Confinement : la pollution du transport maritime scrutée depuis l'espace

L'observation de la Terre par les satellites montre de fortes réductions de pollution dans les grandes capitales européennes. Si le ralentissement général de l'activité économique est visible, les traces du transport maritime demeurent avec leur impact sur la santé et la planète.

Des yeux dans le ciel pour mieux décrypter la terre et les changements climatiques

Alors que la crise sanitaire nous impose de nous cloîtrer, une météo au beau fixe invite à se tourner vers le ciel d'une pureté inédite... Là-haut, à plus de 600 kilomètres de la Terre, derrière ce bleu presque irréel, les satellites Copernicus de l'Agence Spatiale Européenne, nous envoient sans interruption leurs clichés spectaculaires, de véritables trésors pour l'humanité. Synonymes d'espoirs, d'inquiétudes et de questionnements pour le monde d'après...

Philippe Willekens, directeur de la communication de l'Agence Spatiale Européenne (ESA), commente :

Ces satellites en orbite nous permettent de surveiller la fonte des glaciers, l'état de la biodiversité, la déforestation, étudier la température et le niveau des océans, mesurer la qualité de l'atmosphère et bien d'autres missions encore comme rrepérer le dégazage d'un navire ou une marée noire. Ces données constituent le grand almanach de l'histoire climatique. En cas de catastrophe naturelle comme les tsunamis ou les tremblements de terre, Copernicus, notre œil sur la terre, nous aide à développer la réponse qu'il convient, de créer une aide précieuse au dispositif d'urgence visant à aider des populations sinistrées.

La planète au ralenti n'échappe pas à la surveillance de l'espace

Entre janvier et février 2020, les images de Sentinel 5P (spécialisé dans l'étude des polluants dans l'atmosphère) révèlent une chute vertigineuse du dioxyde d'azote (NO2) au-dessus de la Chine, correspondant à la mise en quarantaine du pays. On note aussi une reprise de ces émissions à la fin du confinement en mars.
Le nord de l'Italie, région industrielle frappée de plein fouet par le Coronavirus affiche une spectaculaire chute de la pollution en dioxyde d'azote NO2 provoquées principalement par les véhicules, les centrales thermiques et diverses industries.
La diminution de la concentration en dioxyde d'azote est aussi très nette au-dessus de la France comme le montrent les deux images ci-dessous comparant le mois de Mars 2019 et la période 14-25 mars 2020, au tout début du confinement.

Ces observations ont été réalisées grâce à la spécificité du satellite 5P, sa haute résolution spatiale et ses observations précises des gaz à l'état de traces, inégalée note Claus Zehner, chef de mission au sein de l'ESA (Agence spatiale Européenne).

Elles nous permettent de générer des mesures uniques de la concentration en oxyde d'azote depuis l'espace

L'oxyde d'azote NOx est un polluant de l'air responsable de bronchites aiguës qui augmentent les risques de maladies respiratoires et cardiovasculaires.

Ce que nous révèlent les satellites sur la mer et les océans

La mer et les océans représentent 70,71% de la surface de la planète et n'échappent donc pas à la vigilance des satellites. Commençons par un cliché rare de Venise désertée après la décision du gouvernement italien d'imposer un confinement strict à partir du 9 mars. Sur celui du 13 avril 2020 ci-dessous on note une réduction drastique de l'activité sur la lagune et dans les canaux.
Le Grand Canal qui serpente au cœur de la Sérénissime et le Canal de Giudecca au sud, sont presque vides. Gondoles, vaporetto, bateaux taxis ont disparu des radars, tout comme les deux paquebots géants présents dans le port en forme de U à la gauche du cliché.  De même la circulation de Venise vers l'ile de Murano plus au Nord caractérisée par un trait blanc sur la photo de 2019, là aussi n'existe plus. Venise respire... On peut aisément comprendre que la réduction drastique de l'activité maritime au cœur de la cité lacustre chagrine les amoureux de la cité des Doges. Cependant beaucoup de vénitiens se réjouissent de la clarté des eaux de la lagune et de l'absence de vagues générées par le trafic fluvial qui attaquent les soubassements de la ville.

Le transport de marchandises touché mais pas coulé

Dans notre société globalisée, près de 90% des échanges commerciaux se font par voie maritime. Aujourd’hui, le transport de marchandises, est loin d'être à l'arrêt. Rotterdam, Anvers, Le Havre marquent le pas mais continuent d'accueillir des porte-conteneurs malgré la pandémie.
Laurent Foloppe, le directeur commercial du port du Havre, est catégorique :

On est sur un port stratégique, donc on fait tout pour que ça ne s'arrête pas !

Rodolphe Saadé PDG du géant marseillais CMA-CGM se dit confiant en déclarant à nos confrères des Echos:

Les consommateurs continuent d’acheter dans les hypermarchés et sur internet. Il y a toujours des marchandises à transporter. Nous sommes confiants sur le remplissage de nos bateaux jusqu’à fin avril, la situation va se tendre en mai. Nous estimons à 30% la baisse du transport maritime mondial.

