Tourisme et transports: la charrue avant les boeufs

Alors que le débat fait rage sur la qualité et le mode de transport à adopter pour la Corse, le constat se précise:  la tendance n’est pas à la hausse des passagers. Analyse d'un dossier complexe par le journaliste Alain Verdi

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Depuis des années, les politiques et les « socio professionnels » réclament une amélioration des transports avec la Corse.  En observant l’évolution du dossier depuis près de vingt ans, on peut se demander si le débat sur les transports, obsessionnel en Corse, n’est pas l’arbre qui cache la forêt.

Un problème stratégique, mais pas de débat sur la nature du développement économique

Dans une note de synthèse, intitulée « Les problèmes et les politiques de développement en Corse »,  Nadine Levratto chargée de recherche au CNRS écrit en 2002 : « Aucune monographie, aucune statistique ne montrent que le développement d’une économie insulaire présente une relation quelconque avec le régime de transports qui y est appliqué ». Page 175.

Depuis cette date, la situation confirme son analyse. Le régime réglementaire des transports entre la Corse et le continent français a évolué.  L’offre s’est particulièrement étoffée, la concurrence s’est développée. Mais les flux passagers et le volume de fret transporté n’a pas progressé en proportion de l’offre (voir plus loin).
Depuis de nombreuses années, le « problème des transports » est présenté comme « stratégique ». Depuis 2002,  plus d’une dizaine de sessions de l’assemblée de Corse ont été consacrée aux transports aériens et maritimes. En revanche, on peine à trouver des débats sur la nature du développement économique.

Transports : chaque île vit avec sa mythologie des transports. Si vous visitez un jour une région insulaire européenne où les responsables économiques et politiques vous disent que les transports leurs donnent satisfaction, alors cela veut dire que ces gens ont trouvé le secret de la pierre philosophale. La Corse n’échappe pas à la règle, avec des particularités…. comme il se doit.

L’île n’a que trois cent mille habitants, mais possède sept ports et quatre aéroports. Pour fixer les esprits, la Sardaigne (un million six cent mille habitants) possède cinq port et trois aéroports (le quatrième est quasiment abandonné).  La plus grande île de méditerranée, la Sicile (cinq millions d’habitants), compte trois aéroports et  moins de  ports de commerce qu’en Corse.

La multiplication des infrastructures aéroportuaires en Corse réduit leur possibilité de rentabilité, même constat pour les compagnies en charge du service public, obligée de disperser leurs efforts sur différents sites.

Pour le maritime, outre la particularité des nombreuses infrastructures, on peut noter un ratio offre de places -passagers transportés extravagant. Le tableau, ci-dessous, nous montre une suroffre conséquente sur les destinations subventionnées entre la Corse et le continent français.

       Offre par compagnie (2010)     Passagers transportés           Taux
       C.F.F. 6 millions de places                  2 millions de passagers          33.3%  
       S.N.C.M. 2 millions de places               830 000 passagers                   41.5%
       C.M.N.  436 000 places                     205 000  passagers      47%
       Moby  Lines 374 000 places               125 350 passagers    33.5%
 

Ce taux varie peu ces dernières années. Le premier constat, c’est qu’il se transporte peu de monde, si on fait une moyenne annuelle. La majorité des passagers se concentrent sur la haute saison. Il existe, quelque part un intérêt à proposer une suroffre.

Sachant que la totalité des compagnies maritimes, citées dans ce tableau ont été subventionnées et que le montant des l’argent public de la « continuité territoriale » baissera en 2014, de près de quarante millions d’euros, il ne peut s’agir que d’un intérêt à moyen terme.

Pour certains observateurs du monde maritime, les subventions dites « d’aide sociale », ont en fait « subventionné » la suroffre de place. Aujourd’hui, ceux qui ont organisé ce système s’appuie sur le constat de la suroffre pour justifier, en partie, la disparition de la subvention sur les ferrys.

In fine, en 2014, la Corse pourrait se retrouver dans la situation ante 1996.  L’île risque de se retrouver avec une compagnie de cargos mixte et un monopole privés sur les passagers.

