"Il y a eu un petit coup d'Etat au Cercle ce matin", conversation enregistrée au Cercle Wagram. Le tribunal qui juge cette affaire mêlant jeux et banditisme corse devra s'en contenter, faute de plaignants, de témoins et de prévenus très diserts.
Il n'est pas fréquent que des magistrats disposent d'écoutes permettant de revivre les événements sur lesquels ils ont à se pencher. C'est le cas dans le procès du Cercle Wagram, cet établissement parisien pour lequel deux bandes corses se sont affrontées jusqu'à un "putsch", le 19 janvier 2011.
Des écoutes téléphoniques à l'accent corse
Le groupe d'hommes qui à 12h59 pénètre dans le bureau du trésorier de l'établissement lui exprime sans ambiguïté ses attentes: "Que tu t'en ailles... Que tu t'occupes plus de rien... Et que tu fasses bien passer le message". L'accent est corse, le ton pas spécialement agressif, aucune violence audible, mais l'équipe en place quitte le Cercle sans demander son reste. "On a eu un quart d'heure pour partir, basta", explique le physionomiste à un interlocuteur.
L'affaire fait les gorges chaudes des employés, avec une mention à Thierry B., véritable gazette téléphonique: "Tu es au courant ou pas ? ... Tu veux que je te dise ?" ; "L'ancienne équipe d'ici... Ils sont arrivés ce matin... Tout le monde dehors" , "Il y a eu un petit coup d'Etat au Cercle... les autres sont plus là".
Un procès sans parties civiles, ni témoins
Banal changement de direction comme le plaident les prévenus depuis le début des débats ou "extorsion" d'un business lucratif, soigneusement préparée par une "association de malfaiteurs", comme l'affirme l'accusation? Si les juges disposent du matériau inattendu des écoutes pour se faire une idée, ils leur manque une partie des acteurs traditionnels d'un procès: des plaignants, des témoins, et même certains mis en cause puisque trois sont en fuite.
Les membres de l'équipe évincée ne se sont pas constitués parties civiles, sauf une employée de la direction financière jamais venue au procès. Il faut dire que ses anciens collègues, victimes présumées du putsch, sont poursuivis pour blanchiment dans un autre volet du dossier.
Alors que des dizaines d'auditions, notamment d'anciens salariés du Wagram, ont été réalisées durant l'instruction, aucun témoin n'a été cité devant le tribunal par le parquet, encore moins par la défense. "Depuis la nuit des temps, des rumeurs disaient que la Brise de mer contrôlait le Wagram", a raconté aux enquêteurs un employé prolixe sur le rôle occulte prêté à ce gang corse. Le tribunal devra se contenter de ses dépositions, les prévenus se gardant bien de toute allusion à la "Brise".
Leurs dénégations confinent à l'absurde, à l'image de la directrice financière, pivot du Wagram, qui affirme avoir vu disparaître les dirigeants du jour au lendemain, sans se poser de question. "Ce n'est quand même pas +Ma sorcière bien aimée+ !" s'exaspère la présidente Cécile Simon.
Résignée également à se passer des explications de Jean-Luc Germani, soupçonné d'avoir mis sur pied le coup de force pour récupérer le cercle au profit des héritiers de son beau-frère, Richard Casanova, "parrain" corse assassiné en 2008. Germani a échappé aux interpellations, tout comme deux autres prévenus. L'un était parti faire un jogging a expliqué sa femme aux policiers débarqués chez eux en Haute-Corse. La présidente lui a souhaité "d'avoir arrêté de courir".
Les réquisitions sont attendues mercredi 19 décembre.