Vu de l'espace, le transport maritime, secteur stratégique au cœur de l'économie mondiale, a de quoi inquiéter. L'application Windy, bien connue des navigateurs à la voile, livre une vision affligeante de certains lieux stratégiques hautement fréquentés du transport maritime.

Le détroit du Pas de Calais est un bon exemple. C’est la voie maritime la plus fréquentée au monde. Plus de 55 000 navires - soit le quart du trafic mondial - l'empruntent du rail d'Ouessant à la pointe de la Bretagne jusqu'au port de Rotterdam, 1er port européen.

Une pollution essentiellement due à la fréquentation des navires  

Christian Retscher, climatologue à l'Agence Spatiale Européenne, commente : « En effet cette pollution est essentiellement due à la fréquentation des navires », mais il ajoute avec prudence :

La nature chimique du dioxyde de carbone, son transport par les vents et les pluies en provenance de zones terrestres comme la Belgique, empêchent d'attribuer la totalité de cette pollution aux seuls passages des navires

En revanche, la ligne droite bien visible au large de la façade Atlantique entre la Bretagne Ouest et la Galice, au nord-ouest de l'Espagne ne laisse aucun doute. Moins concentrée que celle relevée en Manche, la pollution échappée des cheminées des navires de frêt ou de passagers empruntant cette route maritime, bien loin des centres industriels, est ici bien identifiable. 

Peu connue mais néfaste pour la santé et l'environnement

François Piccione, responsable Océan de la fédération France Nature Environnement - représentant près de 3 000 associations de défense de l'environnement - est peu surpris par ces traces de pollution atmosphériques sur le rail d'Ouessant.

On sait que la pollution de l'air par les navires est due à la teneur en soufre incluse dans les combustibles de la plus basse qualité -du fioul lourd - mais on sait moins que cette teneur en soufre est entre 500 et 3500 fois plus importante que celle dans le diesel de nos véhicules !

Une fois brûlé, ce carburant marin rejette du dioxyde de soufre (SO2).  Ce polluant connu pour son impact environnemental contribue à l'acidification des océans et l'apparition de pluies acides mais son impact sanitaire comme les maladies respiratoires, bronchites et autres irritations de la gorge est significatif. Sa combustion accélère la formation de particules fines qui pénètrent dans les ramifications de nos poumons. Selon France Nature Environnement, la pollution de l'air du transport maritime est responsable en Europe de la mort de 50 000 à 60 000 personnes par an. Il ajoute : 

En 2018 un paquebot produisait autant de pollution aux particules ultrafines que plusieurs centaines de milliers de voitures 

Les chiffres vertigineux de la pollution des paquebots de croisière 

Le transport de passagers achemine chaque année plusieurs millions de personnes. Une étude a été menée en 2018 par l'ONG européenne Transport et Environnement (T&E) basée à Bruxelles, sur le monde de la croisière. Faïg Abbasov, responsable du transport maritime de T&E, commente les choix de l'enquête « Nous avons choisi de mener cette étude sur les 203 paquebots de croisière qui entrent et sortent chaque année de l'Europe, parce que leur activité ne nous est pas apparue vitale pour l'économie et nous avons donc considéré qu'il s'agissait d'un secteur de luxe, pas indispensable ». L'étude porte sur les grands ports européens où les navires de croisière font escale. Et les résultats sont alarmants :

Barcelone, Palma de Mallorque et Venise, se partagent le triste podium des cités portuaires les plus polluées.

 
En effet, pendant ces arrêts, les paquebots continuent de faire tourner leurs machines pour alimenter leurs générateurs électriques qui maintiennent le fonctionnement interne du navire (chauffage, climatisation, réfrigérateurs…) et continuent d'expulser de leurs cheminées géantes un brouillard nauséabond.
Sur cette étude la ville de Marseille figure au 11ème rang européen, Le Havre au 28ème, Nice 47ème, Cannes 49 ème. Un comparatif intéressant de la pollution des navires avec celle des voitures par pays montre que la France figure au 4eme rang derrière l'Espagne, l'Italie et la Grèce.
Faig Abbasov poursuit en détaillant l'enquête de l'organisation européenne T&E - qui regroupe une cinquantaine d'ONG actives dans le domaine du transport et de l'environnement :

Nous avons ensuite pris l'exemple de Carnival, numéro 1 mondial de la croisière, puis nous avons calculé les émissions d'oxyde de soufre SOx sur l'ensemble de ses navires qui font escale en Europe et constaté ceci : ses 47 paquebots polluent 10 fois plus que les 260 millions de véhicules européens !

Ces chiffres inquiétants sont contestés par les décideurs de l'industrie du transport maritime. Mais ces derniers sont régulièrement mis en cause pour leur impact sur le dérèglement climatique. Responsable de 2,8 à 3% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, la mise au vert de cette industrie en pleine croissance semble inéluctable. Depuis cette étude, une importante mutation du transport maritime s'est s'amorcée pour réduire son empreinte écologique. 

