Assassinat d'Yvan Colonna : le verdict de la commission d'enquête parlementaire

Dans son rapport rendu ce mardi 30 mai, la commission parlementaire chargée d'enquêter sur les conditions ayant mené à l'assassinat d'Yvan Colonna par son codétenu pointe une série de "défaillances" et d'erreurs commises au sein du centre pénitentiaire d'Arles et de la part des autorités.

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La conclusion de six mois de travaux, au cours desquels 37 auditions ont été menées, et 71 personnes entendues, du directeur de l’administration pénitentiaire d’Arles, à l’ancien Premier ministre Jean Castex et aux ex-gardes des Sceaux Nicole Belloubet et Christiane Taubira. La commission d’enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit à l’assassinat d’Yvan Colonna, le 2 mars 2022, à la maison centrale d’Arles, a rendu son rapport, ce mardi 30 mai.

Un document de 218 pages, dans lequel sont longuement détaillées les conditions de cette agression mortelle, ainsi que les "responsabilités, les inactions et les erreurs qui ont été commises par les différentes autorités concernées dans la gestion des parcours carcéraux respectifs d’Yvan Colonna et de son agresseur, Franck Elong Abé".

Gestion "sans indulgence" d'Yvan Colonna contre "erratique" de Franck Elong Abé

Tous deux étaient soumis au statut de détenus particulièrement signalés (DPS). Mais alors que le premier s’est vu appliquer un traitement carcéral pour le moins sévère et "sans indulgence", souligne le rapport – bien que faisant part d’un comportement "très correct", et étant apprécié "du personnel et de ses codétenus", Yvan Colonna n’a ainsi jamais pu bénéficier d’un aménagement de peine, et ses demandes de transfèrement pour rapprochement familial n’ont jamais abouti - ; le second a pu profiter d’une gestion "erratique voire permissive", empreinte d’une certaine "mansuétude", malgré son profil jugé "dangereux, violent et instable".

Un traitement qui apparaît comme exceptionnel, eu égard à la dangerosité pointée de Franck Elong Abé - et appuyée par de nombreux incidents émaillant son parcours en détention -, et comparativement à celui appliqué aux autres détenus condamnés pour des faits de terrorisme.

Graves dysfonctionnements et défaillances de l'administration pénitentiaire

Le document pointe plusieurs graves défaillances : parmi celles-ci, notamment, un défaut de vigilance généralisé de l’établissement carcéral, un nombre insuffisant de personnels et un manque de réactivité de ces derniers au moment de l’agression, et une mauvaise gestion, notamment, de l’ancienne directrice, Corinne Puglierini.

Alors que le parcours carcéral de Franck Elong Abé à Arles a été "émaillé d’incidents", "aucun de ceux-ci n’a été mentionné" ni par cette dernière, ni par Laurent Ridel, ex-directeur de l’administration pénitentiaire, est-il dénoncé.

Outre ces observations, le rapport formule 29 recommandations, réparties en trois principaux objectifs : le premier, un meilleur encadrement du statut de DPS. "La sévérité qui a prévalu concernant le maintien du statut de DPS d’Yvan Colonna durant toute sa détention, qui a empêché tout rapprochement familial sur son île d’origine, appelle des évolutions de deux ordres", est-il écrit.

Ainsi, "il importe que l’État s’engage formellement sur la question du rapprochement familial des détenus corses en parachevant les travaux de sécurisation du centre pénitentiaire de Borgo et en le dotant, si besoin, d’un quartier maison centrale", détaille le rapport, estimant en complément que le statut de DPS doit être défini au niveau législatif, "en fixant les critères d’inscription et de maintien à ce répertoire". Un statut qui n’a à priori pas vocation à être définitif, et doit faire l’objet d’un réexamen particulier.

"Il importe que l’État s’engage formellement sur la question du rapprochement familial des détenus corses en parachevant les travaux de sécurisation du centre pénitentiaire de Borgo"

Second objectif, le renforcement de la stratégie de lutte contre la radicalisation en détention. Le triptyque "détection, évaluation, prise en charge" doit être renforcé et transformé en un quadriptyque élargi à l’enjeu de la préparation de la fin de peine, est-il indiqué. Il importe de renforcer "la procédure de détection de la radicalisation ou de la dangerosité des personnes détenues", ainsi que l’évaluation et la prise en charge des détenus radicalisés "avec une attention spécifique à porter aux détenus dangereux".

"Il convient également de rendre obligatoire l’évaluation ou la réévaluation d’un détenu condamné pour terrorisme islamiste avant son intégration en détention ordinaire et de faire de l’affectation en QPRD [quartier de prise en charge de la radicalisation] une véritable phase de transition entre l’isolement et la détention ordinaire", rajoute le rapport.

"Il convient également de rendre obligatoire l’évaluation ou la réévaluation d’un détenu condamné pour terrorisme islamiste avant son intégration en détention ordinaire"

Troisième et dernier point : une plus grande vigilance envers les détenus aux profils sensibles, "qu’ils soient violents ou instables". Le rapporteur propose ainsi "d’édicter une nouvelle doctrine d’emploi pour la vidéosurveillance et d’envisager la possibilité de recourir à la surveillance vidéo intelligente pour mieux lutter contre les violences", ainsi que de faire "du renseignement pénitentiaire un réel outil d’anticipation, de détection et de prévention du risque de passage à l’acte violent". Le rapport appelle également à porter une attention spécifique "au classement des détenus au travail, et surtout les plus dangereux d’entre eux."

Pas de thèses privilégiées

Dans son avant-propos, le député Jean-Félix Acquaviva, président de cette commission parlementaire, le précise : à ce stade, toutes les hypothèses quant aux raisons et circonstances de cet assassinat restent sur la table.

Deux thèses soulevées lors des six derniers mois d'auditions semblent néanmoins écartées par la commission parlementaire d'enquête : celle d'un blasphème d'Yvan Colonna - qui aurait déclaré qu'il "crachait sur Dieu" - remise en cause au vu des auditions ; et celle de Franck Elong Abé évoluant en tant que "source du renseignement pénitentiaire", hypothèse explicitement démentie par le chef de la CIRP de Marseille.

Jean-Félix Acquaviva décrit dans son avant-propos un contexte de haine et de vengeance, et évoque notamment des échanges entre préfets "au moment des événements de mars 2022 qui ont secoué la Corse". Des échanges privés qui auraient eu lieu entre le 10 et le 11 mars 2022, et retranscrits dans le rapport par le député, les noms des préfets anonymisés.

Alors que l'enquête judiciaire autour de cet assassinat suit son cours, les députés membres de cette commission parlementaire espèrent désormais que ce rapport pourra servir de contribution.

Selon nos informations, le président et le rapporteur de la commission pourraient prochainement activer l'article 40 du code de procédure pénale, soit un signalement particulier auprès du procureur de la République.

Celui-ci concerne un incident survenu peu de temps avant l'agression d'Yvan Colonna : Franck Elong Abé aurait ainsi eu un "changement de comportement", et déclaré à une surveillante faire "le vide" dans sa cellule. Des faits que cette dernière aurait fait remonter à sa hiérarchie, et dont on ne trouve aucune trace dans le logiciel Genesis, dans lequel doivent pourtant normalement figurer tous les événements relatifs à la vie carcérale des détenus.

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