Contrairement à ce qui se disait depuis des années : « l’offre importante permet de baisser les tarifs et d’augmenter le trafic », la Corse se dirige vers une normalisation. Il y aura moins d’offres et les tarifs sont à la hausse, à l’exemple de la Sardaigne voisine.  Depuis la publication de notre enquête, les chiffres de la perte de passagers ont été publiés. Le recul s’élève à moins un millions trois cent cinquante mille passagers maritimes sur les trois  ports du nord de l’île (Porto Torres, Olbia, Golfo Arranci).

La dotation publique de « continuité territoriale » est l’un des éléments de la « rente » dont parle Nadine Levratto. En écrivant son ouvrage intitulé « il y a-t-il une vie après la rente ? » en  2001, Nadine Levratto n’imaginait pas que le débat pourrait devenir « un combat pour s’attribuer ce qui reste de la rente ».

Plus souple l'aérien

Pour l’aérien,  à la forte saisonnalité et aux nombreux aéroports s’ajoute une clientèle majoritairement française. Les lignes reliant l’île à des villes européennes fluctuent,  Le nombre (faible) de vols charter à baissé. L’arrivée des compagnies « Low Cost » montre, en fait, les limites du marché actuel, notamment du marché international.

Le marché aérien est plus souple. Les compagnies peuvent louer des avions ou les utiliser sur d’autres marchés. Cette souplesse n’existe quasiment pas dans le maritime. Les armateurs sont obligés de disposer d’une flotte importante pour les pointes. Un navire ne se loue pas, à la demande, comme un avion.

En conséquence, les compagnies aériennes s’adaptent plus facilement aux réalités du marché. Les  « Low Cost » peuvent donc servir de « baromètre » aux besoins en  temps réel.  Si la ligne est rentable je mets un avion, sinon je l’utilise sur une autre destination.  Cette souplesse potentielle nous donne une indication importante.

Alors que les différents acteurs « socio professionnels » insulaires déplorent l’absence de lignes reliant la Corse à des grandes villes européennes, les compagnies « irrégulières » que sont  les « Low Cost »  nous donnent l’explication la plus logique : « pas de marché, pas d’avions ».  La compagnie allemande Germanwings dessert la Corse depuis plusieurs années,  cinq mois par an, à destination de plusieurs aéroports allemands. « Pourquoi ne pas venir toute l’année ou allonger la saison » ? Nous posons cette question au directeur des relations internationales de la compagnie. Angel Andreas répond : « Il n’y a pas assez de clients en basse saison. Nous devons remplir nos avions pour rentabiliser la notion de Low Cost. Venir en Corse en hiver ? La réponse est non ». Reportage à Cologne (siège de la Germanwings, Journal Télévisé Corsica Sera du 14 Aout 2008).

Le responsable de la compagnie allemande nous fait cette réponse, alors même que l’assemblée de Corse avait voté, un  mois avant, le principe d’une aide de plusieurs euros par billet pour les passagers venant d’aéroports européens.

Même si cela n’a pas valeur de sondage, nous posons la même question à plus d’une vingtaine de passagers dans l’avion qui ramène les touristes allemands dans leur pays. « Viendriez-vous en hiver » ?  Les réponses se ressemblent toutes, c’est « non ». En hiver « je vais skier en Finlande » ou bien « je visite telle grande capitale », etc. etc. Les touristes allemands nous font comprendre que la Corse demeure une destination soleil. Non pas qu’ils recherchent le soleil absolument, mais que « en hiver, il n’y a pas grand-chose à faire ».

Malgré ce raisonnement économique implacable, plusieurs organisations socio économiques continuent à demander la venue de compagnies Low Cost sur les aéroports de Corse. Demandes relayées par des élus qui font fi de toute réalité économique. Ainsi tel élu du sud de l’île demande au responsable français de la compagnie Easyjet de faire escale à l’aéroport de Figari. « Nous ne viendrons pas sur les aéroports secondaire, il n’y a pas de marché » (discussion avec François Bacchetta,  le Directeur Général d’Easyjet France en 2008). 
Pourquoi des compagnies dont la raison d’être est la rentabilité viendraient-elles sur de petits aéroports, sur une destination fortement concentrée en haute saison ?