Des carburants plus propres

Depuis le 1er janvier 2020, l'Organisation Maritime Internationale (OMI) (représentant 170 pays,) impose à tous les armateurs et compagnies maritimes de faire tourner les moteurs de leurs navires avec un carburant contenant 0,5 % de soufre, contre une teneur autorisée de 3,5 % jusqu'à présent. C'est un changement de cap qui pourrait sonner la fin de ce que les marins appellent le combustible de soute.
Au G7 de Biarritz en août 2019, Emmanuel Macron a défendu la réduction de la vitesse en mer.
Initiative soutenue par les armateurs français comme Jean-Marc Roué (Brittany Ferries) qui déclare : 

En réduisant la vitesse de 2 nœuds dans certains secteurs vous pourriez réduire de 30 % les émissions de C02

Ou encore Philippe Louis-Dreyfus, (Louis Dreyfus Armement) qui ajoute :

Je défends cette idée depuis plus de 10 ans, jusqu'ici dans l'indifférence générale. Je me réjouis qu'elle s'impose enfin.

Son échéance se situe à l'horizon 2023, si la proposition est adoptée cette année à Londres par l'OMI. Pour réduire l'intensité carbone des navires, d'autres solutions  sont également évoquées : l'abandon de carburants polluants, le passage au GNL, (Gaz Naturel Liquéfié) l'utilisation des épurateurs de fumée ou scrubbers, l'instauration d'un bonus-malus portuaire, l'alimentation à quai par électricité ou encore l'utilisation de voiles ou de cerfs-volants géants.

Enfin la France est à l'initiative de l'étude d'impact pour la création en Méditerranée d'une zone d’émission contrôlée (ECA) ou SECA (contrôle uniquement du soufre) avec un objectif de mise en place en 2022. Dans cette zone ECA, des normes plus sévères d’émissions seraient imposées aux navires comme une teneur en soufre des carburants marins de 0,1%. Il existe actuellement 4 zones ECA dans le monde : au Canada, aux États-Unis, en Manche-Mer du Nord et dans la mer Baltique.

Marseille, fumées noires sur ciel bleu...

À Marseille, lorsqu'il fait beau, le ciel n'est pas toujours bleu pour tout le monde. Dans la cité phocéenne, le terminal de croisière peut accueillir jusqu'à 4 et parfois 5 géants des mers par jour. Ce sont alors plusieurs barres d'immeubles flottantes qui bouchent l'horizon et crachent leurs fumées. Et cette croisière-là n'amuse plus du tout Michèle Rauzier de l'association Cap au Nord, qui milite pour un meilleur cadre de vie à Marseille

Quand ces mastodontes rentrent dans le terminal de croisière et qu'ils font leurs manœuvres, les vents nous ramènent une odeur de fioul insoutenable et là, je peux vous dire qu'on se barricade tous à l'intérieur, c'est tous aux abris !

Marseille, premier port de croisière de France avec plus de 500 escales annuelles, profite de la manne financière générée par l'activité touristique qui lui a permis de relancer la réparation navale dans la ville. Dans le même temps, les habitants des quartiers nord de la ville suffoquent. « On n'a absolument rien contre la croisière et c'est tant mieux si les gens peuvent s'offrir du rêve, mais on ne peut plus continuer comme ça. » et elle ajoute :

Il faut arrêter de générer des pollutions pareilles. La planète n'en veut plus et nous non plus !

… mais respire mieux depuis le confinement.

Sur les hauteurs de Marseille, Cap au Nord réaffirme son droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé comme le prévoit l'article 1er de la Charte de l'Environnement. L’association va encore plus loin dans le débat des navires de croisière de demain. Patrick Borg rejette l'idée du « scrubber qui lave les fumées avec de l'eau de mer mais dont les résidus de lavage repartent trop souvent à la mer ! Les armateurs ont plébiscité ce système de lavage de gaz, afin d'échapper à l'obligation de passer à un fioul à 0,5% de teneur en soufre ». 
Michèle Rauzier préfère quant à elle les navires au GNL, le carburant carboné le plus efficace d'un point de vue environnemental. Le regard vers l'horizon, elle ne cache pas son bonheur de vivre cette époque de confinement ou l'activité des croisiéristes est mise entre parenthèses :

Voyez ce soir, pour nous c'est fabuleux. Je peux enfin voir l'horizon dégagé. Il n'y a plus qu'un seul bateau, le Costa Smeralda de la Compagnie Costa et celui-là, il marche au GNL. C'est une aubaine pour nous. Pas de gros panaches de fumée et on se retrouve avec un air qui est… convenable, disons. Depuis le confinement je retrouve un peu des odeurs du quartier de mon enfance. On a enfin le droit de respirer...

Véritable pouls de l'économie, le transport maritime est en plein essor, avec une augmentation du trafic estimée à 2 % par an. Il se construit toujours plus de navires dans le monde et cette course au gigantisme laisse perplexe. Le temps du confinement est peut-être la bonne période pour les acteurs de cette industrie de se saisir enfin des enjeux sanitaires et environnementaux qui menacent la planète. Les photos prises de l'espace sont sans appel. Et le temps presse. 
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