Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : Je voulais voir Capo, et j’ai vu Capo

Depuis la mi-mars, et l'instauration du confinement dans le pays, l'une de nos journalistes raconte ses journées. Ce vendredi, elle redécouvre Ajaccio, ville désertée. 

Retrouvez le chapitre 36 : 

  • Chapitre 37 : Je voulais voir Capo, et j’ai vu Capo


J’avais vu tourner les images de Philippe sur Facebook. Des images aériennes d’Ajaccio et de ses environs. Patrice les avait postées sur son mur comme on accroche le chaland par ses plus beaux fruits. Parce que, pour voir le reportage tout entier, il fallait être, hier, devant sa télé.

En matinée, j’avais d’ailleurs écrit un petit mot sur le « mur » (Facebook) de Philippe pour lui dire que j’avais hâte d’être à 13h. Heureusement, Pierre-Antoine (mon copain photographe de presse) a rectifié dessous en commentaire, « le rendez-vous est à 20h ». Je n’allais pas rater ça ! 13h ou 20h, je suis toujours près de mon fauteuil, pas de distanciation sociale entre lui et moi.
 

Vue d’en-haut 


A heure pétante, j’ai voulu changer de chaîne (ma télé tournant sur Viastella depuis le Corsica Sera), impossible de trouver la télécommande ! Quelques sueurs froides ont glissé sur mon front sachant que j’avais égarée cette même télécommande la semaine précédente. Trois jours à chercher (sans beaucoup d’insistance, j’avoue) pour enfin remettre la main dessus (Nicolas avait même dit, « tu as regardé dans le frigidaire ? ») : elle avait glissé, profond, sous un coussin du canapé (mais alors très profond).

J’ai paniqué en pensant, « cela arrive de nouveau, le seul jour où j’ai vraiment envie d’accéder à un programme ». Les images de Philippe, je ne voulais pas les rater ! J’ai soulevé tout ce qui pouvait contenir une télécommande sous son flanc (nous étions à la minute près) pour crier victoire au bout de quelques minutes, vraiment soulagée. Jamais je n’aurais pu gérer une frustration supplémentaire. Déjà qu’il faut composer avec la sémantique du « on fait, mais on ne fait pas » (hier, j’ai remué le « pas de régionalisation mais on adapte au niveau locale », très perplexe, en me disant qu’après ce qu’on a entendu durant cette période, j’allais pouvoir offrir des casse-têtes chinois à tout le monde pour Noël sans que personne y trouve à redire), je n’aurais pas supporter que l’on me prive, de surcroît, de la bulle d’air que j’avais anticipée dans ma tête.

Un clic sur le 1, j’étais donc sur la bonne chaîne. Le présentateur ne m’en voudra pas si je n’ai rien écouté de ce qu’il a dit avant, je n’avais les écoutilles fixées que sur deux mots clés #Corse et #Ajaccio. Il n’y avait pas plus chauvin devant sa télé, hier soir. J’aurais presque pu sortir le drapeau à tête de maure et chanter l’Ajaccienne en attendant. J’ai fait mieux (et plus raisonnable), j’ai appelé ma mère pour lui dire de pas rater l’événement. Je crois qu’elle aussi s’est posée des questions sur l’état psychologique de sa fille. D’ordinaire, à chaque fois qu’elle parle télé, je change de sujet.

 

Au moment où les hashtags ont résonné dans un lancement, je me suis enfoncée dans mon fauteuil, sourire aux lèvres, en parfaite « ravie de la crèche ». J’ai eu des frissons tellement c’était beau, tellement c’était chez moi… et tellement je ne voyais rien de ce qui est chez moi en ce moment, sorti de mon appartement. Nicolas a débarqué en plein milieu du sujet et, triple zut, j’avais donné un coup de verrou. Le « entrez » que j’ai claironné n’y a donc pas suffi.