Les principales compagnies Low Cost qui viennent en Corse le font quand il y a du grain à moudre. Easyjet relie quelques villes européennes à Bastia et Ajaccio. La fréquence des vols s’adapte à la demande. La demande, de la part des élus et des socio professionnels de « lignes Low Cost supplémentaires »  reste donc une vue de l’esprit. Ce genre de ligne n’existe que quand il y a un marché et visiblement il n’y en a pas. Dans l’île, un certain nombre de responsables économiques et politiques confondent un désir  avec une réalité. La réalité, pour une entreprise, c’est une équation simple : il faut que la demande (sur une ligne précise) permette de rentabiliser l’offre. A l’évidence, la demande est insuffisante, puisque même une ristourne (payée par le contribuable) n’attire pas les compagnies.

Une compagnie Low Cost, l’irlandais Ryanair,  relie l’aéroport de Figari à Charleroi (Belgique) et Stansded (Londres),  en haute saison. Malgré une subvention mixte (public/privé) la compagnie a arrêté de naviguer en basse saison et menace de ne plus venir du tout.

La charrue des transports…le bœuf économique

 Il n’y a pas de fatalité géographique, mais des choix politiques. L’aménagement du territoire est un acte politique majeur. Les autorités nationales et régionales ont fait le choix de la multiplication des infrastructures aéroportuaires, au détriment du réseau routier.
L’explication « géographique » est un paravent facile. L’île portugaise de Madère (moins de 270 000 habitants), n’a que deux ports et un aéroport. Madère possède un relief particulièrement accidenté, avec une quasi absence de surfaces planes conséquentes. L’île dispose d’un réseau autoroutier  -avec ponts et tunnels- bien développé.
    
De la même façon, il n’y a pas de fatalité sur les choix économiques.

En Corse, le nombre de chambre moyen par hôtel est de vingt huit (28) chambres. L’hôtellerie demeure, majoritairement familiale. Même si la montée en gamme est réelle, les capacités globales n’ont pas beaucoup progressé.  Cette moyenne de 28 chambres n’est pas un hasard. Elle correspond à autobus.  Le « mètre étalon » de l’hôtellerie reste donc une cinquantaine de personnes correspondant à un autobus. Non seulement ce modèle est daté (années 50/60), mais il pose le problème du coût du transport aérien.

La baisse des tarifs aériens passe par un « effet de masse ». Il existe deux types de « masses » :

  • La « globale », c'est-à-dire un nombre considérable de personnes transportées dans l’année ou sur une période donnée. Dans ce cas, la péréquation tarifaire se fait sur le nombre et permet de grouper le transport. Dans ces conditions, les moyens de transports sont assurés de bénéficier d’un taux de remplissage élevé. Ceci permet une politique de prix limités, à certains moments.
Dans cet effet de « masse globale »,  le charter comme le low cost peuvent trouver un intérêt à venir.
  • Le second effet de masse peut être le résultat de la structure d’accueil. Si la destination possède des infrastructures (hôtels, résidences hôtelières, camps de vacance…) à forte capacité (dépassant la centaine de chambres ou d’appartements), on peut organiser des chartérisations avec package. Un établissement loue d’une semaine sur l’autre avec vol compris. Cette formule permet de faire baisser le prix du transport ; un ou plusieurs vols se remplissent mécaniquement en remplissant la structure d’accueil. La Corse est une des seules régions de Méditerranée où cette possibilité reste ultra limitée. La solution principale, pour faire baisser le prix de l’avion, reste donc la subvention publique.
La Corse possède les deux inconvénients, une masse générale limitée et concentrée sur une courte période, ainsi que des structures d’accueil de taille restreinte.

On voit bien que, dans ces conditions, demander aux compagnies à bas coûts de venir est illusoire. On comprend aisément que c’est bien l’offre touristique qui définit le mode de transport et non le contraire. Pourtant, en Corse, les débats restent focalisés sur les vecteurs. On évite soigneusement de débattre sur la nature des personnes à transporter (quel tourisme ?) et sur la nature du fret (quelle économie ?). On met donc la charrue des transports avant les bœufs de l’économie.

En mars 2012, lors d'une enquête du journaliste Alain Verdi sur la hausse des tarifs maritimes et la crise  qui pénalisent la Sardaigne, trois reportages sur la situation sarde apportaient un éclairage particulièrement intéressant. A voir ou à revoir ci dessous.
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