Fréquentation touristique en Corse : "Nos sites ont besoin de quotas pour être préservés"

Vendredi 26 mai, un rapport d’information relatif à la fréquentation touristique de quatre sites emblématiques de l’île a été présenté dans l’hémicycle. À l’aube de la saison estivale, ce point d’étape semble trouver un écho favorable chez les élus, même si le débat reste ouvert sur l’équilibre à trouver entre préservation de la biodiversité et attractivité touristique.

"Il y a un début à tout. Tout ne peut pas être parfait."

Avant de présenter le bilan et les perspectives sur les dispositions mises en place pour la gestion de la fréquentation estivale des sites naturels patrimoniaux, Guy Armanet se veut prudent. Une manière de rappeler la sensibilité d’un sujet qui englobe environnement, tourisme et forts enjeux économiques.

Dans l’hémicycle du cours Grandval, le président de l’Office de l’Environnement de la Corse (OEC) déroule sa feuille de route sous forme de point d'étape. Dans ce rapport d'information - donc pas soumis au vote des élus ce 26 mai -, il est fait état des études réalisées en 2022 sur quatre sites emblématiques de l’île : Bavella, les Lavezzi, la Restonica et Scandola.

À certains endroits, où des opérations de régulation ont été mises en place l’été dernier, les premières tendances font apparaître des baisses de la fréquentation en 2022 par rapport à 2021 : 11,5 % sur certains secteurs des Lavezzi, 4,9% à Tafonu di Campuleddu (Bavella), 1,35% dans la Restonica (juillet-août).

Le chiffre le plus significatif est à mettre au crédit des cascades de Purcaraccia, à Bavella.

"Les actions de gestion mises en œuvre, conjuguées à l’arrêté préfectoral de fermeture, ont permis une baisse drastique de la fréquentation pendant la saison estivale, expose Guy Armanet. La levée de l’interdiction, au 15 septembre, avec une remontée constatée des passages similaires à celle du mois de mai 2022, reste cependant bien inférieure à la fréquentation du mois de septembre 2021. On totalise une baisse de près de 65,6 % en 2022, par rapport à 2021, pour les passages, et une baisse de la fréquentation journalière de près de 60,7 %."  

"C’est un début et il faut aller plus loin"

Si les quatre sites présentent des profils différents, le président de l’OEC y voit néanmoins des résultats communs qui "montrent d’ores et déjà une baisse de la fréquentation et les perspectives envisagées pour compléter voire renforcer les actions qui permettront, sans aucun doute, de conforter la trajectoire des indicateurs".

Guy Armanet le reconnaît : "C’est un début et il faut aller plus loin." 

Parmi les différentes perspectives avancées, il y a l’instauration des quotas. Si une délibération avait été votée en ce sens en juin 2022 à l’Assemblée de Corse, aucun quota n’a pour l’instant été appliqué.  "Oui, nos sites ont besoin de quotas pour être préservés en termes de biodiversité, soutient le président de l’Office de l'Environnement. Les mentalités commencent véritablement à changer."

Cette instauration voulue par l’Exécutif se heurte, selon Guy Armanet, à "une carence juridique fondamentale" :  "la déclinaison opérationnelle de la stratégie impulsée, via l’Office de l’Environnement et l’Agence du Tourisme de la Corse, ne peut en effet être totalement aboutie, dès lors que le droit ne confère pas à la Collectivité de Corse la compétence nécessaire pour agir directement en activant des leviers essentiels, à l’instar des quotas, afin de finaliser le processus de gestion." 

Penser à d'autres "mesures restrictives"

Dans l’hémicycle, ce rapport d’étape fait plutôt consensus. Les divergences se situent surtout autour du point d’équilibre à trouver entre préservation de la biodiversité et attractivité touristique.

"Ce rapport touche à l’environnement mais aussi au tourisme, souligne Jean-Michel Savelli du groupe de droite Un soffiu novu. Les tendances à la baisse sont marginales ; il faut être très attentif et rigoureux sur les méthodologies de comptage qui doivent s’adapter à chaque site. C’est un premier pas intéressant mais il ne faut pas tirer de conclusions hâtives."

Sur les quotas, l’élu de droite réclame de "la prudence" : "On parle de quatre sites emblématiques qui sont les vitrines de la Corse et qui contribuent à l’attractivité du territoire. Or, qui dit attractivité du territoire dit fréquentation, qui dit fréquentation dit aussi flux qui peuvent être impactés. Les quotas peuvent être des mesures restrictives, mais il y en a d’autres comme la possibilité de faire payer à l’entrée des sites."

"Pour ce qui est de la déconcentration, j’émets des doutes."

Jean-Michel Savelli

Jean-Michel Savelli pointe également le récent plan de communication présenté par Angèle Bastiani et l’Agence du Tourisme de la Corse sur le fait "d’étaler et déconcentrer la saison".

"Je ne fais pas de reproche particulier à Mme la présidente, explique-t-il.  Ce qui m’inquiète, ce n’est pas le plan lui-même, mais la réflexion stratégique qui a mené à ce plan. Pour ce qui est de la déconcentration, j’émets des doutes. Sur la forme, cela a été mal vécu par les socioprofessionnels qui ont eu le sentiment d’être écartés de cette décision. Toutes ces contraintes peuvent nous faire perdre en attractivité. Pour étaler la saison, il faut de l’offre, notamment au niveau des transports."

"On est sur le bon chemin"

Sur ce rapport, le conseiller Un soffiu novu attend donc "des confirmations"  mais "pense que l’on est sur le bon chemin".

