Commandé par la Collectivité de Corse dans le cadre de la démarche "Corsica Pruspettiva 2050", le rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) consacré à l'île a été publié mercredi 24 janvier. Cheffe de l'unité attractivité régionale à l'OCDE, Claire Charbit a participé à sa rédaction. Elle explique notamment la méthodologie utilisée pour réaliser cette étude.
Tourisme, transports, environnement, santé, logement...
Intitulée "Diagnostic de l'attractivité de la Corse dans le nouvel environnement mondial", l'étude de l'OCDE aborde différentes problématiques et "suggère des pistes aux acteurs publics afin de s'adapter aux transitions en cours".
"Ce rapport mesure l’attractivité régionale mais pas uniquement d’un point de vue économique", précise Claire Charbit. Cheffe de l'unité attractivité régionale à l'OCDE, elle a participé à la rédaction de cette étude. Elle en explique la méthodologie et les constats.
France 3 Corse : Quelle a été votre méthodologie pour rédiger ce rapport sur l’attractivité de la Corse ?
Claire Charbit : Ce travail sur la Corse s’inscrit dans le prolongement d’une étude sur l’attractivité régionale que l’on a effectuée avec une quinzaine d’autres régions en Europe. On a aussi réalisé un sous-échantillon des îles méditerranéennes mais aussi des grandes îles européennes afin d’affiner encore plus le tir. On utilise donc une méthodologie avérée comparative. L’objectif, c’est d’être plus attractif mais aussi d’être plus inclusif et plus durable.
En plus des aspects d’analyses statistiques, qui figurent dans le rapport et qui permettent de positionner la Corse, ses forces et ses difficultés, on a aussi réalisé une mission sur place. On a eu des entretiens avec beaucoup de parties prenantes, dont des acteurs publics (services déconcentrés de l’État, services de la Collectivité de Corse) et privés. On a également analysé toute une bibliographie de données, de textes, d’initiatives en matière de politique. Sur cette base-là, on fait un comparatif international. C'est-à-dire que l’OCDE amène des comparaisons statistiques mais aussi des bonnes pratiques pour positionner et appuyer certains points qui nous semblent importants pour le développement de la Corse.
Parmi les principaux points forts et points faibles de l’île, quels sont ceux qui ressortent de votre étude ?
On fournit aux acteurs ce qu'on appelle des boussoles d'attractivité régionale. Concernant la Corse, ces boussoles indiquent que les points forts de la région sont, bien sûr, son activité touristique, son capital naturel et sa cohésion sociale, bien plus que dans d'autres régions européennes.
Concernant ses points faibles, ils relèvent de la connectivité (transports, infrastructures), des dynamiques entrepreneuriales d'innovation, de la dynamique économique du territoire. Il y a aussi bien sûr une question transverse, c'est celle de l'accès au logement, qui n’est pas seulement une priorité pour la Corse. Si on n'offre pas des logements abordables, on a énormément de mal à attirer et à retenir les talents. Or, comme on le voit dans le rapport, la Corse rencontre des difficultés à ce niveau-là.
Environnement, tourisme et transports font partie des différentes problématiques sur lesquelles vous avez travaillé. Quel constat faites-vous sur ces thèmes-là ?
En matière d’environnement, la Corse doit répondre aux défis du changement climatique. On en voit les effets aujourd'hui, mais il faut se préparer. Il y a beaucoup d'initiatives en Corse, mais ce n’est pas forcément systémique. Il faut donc une structuration, une plateforme commune, des moyens de synthétiser les informations et les actions en matière de changement climatique pour que tous les acteurs puissent être au fait et puissent agir de concert.
Concernant le tourisme, sa place doit être clarifiée. La Corse est dans le paradoxe de toutes les régions touristiques : elle attire énormément de visiteurs, mais quand on attire énormément, on condamne un peu certaines parties de l'environnement. On promeut des modalités de travail qui sont très saisonnières. Donc, pour pouvoir étendre la saison, il faut absolument aller dans d'autres lieux et clarifier la démarche. Or, en Corse, d’un côté, il y a des messages pour dire qu’il faut verdir le tourisme, étendre la saison, et qu’il ne faut pas aller par exemple à Scandola ou sur le GR 20. Mais, en même temps, c'est là d'où vient aussi la ressource financière. Il faut donc avoir un processus qui soit clarifié pour connaître la place du tourisme et son évolution.
Pour ce qui relève des transports en commun, il faut les améliorer. La ville de Porto-Vecchio n'est pas connectée avec le réseau ferroviaire. Les habitants de l’île utilisent énormément la voiture, ce qui pollue beaucoup. Le manque de transports ne facilite pas non plus la connexion à l'intérieur de la Corse. Il faut donc absolument avancer dans les initiatives de transports en commun. Il y a de bonnes pratiques : exemple avec la CAPA (Communauté d'agglomération du pays ajaccien) qui a mis en place un système de covoiturage. Il faut vraiment investir sur ces questions du transport et du ferroviaire.
