Le rapport d'enquête parlementaire publié mercredi 11 décembre étrille l'action de l'État lors de la privatisation de la SNCM en 2005-2006, ainsi que la gestion de l'entreprise par l'actionnaire Veolia.
Un État actionnaire qui laisse une société à la dérive, des conditions de privatisation contestables, un actionnaire, Veolia, dont la gestion est critiquée : un rapport parlementaire met en lumière un enchaînement d'erreurs pour expliquer les difficultés actuelles de la SNCM.
Arnaud Leroy
Député président commission d'enquête
Paul Giacobbi
Rapporteur commission d'enquête
Maurice Perrin
C.G.C. - S.N.C.M.
Reportage : Alain Verdi et Cristelle Nicolas
La nullité de l'Etat actionnaire
"Nous n'avons pas relevé d'élément pénalement répréhensible qui nous obligerait à saisir la justice. Mais la grande tendance du rapport, c'est la nullité de l'État actionnaire", a déclaré à l'AFP Arnaud Leroy, député PS et président de cette commission d'enquête parlementaire.Selon Paul Giacobbi, député corse PRG rapporteur de cette enquête, "au départ, il y a les mauvaises conditions de privatisation. Puis une mauvaise gestion" de l'entreprise.
Outre la dégradation avant 2005 de la situation financière de la SNCM lorsqu'elle était à 100% publique, le rapport de 97 pages souligne le "dénigrement" de l'État à l'égard de cette compagnie.
Dans son avant-propos, le député PS et président de la commission d'enquête Arnaud Leroy évoque un appel d'offre "inopérant", lors de la procédure de privatisation de la compagnie en 2005-2006.
Seuls deux fonds financiers avaient fait une offre, et 100% du capital de la SNCM avait alors attribué à l'un d'eux, Butler Capital Partners (BCP).
Un projet que le rapport juge "peu judicieux et économiquement peu crédible", et qui s'était traduit par une grève dure de plus de six semaines avec notamment le détournement d'un des navires de la compagnie et des répercussions à Marseille.
Le gouvernement avait alors mis en place "en toute urgence un "montage" qui consistait à faire appel à Veolia Transport en tant qu'opérateur industriel capable d'épauler BCP", rappelle encore Arnaud Leroy.
"Au moyen de cette privatisation à deux tours", l'État a sans conteste cherché à se débarrasser d'une compagnie qu'il n'avait jamais su correctement gérer et d'ailleurs considérée de longue date comme socialement instable", ajoute-t-il.
"Le ver était dans le fruit"
La conclusion du rapport, elle, indique qu'"en une décennie, l'État aura dépensé plus de trois cents millions d'euros pour renflouer en capital ou en aides diverses la SNCM".
Le document souligne que "le seul bénéficiaire financier de cette affaire est la société Butler Capital Partners qui en a retiré une plus-value de soixante millions d'euros".
L'État a "conservé une part de 25% tout en se désintéressant totalement du sujet.
Il a été un "sleeping partner", voir un "loosing partner", a souligné Paul Giacobbi, pointant du doigt une "erreur de comportement".
Selon lui, "le ver était dans le fruit".
Veolia, actionnaire principal de la compagnie maritime, est aussi critiqué : "l'inaction déroutante de Veolia dans la gestion d'une société pourtant en difficulté a été constatée par tous", note le rapport.
Veolia a, selon M. Giacobbi, "mal géré, pas tenu les engagements pris. Elle a été confrontée au contexte très difficile, à un métier qu'elle ne connaissait pas réellement, et a fait des erreurs d'appréciation".
Ainsi, cette décennie de tentatives de rattrapages et de recapitalisation sera restée vaine : "nous en sommes aujourd'hui au même point qu'en 2001 ou qu'en 2006", constatent les députés.
Responsabilités diluées
Le rapport estime néanmoins qu'"il serait vain et injuste de chercher à incriminer dans la sphère publique comme dans la sphère privée tel ou tel".En effet, "le simple fait que de manière récurrente les mêmes erreurs aient été commises entraînant des conséquences de plus en plus lourdes démontre suffisamment que l'absence de lucidité ou de courage, la dilution des responsabilités, le recours à des expédients et la faible résistance à la pression des évènements sont des défauts partagés par tous les intervenants sur l'ensemble de la période".