Une idée partagée par Jean-Christophe Angelini. "Ok sur la philosophie générale du rapport, valide le président du groupe Avanzemu. Il faut sanctuariser, limiter l’accès, instaurer des quotas sur un certain nombre de sites ; et contrairement à certaines idées reçues, cela participe du développement économique, ça ne le gêne pas. Parce que c’est comme ça que l’on valorise un territoire ; ce n’est pas en l’ouvrant aux quatre vents."

Néanmoins, le maire de Porto-Vecchio demande lui aussi une certaine prudence : "Attention à ces approches très idéologiques, qui ne sont pas forcément la règle ici, selon lesquelles il faut en finir avec le tourisme parce qu’on en a "soupé". Economiquement, c’est dangereux. Bien sûr que le tourisme a des effets pervers, c’est une évidence dans tous les pays du monde. Néanmoins, il faut réfléchir à un tourisme de temps de crise. Mais pour faire muer le modèle, l’annualiser, et reconnecter l’offre de transports avec des produits touristiques qui correspondent à d’autres saisons de l’année plutôt qu’à la seule saison estivale, il faudra un minimum de 20 ans. La mutation du modèle, c’est une génération. Si on pense, parce qu’on met un quota qu’en trois mois ou deux saisons c’est réglé, ci sbagliemu. Donc, pour avoir des effets réels dans l’économie et le pays à 15-20 ans, il faut qu’on commence maintenant."

Pour Jean-Christophe Angelini, cela implique une "régulation et une réflexion approfondies sur les maux de l’économie touristique", qui se caractérisent notamment, selon lui, par "la difficulté de la mise en œuvre du CDI saisonnier et de l’offre de transports".

Sur la question relative à certains types d’emplois que cela pourrait générer, Paul-Felix Benedetti reste dubitatif : "Chez nous, il est paradoxal de voir que le métier de guide accompagnateur de montagne ne progresse pas. On ne sent pas la vocation d’un jeune d’essayer à tout prix d’être guide accompagnateur parce qu’il y a une opportunité. Il faut qu’il y ait une école de la montagne."

Le chef de file de Core in Fronte souhaite "l’instauration de règles et leur mise en application" et évoque "un plan « mer montage » concernant les sites sensibles. Il faut donc adapter de manière globale."

"Ce n'est pas open bar quand on débarque quelque part."

Josepha Giacometti-Piredda

"L’approche globale dans le domaine de la préservation de nos site a vocation à être augmentée et à s’accroitre", souligne de son côté Josepha Giacometti-Piredda.

Pour l’élue membre de Corsica Libera - qui siège en non inscrite - "tout se tient et tout est lié".

"Cette gestion ne peut se résumer à des aménagements de sites, à des poses de rubalises ou à des dégagements de parking, avance-t-elle. On ne peut pas se contenter d’orienter le flux. Il faut pouvoir réglementer, pouvoir contrôler. Il faudra à certains moments mettre des quotas, interdire à certaines périodes l’accès. Ça se fait dans d’autres pays. Il faut pouvoir se poser la question de la gratuité. Aujourd’hui, ça existe dans tous les pays du monde. Ce n’est pas open bar quand on débarque quelque part."

"La richesse fondamentale, c’est la protection de notre biodiversité"

Le rapport d’information et les prises de paroles qui en découlent donnent la possibilité à Angèle Bastiani "d’éclairer et éclaircir certains points", notamment ceux concernant le plan de communication de l’Agence du Tourisme de la Corse qui avait provoqué la réaction de plusieurs hôteliers et restaurateurs.

"La déconcentration, que nous soyons clairs, ce n’est pas la décroissance, répond-elle. Oui, nous avons parlé de déconcentration et nous sommes en train de la concrétiser à travers notamment des nouvelles mesures de promotion. Évidemment, il ne s’agit pas, comme on a pu l’entendre de manière excessive et caricaturale, de refuser le tourisme en juillet et en aout, ni non plus de déchirer nos cartes postales. Le constat et les solutions qui en découlent sont bien plus complexes que ces raccourcis-là."

"Nous pensons qu’il faut tout faire pour déconcentrer et pérenniser une économie qui rapporte à la Corse 3,5 milliards d’euros par an."

Angèle Bastiani

La conseillère exécutive indique que "les mesures de déconcentration ont pour objectif d’adoucir le pic du début du mois d’août qui est d’environ 475.000 personnes présentes sur le territoire en plus de la population résidente".

Et d’ajouter : "est il nécessaire de renforcer cette tendance naturelle du tourisme à une période où la Corse ne souffre pas d’un déficit de popularité ? Avec l’Exécutif, nous pensons qu’il faut tout faire pour déconcentrer et pérenniser une économie qui rapporte à la Corse 3,5 milliards d’euros par an."

Un chiffre qui laisse peu de doute quant aux intérêts économiques qui sont en jeu. Et qui pourraient freiner la mise en place de certaines règles. Ce que conteste Gilles Simeoni, le président de l'Exécutif :

"A travers ce rapport, nous disons qu’il y a aujourd’hui en Corse des sites surfréquentés et qu’il faut la volonté et le courage politique de dire : oui, il y a une activité économique, oui il y a des chefs d’entreprises, oui il y a des emplois, mais la richesse fondamentale, c’est la protection de notre biodiversité. Et cela passe donc par une régulation qui n’a jamais existé."

Cela sous-entend une instauration des quotas et donc la mise en place d'un dipsositif concret et opérationnel pour les appliquer. Ce qui, pour l'instant, ne semble pas être le cas...

Le reportage de Marie-France Giuliani et Jacques Paul-Stefani réalisé ce vendredi 26 mai à l'Assemblée de Corse : 

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Un rapport d'information sur la fréquentation a été présenté à l'Assemblée de Corse. ©M.-F. Giuliani - J.-P. Stefani - F. Guichard
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