En pleine crise sanitaire, les audiences jugées non urgentes sont reportées à plusieurs mois. Afin de régler au plus vite les conflits parentaux qui impactent souvent les enfants, des avocats du barreau de Nanterre ont créé un service de médiation d’urgence.
Avocate au barreau des Hauts de Seine, Me Laurence Reboulleau se consacre essentiellement aux affaires de droit de la famille. Depuis le début de la crise sanitaire, sur son bureau, elle voit s’accumuler avec inquiétude des dossiers de familles en souffrance.
Une avocate préocupée depuis le début de la crise sanitaire
"Les parents nous appellent chaque jour : Une mère souhaite mettre fin à une garde alternée et demande la garde exclusive de son enfant de 4 ans, convaincue qu’il n’est pas bien chez son père. Un père n’a pas accès à sa fille et estime que ses droits sont bafoués. Une autre femme, partie de son domicile avec son fils, impose au père de le garder seulement un week-end sur deux, alors qu’il n’y a aucune décision de justice.", confie Me Laurence Reboulleau.
Dans son regard, cette volonté déterminée qui l’anime depuis près de 30 ans : rétablir une communication apaisée entre les parents, trouver une issue pérenne aux conflits qui déchirent des familles, aussi complexes et intenses soient-ils.
Depuis le début de l’épidémie du coronavirus, cette avocate engagée est effrayée par la situation de crise qui exacerbe les conflits, qui, faute d’audiences, risquent de dégénérer dans certains foyers.
Des enfants tiraillés plus longtemps à cause du confinement
Pendant cette crise sanitaire, seules les urgences extrêmes, comme les violences intrafamiliales, sont traitées par les tribunaux. Toutes les autres audiences seront renvoyées à plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Pendant ce temps, des couples qui avaient engagé une procédure de divorce, sont donc obligés de cohabiter, et se déchirent. Et au milieu, souvent, des enfants tiraillés, et mêlés au conflit de leurs parents. Une véritable maltraitance, reconnue aujourd’hui par les professionnels de la justice et de la santé : "on ne peut pas les laisser dans cette situation sans rien faire !" s’exclame Maître Reboulleau.
Un service de médiation d’urgence
Face à cette situation, des avocats du Barreau des Hauts de Seine formés à la médiation familiale, dont Me Laurence Reboulleau, ont décidé d’agir. Ils ont créé “Urgence médiation 92”, sous l’égide de l’ordre des avocats de Nanterre.Chaque jour, un avocat médiateur de permanence propose d’informer les personnes intéressées par la médiation.
Pour le contacter, il suffit d’adresser une demande à l'adresse suivante : urgencemediation@barreau92.com. Ils seront rappelés dans la journée.
L’avocat de permanence leur explique le principe et propose ensuite de contacter la “partie adverse” pour organiser rapidement une médiation en visioconférence :
explique Me Laurence Reboulleau."l’objectif est d’essayer de les amener à trouver, eux-mêmes, la solution à leur différend" ,
Ces démarches préliminaires sont effectuées gratuitement par les avocats. Seule la médiation elle même est payante. Et crise sanitaire oblige, les avocats sont solidaires : pour une médiation de deux heures, ils proposent un honoraire forfaitaire de 240 euros, à partager entre les deux parties.
Lors de la médiation, les deux parties peuvent être assistées de leurs avocats respectifs. Ils n’interviendront qu’au moment des propositions d'accords, pour vérifier que les intérêts juridiques de leurs clients sont bien préservés : " Attention, la médiation ne peut être une alternative judiciaire à tous les dossiers, précise Me Reboulleau, difficile d’imaginer une telle pratique dans le cas de violences conjugales, de rapports de force pathologiques, ou avec une personne qui n’est pas en possession de ses moyens, et serait donc incapable de défendre ses propres intérêts".