Difficultés chroniques ou naufrage organisé
La SNCM, dont l'avenir est très incertain, n'est jamais parvenu à un équilibre financier solide depuis sa création il y a plus de 30 ans et a déjà connu plusieurs crises graves.DECEMBRE 2013 : un rapport d'enquête parlementaire critique l'action de l'Etat dans la privatisation de la SNCM en 2005-2006. Le capital de la société est actuellement détenu à 66% par Transdev, coentreprise de transport collectif entre le géant de l'eau et des déchets Veolia et la Caisse des dépôts, à 25% par l'Etat et à 9% par les salariés. Veolia et la Caisse des dépôts auraient dû sceller au plus tard le 31 octobre un accord qui prévoyait le transfert à Veolia des 66% détenus par Transdev mais les difficultés de l'entreprise ont fait capoter l'accord.
NOVEMBRE 2013 : la Commission européenne demande à la SNCM de rembourser 220 millions d'euros d'aides d'Etat qui lui avaient été données dans le cadre de sa privatisation en 2006 et qu'elle juge illégales. Bruxelles saisit parallèlement la justice contre la France qui n'a pas récupéré 220 millions d'euros d'aides supplémentaires accordées à la compagnie maritime au titre de sa mission de service public. Le gardien de la Concurrence avait exigé en mai que la SNCM rembourse d'ici la fin août cette somme, ce qui n'a pas été fait. Le total dépasse de loin le chiffre d'affaires de la SNCM, qui est d'environ 300 millions.
SEPTEMBRE 2013: l'Assemblée de Corse attribue à la SNCM et à une compagnie maritime privée, Méridionale, la délégation de service public (DSP) maritime pour les liaisons entre l'île et Marseille de 2014 à 2024, offrant ainsi une bouffée d'oxygène à la SNCM. Les deux groupes étaient délégataires du
service public depuis 2007. Leur concurrent pour la desserte de la Corse, la société privée Corsica Ferries, dépose un recours en justice contre cette décision.
JUIN 2013: les deux actionnaires principaux de la SNCM, l'Etat et le groupe Veolia, valident un plan de sauvetage de la SNCM qui prévoit la suppression de plus de 500 postes équivalents temps plein, soit 700 personnes, sur un total de 2.000 postes (1.400 naviguants et 600 à quai). Le plan prévoit aussi le renouvellement des navires de la compagnie, dont deux en 2016 et 2017 et deux autres en 2018.
MARS 2011: la SNCM est paralysée par une grève des marins CGT pendant 47 jours, sur fond de craintes de démantèlement de la compagnie maritime.
NOVEMBRE 2008: le fonds français Butler Capital Partners vend sa part à Veolia, faisant passer la participation de ce dernier à 66%.
MAI 2006 : les salariés de la SNCM donnent leur feu vert au plan de privatisation de la compagnie maritime, alors publique. Veolia fait son entrée au capital à hauteur de 28% aux côtés du français Butler Capital Partners, qui prend 38%. L'Etat garde 25% et les salariés 9%. L'accord prévoit aussi la suppression de 400 postes et une recapitalisation de la SNCM par l'Etat à hauteur de 142,5 millions d'euros.
SEPTEMBRE 2005: un lourd conflit paralyse la SNCM pendant une vingtaine de jours. Des marins du Syndicat des travailleurs corses (STC) s'emparent à Marseille d'un cargo de la SNCM et le conduisent à Bastia. Les gendarmes du GIGN sont obligés d'intervenir. Le lendemain, une roquette explose à Ajaccio à quelques mètres du préfet de Corse.
2003-2004: l'Etat doit recapitaliser à plusieurs la SNCM, qui est dans le rouge.
1976: naissance de la SNCM. Une convention est signée entre la société et l'Etat pour assurer la continuité territoriale entre la Corse et le continent.
Les difficultés de la SNCM -estime pour sa part, dans son blog, le journaliste Alain Verdi- ne sont pas plus « actuelles », que liées essentiellement à la privatisation. Le « fil rouge » se déroule dès bien avant la privatisation et continue de se dérouler, comme un lacet d’étranglement.