Originaire d'Ile-de-France, Kamil Zihnioglu est installé en Corse depuis 2020. Photojournaliste de profession, il s'applique à y mettre en image l'identité - ou plutôt les identités - sociale(s) et culturelle(s) des insulaires. Un projet pour lequel il fait notamment partie des 200 lauréats d'une commande passée par la Bibliothèque nationale de France. Entretien.

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La Bibliothèque nationale de France (Bnf) a passé, entre 2021 et 2022, deux appels à projets dans le cadre d'une commande photographique intitulée "Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire". 200 photojournalistes ont été sélectionnés, vous en faites partie. Votre travail porte sur l'identité et la culture en Corse. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Kamil Zihnioglu : En 2018, j'ai plusieurs amis d'enfance qui ont grandi à Paris mais qui sont Corses qui décident de retourner vivre sur l'île. J'ai déjà à cette époque pour ambition de faire quelque chose autour de la Corse, alors je commence à me poser la question de l'identité, et particulièrement pour la jeunesse corse.

J'entame pour ce faire mon travail en me documentant sur l'île auprès de mon entourage, le premier cercle, qui m'a permis d'accéder à un second cercle, puis à un troisième. Je photographiais aussi beaucoup les fêtes religieuses, comme le Catenacciu par exemple.

En 2020, après avoir passé le premier confinement lié au Covid-19 en Corse, je fais mes valises de Paris et je m'installe définitivement sur l'île. À ce moment-là, je reprends mon projet, mais je rends compte que je ne sais pas vraiment vers quoi tendre, je photographie les fêtes, les jeunes, les personnes plus âgées...

Tout un ensemble de fragments entre lesquels je n'arrive pas forcément à tisser le fil qui les relie les uns aux autres... Jusqu'à ce que je fasse la découverte du livre "'Figures de l'île", d'Anne Meistersheim. Elle y définit trois grands axes qui vont recréer une boussole pour mon projet : l'insularité, l'insularisme et l'îléité [vécu des insulaires, leur culture, leur imaginaire, ndlr], et donc cette notion de "culture insulaire".

J'essaie alors de me baser sur ce vers quoi mes émotions et mes sentiments me portent en arpentant la Corse. En 2021, j'obtiens une bourse de soutien à la photographie avec le CNAP (Centre National des Arts Plastiques), ce qui me permet de continuer mon travail de recherche.

Et puis, en décembre 2021, je réponds et remporte le premier appel à projets de la BNF, en proposant donc une série photographique directement liée à mon projet, consacrée à la compréhension du territoire Corse, et portant sur les thèmes de l'identité, de la culture et de l'imaginaire.

Qu'avez-vous photographié dans ce cadre ?

Kamil Zihnioglu : C'est assez varié. J'ai fait beaucoup de fêtes religieuses, des baptêmes, des veillées aux morts aussi, des confréries, des reconstitutions historiques, les manifestations pour Yvan Colonna, mais aussi des personnes âgées, ou d'autres que j'ai pu rencontrer...

Ma question principale, qui est celle qui est au cœur de mon projet, et que j'ai portée vraiment comme une boussole, c'est : "Ici ou ailleurs, comment embrassons-nous un lieu qu'on aime ?". Au travers de ces photos je parle d'identité, au-delà des clichés attendus, et en essayant justement de les déconstruire.

Mais surtout je ne veux pas parler d'une seule et unique identité corse. Parce que pour moi, il n'y en a pas qu'une mais 10.000. Figer une identité, c'est quelque part dire qu'elle est morte. Alors au lieu de parler d'une simple identité, j'ai voulu parler de toutes les identités, avec toutes ces diversités.

Que représente pour vous cette sélection parmi les lauréats de cette commande photographique de la BNF ?

Kamil Zihnioglu : Déjà, la somme remportée est assez conséquente [22.000 euros TTC pour chaque lauréat pour leur permettre de mener à bien leur projet, ndlr]. Mais ensuite, en tant que jeune photographe, avoir ses images inscrites dans la BNF, c'est quand même quelque chose de plutôt chouette.

Cela veut dire que mes photos de la Corse sont rentrées dans le fond photographique des archives de la bibliothèque nationale de France, et y resteront. Dans 50 ans, un jeune qui fera des études sur les photographies en Corse pourra consulter s'il le souhaite mes images dans le fond.

Il y a ce côté de transmission et de partage que je trouve assez important, et c'est en parallèle une belle opportunité, et un moyen d'obtenir une diffusion nationale aussi sur nos projets.

Enfin, c'est aussi une manière de me réconforter un peu sur le fait que mon travail autour de la Corse veut dire quelque chose, qu'il est légitime, même si j'ai encore du mal à le dire moi-même. Il y a des photographes corses qui mènent aujourd'hui un travail extraordinaire, avec une réflexion très profonde sur leur île, et moi j'ai pu ressentir à des moments l'impression de prendre leur place, ce qui n'est pas du tout mon ambition.

Mais des personnes que j'ai pu rencontrer m'ont indiqué que ce n'était pas le cas, que c'était important que je montre les choses comme je les voyais, en tant que continental arrivé en Corse.

Comment définiriez-vous votre rapport avec la Corse ?

Kamil Zihnioglu : Je suis né à Paris, mais depuis mon enfance je me rends régulièrement en Corse, parce que j'ai un peu de famille éloignée à Porto-Vecchio. 

En 2020, j'ai passé le premier confinement lié au Covid-19 en Corse. J'ai vu ça à l'époque comme une sorte de test pour comprendre ce que ce serait de vivre au quotidien sur une île, puisque ce ne sont pas les mêmes codes sociaux que sur le continent, et savoir si cela me plairait.

Aujourd'hui, j'y vis encore et je m'y sens bien. La Corse, c'est comme un refuge pour moi. Ma mère est Allemande et Syrienne, mon père est Turc.

Que ce soit en France, en Allemagne ou en Turquie - je ne me suis rendu qu'une seule fois en Syrie -, j'ai toujours été soit trop, soit pas assez, mais dans l'ensemble déraciné. En Corse, j'ai le sentiment d'avoir trouvé mes racines, et j'ai envie d'y rester bien au-delà de la fin de mon projet, que j'ai appelé "Intraccià".

Qu'envisagez-vous pour la suite ?

Kamil Zihnioglu : Je sors en juin 2024 un livre qui reprendra ce projet photographique Intraccià. Une exposition se tiendra au même moment au centre Una Volta de Bastia.

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