"Il faut adopter une démarche sélective pour les investissements extérieurs."
La coordination des acteurs publics est également évoquée. L'étude met notamment en relief des "périmètres inadéquats et un manque de coopération au sein des intercommunalités". Quelles en sont les raisons ?
La coordination des acteurs publics doit être pensée à la bonne échelle. En Corse, les intercommunalités ont les périmètres voulus par les acteurs et qui ont été validés par l'État. Néanmoins, ils ne correspondent pas vraiment aux réalités du territoire et à ses besoins. Si on va attirer des investisseurs à Bastia, il faut se mettre d'accord avec l'autre intercommunalité voisine de la CAB (Communauté d'agglomération de Bastia), ce qui s'est fait d'ailleurs. C'est plus difficile, par exemple, en matière de logement. C'est parfois encore plus difficile au sein d'une intercommunalité que les municipalités coopèrent véritablement. Il y a donc vraiment des incitations à trouver pour que les acteurs qui doivent travailler ensemble puissent le faire à la bonne échelle.
Le rapport indique qu’environ "80% des étudiants corses qui étudient sur le continent ne reviennent pas une fois diplômés, créant une situation de "fuite des cerveaux"". Une situation qui engendre également des difficultés de recrutement pour les entreprises insulaires…
Il y a un dynamisme en matière de l'offre de formation disponible mais il faut aller encore plus loin. Localement, les entrepreneurs ont du mal à recruter. Il y a une difficulté à attirer les talents dans l'île, parfois à faire rester les étudiants corses ou à les faire revenir parce que les cycles de formation les amènent ailleurs. Il faut donc absolument développer ces offres de formation disponibles sur l’île parce que le territoire en a besoin. On a là aussi des exemples sur des transformations qui ont été faites dans d'autres territoires dans le monde où les entreprises, les acteurs de la formation et les acteurs publics se mettent ensemble pour vraiment répondre aux besoins et aider ceux qui souhaitent rester à rester et ceux qui veulent revenir à revenir.
Autre constat : la Corse attire peu d'investissements extérieurs. Une piste pour inverser la tendance ?
Il faut adopter une démarche sélective pour les investissements extérieurs. Sur le terrain, quand on a parlé d'attractivité, certaines personnes nous ont dit que cela signifiait qu’elles allaient devoir partager ce qu’elles avaient. Non. L'attractivité, cela signifie que l'on attire ceux qui vont aider le territoire et ses habitants à se développer. Il y a matière à faire cela en Corse. Il y a des bonnes pratiques, des bonnes expériences, parfois dans des secteurs très technologiques, parfois dans des secteurs de l'agroalimentaire. Mais pour l'instant, on n'en est pas encore là. Il n’y a pas encore vraiment d'incitation forte à attirer des investisseurs extérieurs sur le territoire. Or, en Europe, si on prend l’exemple de l'économie renouvelable, une grande partie de tous les investissements vient directement de l’étranger. Il ne faut donc pas considérer que ce qui vient de l'étranger va forcément être néfaste. Il suffit d'être sélectif.
Lors de vos différentes études, vous avez travaillé sur d'autres îles méditerranéennes et européennes. Sur certains points, la situation de la Corse pourrait-elle être comparable à l'une d'elles ?
La particularité de la Corse, c'est qu'elle est grande mais peu peuplée. Si on compare à l'économie de la Sicile, les réalités ne sont pas les mêmes. En Sicile, on exporte beaucoup plus qu'on ne le fait en Corse. On peut faire un petit comparatif avec la Sardaigne, mais là aussi c'est assez différent : la Sardaigne est davantage peuplée, les défis climatiques sont plus importants qu’en Corse, l’île a des universités très actives. L’exemple intéressant, ce serait avec les Baléares : là-bas, ils se sont rendu compte que trop de tourisme allait tuer le tourisme de demain. Ils ont donc mis en place des dispositifs, notamment pour parfois limiter la présence des touristes. Ils ont notamment trouvé un accord avec les bateaux de croisières pour qu’il y en ait un nombre très limité afin que les touristes puissent avoir une visite agréable. Mais aussi pour que les personnes qui vivent sur place, les locaux, puissent continuer d'avoir une vie agréable et de tirer les bénéfices du tourisme.
Une éventuelle autonomie de la Corse pourrait-elle faire évoluer les problématiques soulevées par le rapport ?
On n'a pas à traiter de ce sujet-là dans le rapport. Nous sommes restés très neutres. Néanmoins, nous travaillons sur les politiques de développement régional et donc beaucoup avec les régions. J'imagine donc que dans la démarche de prospective lancée par la présidence de l'Assemblée de Corse, les aspects institutionnels seront évoqués. À l'OCDE, nous traitons de certains sujets, comme les problématiques de coordination, mais on ne se positionnera pas sur la question de plus ou moins d'autonomie ou de décentralisation.