La médiation : une justice douce et efficace
Laurence Reboulleau fait partie de ces avocats partisans d’une justice douce et efficace. Elle s’est formée à la médiation en 2004 : "j’ai constaté, dans de nombreux dossiers, que l’affrontement et la décision judiciaire ne mettaient pas fin au conflit. Notamment dans les conflits entre personnes dont les relations sont amenées à perdurer. En effet, dans le cadre d’un procès, il y a toujours un gagnant et un perdant. Ce qui n'apaise pas les relations parentales et maintient l’enfant au coeur d’un climat conflictuel".Au cours d’une médiation, l’avocat médiateur, toujours neutre, ne va pas chercher à donner raison à l’un ou à l’autre. Chacun, à tour de rôle, va pouvoir s’exprimer sur ses besoins profonds. L’idée est que chacun soit entendu, et compris de l’autre : "l’objectif est de rétablir une confiance, et une communication apaisée entre les parents, explique Laurence Reboulleau. Lors des médiations, les deux personnes parlent à la première personne.On n’est pas dans l’accusation mais dans l’expression de son propre ressenti. Et naturellement, la communication s’en trouve apaisée."
Le médiateur reformule systématiquement les propos de chacun pour être certain que les deux personnes se comprennent bien : "par exemple, explique l'avocate, une mère pourra reprocher au père de ne pas savoir bien “s’occuper de l’enfant” et en demande donc la garde exclusive. Le médiateur lui demande alors ce qu’elle veut dire concrètement. La mère peut alors répondre : "en réalité je ne suis inquiète pour l’équilibre de mon enfant quand le père ne le couche pas à des heures régulières”. Le père ne se sentira pas accusé mais comprendra surtout qu’il faut rassurer la mère et sera plus enclin à proposer une solution.”
Le dialogue rassure la personne qui se sait écoutée, et permet à l’autre de mieux comprendre ses besoins, ses attentes : "dans ce contexte apaisé, poursuit Me Reboulleau, la médiation, peut permettre aux parents de construire ensemble un accord sur mesure."
Des médiations en visioconférence
Evidemment, crise sanitaire oblige, les médiations s'effectuent en visio-conférence. Une pratique qui a ses inconvénients, et ses avantages. Habituellement, lors des médiations, les deux personnes sont présentes physiquement : "ce qui permet au médiateur d’être attentif aux réactions de l’un.e quand l’autre parle, explique Me Reboulleau. On fait très attention à la communication non verbale, comme les gestes ou les postures, qui en disent long sur ce que chacun pense en réalité."
En visioconférence, impossible par exemple, de voir une personne hocher ou nier de la tête, quand l’autre parle.
En revanche, "cette pratique peut parfois mieux convenir à certain.e.s, lorsque la présence physique de l’autre génère chez lui trop d'émotions, comme la peur ou la colère" note l'avocate .
Des accords sur mesure donc pérennes
Les médiations n’aboutissent pas toujours à des accords. Mais, même si les deux parties sont finalement obligées de se présenter devant un tribunal, les échanges auront quand même permis de faire évoluer les positions de chacun.e : "Il faut accepter que cela ne fonctionne pas. Mais quand cela fonctionne, cela procure une grande satisfaction. Carles deux personnes auront trouvé une solution qui leur convient à tous les deux et qui sera donc pérenne", explique Laurence Reboulleau. Il n’y a pas de “gagnant”, ni de “perdant”, comme en justice. C’est un gage d’efficacité, car les perdants peuvent être tentés de multiplier les procédures ou refuser d'exécuter les décisions de justice. Les deux parties pourront ensuite faire homologuer leurs accords par le juge : "ce qui leur donnera la même force qu’un jugement, et obligera les deux parties à respecter ces accords", explique Me Reboulleau. Pendant la crise sanitaire, les juges aux affaires familiales de Nanterre se sont engagés à homologuer les accords, en priorité, avant les autres dossiers.
Une pratique en devenir
Les textes de loi et les juges encouragent de plus en plus le recours à la médiation. Car il permet de résoudre durablement les litiges et de désengorger les tribunaux aujourd’hui asphyxiés : "il faut espérer que la crise sanitaire permettra au moins de promouvoir la médiation", confie Laurence Reboulleau. Les familles doivent comprendre qu’elles sont les mieux placées pour trouver elles mêmes une solution à leur différend."De plus, “la durée moyenne d’une médiation est d’environ 10 heures. Elle permet d’aboutir à un accord en quelques semaines : "alors qu’on mettra des mois, voire des années, pour obtenir une décision de justice qui, de toute façon, ne mettra pas fin à la relation conflictuelle", conclut Me Laurence Reboulleau.