J’ai presque maudit les trois images qu’on m’avait volées le temps d’ouvrir puis j’ai dit, « chut, viens voir, y’a le reportage de mes copains Patrice et Philippe, regarde comme c’est beau ». Je crois que j’ai murmuré, « oh, Capo di Feno… » (soupir) en planant (comme la caméra), après avoir plongé dans les eaux de Marinella, salué un ajaccien de la vieille ville et dévalé sur les fesses, comme je le faisais enfant, la pente qui longe les marches de la statue de Napoléon au Casone. C’est un laisser-passer dérogatoire que j’avais envie de demander à ma direction après ça, du télétravail, mais en extérieur. Qu’est-ce que je risque sur une plage déserte des Sanguinaires ? Et si les forces de l’ordre débarquent, je sors ma carte de presse (c’est beau de rêver !).

Philippe, Patrice, c’est officiel, je vous déteste !
 

« Aiacciu by night » en compensation


Contre toute attente (ou pas), à la fin de la diffusion, j’avais besoin de poursuivre en extérieur ! J’ai chaussé mes baskets, coché la case dérogatoire « sortie quotidienne dans la limite d’une heure » (remarquez que je n’ai pas dit la case « activité sportive ») et je suis partie me balader dans Ajaccio. Il était un peu plus de 21h. Une ville déserte, à une époque de l’année où elle commence à vivre clairement d’ordinaire.

Pas un chat pour promener son chien dans la rue Fesch. Pour information, j’étais partie en direction du vieux port. Ce n’est qu’un fois arrivée sur la jetée que j’ai croisé deux ou trois personnes, dont Jérémy, mon copain SDF. J’avais fait un reportage avec Jérémy il y a quelques temps. On a sympathisé. Je lui ai dit, « tu peux aller et venir comme tu veux, on ne t’embête pas ? ». Il a répondu que non. Je me suis dit, « il manquerait plus que ça ! » avant d’ajouter à haute voix cette fois, « tu réalises que c’est le seul moment où je vais t’envier ton hors les murs ! ». On a ri de cette idée. Je me suis inquiétée de savoir s’il ne manquait de rien, il a répondu, « non… mais j’ai ton numéro au cas où ! ». Il était avec un copain, il a continué son chemin.
 


J’avais le port, la ville éclairée et le bruit de la mer, tout ça, rien que pour moi. Vous n’imaginez pas à quel point, c’était bien. J’ai regardé une barque de pêcheur revenir vers le quai. J’aurais bien demandé à son occupant de me cacher sous ses filets pour une balade en mer. Je me suis dit, « s’il y a un problème, je pourrais toujours dire que je fais un reportage avec mon téléphone». Évidemment que cette explication est valable, Yann (du web de Viastella) fait bien pareil !

Je pourrais même demander à Philippe (de TF1) de me prêter son drone pour être plus crédible ! (« C’est beau de rêver » - épisode 2, terminé). J’ai regardé mon téléphone, je me suis dit, « vise un truc plus réaliste, genre, en plein coronavirus, ce qui, de ta balade, symboliserait bien l’esprit du moment ? ». Des rues désertes ? Déjà-vu. Des marquages de distanciation au sol (j’en ai compté quelques-uns devant mon bureau de Poste) ? Banal et, surtout, j’étais sur le port. Puis j’ai ouvert les yeux un peu plus grand sur le chemin du retour en me disant, « tu vas trouver ». Surtout que j’étais sortie pour profiter, pas pour en rajouter au méli-mélo de mon cerveau.

J’ai cherché à parler au pêcheur que j’avais aperçu de la jetée, mais il avait déjà embarqué dans son 4x4. Je ne sais pas s’il a réalisé que sa profession pouvait en faire rêver plus d’un en plein confinement. Qu’elle souffle comme un air de liberté en ce moment. A défaut de pêcheurs, j’ai regardé leurs barques. Et là, d’un coup, j’ai trouvé ma photo : une paire de gants dressée sur un bateau, comme un avertissement (chirurgical) au virus, une mesure barrière. Voilà à quoi un simple reportage de vos copains de TF1 vous mène… (soupir).
 


Il faisait bon, j’ai utilisé tout le crédit horaire qui m’était imparti. Je songeais en rentrant que j’avais été journaliste de terrain dans une autre vie. Là, je me sens comme une chroniqueuse mondaine qui referait le monde de son salon. En même temps, heureusement que je le refais, un peu, mon monde, parce que sinon, il ne tournerait pas toujours rond ! (C’est le cas ? Ah, bon…)



 
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