 

"Nous nous identifions beaucoup par nos codes vestimentaires, les habitudes de tel ou tel métier, de tel ou tel milieu social ou familial,  explique Karine Espineira, co-fondatrice de l'observatoire des transidentités. Comment déconstruire ou bousculer la binarité sinon en se jouant et en déjouant le codes stricts du féminin et du masculin ? Ou plus simplement, en prenant ce qui nous plait d’ici et de là, sans se poser les questions du genre et des convenances, en s’affranchissant de normes que l’on doit d’ailleurs interroger. "


Une possible opération chirurgicale 

Ses tenues vestimentaires, Charlie le confie, "c’est souvent un moyen de dissimuler mon corps car je ne l’aime pas. C’est pas hyper fun d’être trans car on est mal dans son corps en permanence. Je me sens toujours entre les deux, mais certains jours, si on m'appelle "elle" toute la journée, je me sens bien. Et d’autres fois, cela peut me mettre très mal à l’aise... Ce sont des jours ou je me sens moins bien dans mon corps. Et si on m’appelle” il”, cela va m’aider psychologiquement." 

Ce que Charlie déteste le plus dans son corps, c’est sa poitrine : "j’en suis venu.e à mettre des binders. Ce sont comme des brassières de sport, qui aplatissent les seins.  Je me suis un peu résigné.e, je fais avec. "

Charlie veut trouver un remède à son malaise. Il évoque un possible traitement  hormonal à base de testostérone : "je voudrais avoir des traits plus masculins, une mue de la voix, pour créer un équilibre physique entre le masculin et le féminin."
Le traitement hormonal est autorisé à partir de 16 ans, avec l'accord des parents bien sûr. Mais Isabelle et Yves ne laisseront pas Charlie s'engager dans une transformation  de son corps, sans un accompagnement médical et psychologique en profondeur. Car les conséquences sur son organisme, sur sa santé, peuvent évidemment être très lourds, et irréversibles. Ils s'assureront donc que son choix soit mûrement réfléchi et sans risque médical. 
Enfin, Charlie évoque aussi une possible opération chirurgicale : "me faire enlever la poitrine,  j’y pense oui. Mais j’ai le temps, il faut que j'attende 18 ans..." 


Une sexualité libre

Concernant sa sexualité, Charlie n’a pas de préférence : "je suis attiré.e autant  par les filles, que par les garçons, ou par les personnes non binaires. Je me moque du genre de la personne qui est en face de moi. L’essentiel c’est l’humain, c’est l’être."
"Être non binaire n’implique pas que l’on soit homosexuel.le ou bisexuel.le, explique Maud Yeuse Thomas, anthropologue et co-fondatrice de l’Observatoire des transidentités, certains sont justement, plus ou moins asexuel.le.s, polyamoureux. " 


Non binaire dans une société binaire 

"Je n’ai jamais eu de regard négatif à mon égard, bien au contraire... Dans ma génération, LGBT+ ou pas on s’en moque...les gens font ce qu'ils veulent. Mais je sais que pour d’autres cela ne se passe pas très bien". Charlie ne clame pas sa non binarité mais ne s’en cache pas : "quand je dis que je m’appelle Charlie, les gens ne savent pas si je suis fille ou garçon. Si on me demande, j’explique. Quand je le peux, je me fais appeler “il”. Mais parfois il faut faire des compromis, quand je dois choisir entre homme et femme." Charlie va plutôt dans  les toilettes des filles, mais prône des  toilettes non genrées dans espaces publics.

Comment, aujourd’hui se positionner, se projeter, se construire, quand on est non binaire, dans un monde, une société où tout est binaire, genré, masculin, féminin ? Pour la sociologue du genre Karine Espineira, "il faut sortir de toutes les formes d’isolements et de silences. Nos groupes d’appartenances peuvent être une force de construction et de solidarité. Les parents, les proches, les enseignant.e.s, les camarades de classes et bien d’autres, ont un rôle important à jouer en étant soutenant, à défaut de parvenir à tout comprendre. Je dis réseaux, solidarités et soutiens. L’un des objectifs c’est bien de favoriser des médiations et des inscriptions culturelles positives."


Un 3e genre neutre...

Fort.e de ses 16 ans, Charlie fait partie de ceux et celles qui veulent bousculer les lignes administratives, pour donner aux personnes non binaires, une place officielle, au sein de la société française : "j’aimerais qu’on inclut le 3e genre, neutre, qui existe. Je souhaiterais que, comme à New York, parmi les cases de l'état civil, il y ait le F pour elle, le M pour il, et le X pour le 3e genre neutre."

A ce propos, la sociologue du genre Karine Espineira est sceptique : "notre langue est très genrée par rapport à d’autres. Quand je vois déjà comment certains de nos académiciens réagissent à la féminisation de la langue et à l’écriture inclusive, je me dis que c’est pas gagné. Administrativement parlant, il doit y avoir moyen d’ajouter des cases et les dispositifs d’identification pourraient être souples. Cependant, ces mêmes cases pourraient devenir des stigmates et donner lieu à des discriminations suivant le régime politique."


“Ce n’est pas seulement la tendance de la génération Z”

La non binarité, la fluidité du genre est-elle un phénomène de mode, l’apanage de la jeune génération ? "Non, explique Karine Espineira, "pour certaines personnes, ce sera l’histoire d’une vie. Pour d’autres, peut-être un passage et une étape dans l’expérience de vie. Mais j’ai rencontré des personnes non binaires, qui ont passé le cap des 60 ans. C’est souvent une question de mots et des réalités qu’ils traduisent, que la culture valorise ou dévalorise, à un instant donné, qui entre aussi en jeu."

Faire connaitre la non binarité, faire évoluer les mentalités. Ce sont les motivations qui conduisent Charlie à s'exprimer : "même si toutes mes expériences étaient très positives, il a fallu dire et expliquer quelque chose qui n'est pas connu. On en parle très peu.  Personne ne sait vraiment ce que c’est. Et certain.e.s peuvent même penser que c’est “n’importe quoi”, que c’est la tendance de la génération Z pour se donner de l'importance. Je voulais témoigner pour dire que ce n’est pas une lubie. C’est réel." 

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