Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : peur bleue !

Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées. Ce jeudi, il est question d'un mystérieux confiné masqué et d'une étrange disparition. 

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Retrouvez le chapitre 22 : 
 

 
  • Chapitre 23 : Peur bleue !


J’ai fait mon premier drive après 22 jours de confinement. Soixante-douze heures de délai, beaucoup de références manquantes notamment sur le frais, au moment de la commande. Et pas de savon-paillettes ! C’est indispensable, non, le savon en paillettes ?
 


Signé, « le confiné masqué »…


En tout cas, sur sa liste de courses, ma chère maman avait inscrit « savon-paillettes ». J’ai souri, j’ai cherché sur le drive… et j’ai fini au magasin bio du coin pour en trouver. A neuf euros le sachet, cela fait cher la paillette ! Mais qu’est ce que je ne ferais pas pour ma maman qui supporte sans broncher ce confinement.

Dimanche, au téléphone, je lui avais dit « je passerai mercredi t’amener tes commissions, la commande sera prête à 12h, je monterai dans la foulée ». Je ne l’ai pas appelée la veille pour le lui rappeler, c’est sans doute ma grande erreur. De ne pas l’avoir appelée tout court, ce que je fais depuis le début (on ne précise plus de quoi, on le sait) chaque jour. A l’heure dite, je me suis donc présentée à la porte de l’immeuble et, chose que je ne fais jamais – parce que je ne me présente jamais les bras chargés de courses chez ma mère puisque, en temps normal, elle les fait toute seule comme une grande, ses courses – j’ai sonné à l’interphone, sachant que le système de code est capricieux en ce moment. Pas de réponse. Je me suis dit, « elle n’entend pas, elle doit être sur le balcon ».

J’ai donc cherché mes clés (ou plutôt les siennes) me rappelant que j’avais dans mon trousseau celle du portail. Chargée comme je l’étais – oui, j’avais deux litres de terreau en plus du reste, parce qu’au drive, il n’y a pas de savon-paillettes mais il y a du terreau et que ma mère avait des envies de jardinage, alors j’ai eu envie de faire une surprise à ma mère – j’ai pris l’ascenseur (ndlr : que je prends également quand je transmute à vide, donc, précision inutile). Mais j’étais bien contente de le prendre, à l’arrivée, cet ascenseur, et, cela, à cause d’un petit mot charmant signé « le confiné anonyme, donc masqué ! ». 

Il disait ce petit mot, « nous ne nous croisons quasiment plus comme avant mais il faut que nous gardions le sourire. Saluons-nous dès qu’une occasion se présente, et, quoi qu’il arrive, supportons-nous ».  La missive était beaucoup plus longue que ça et je l’ai prise en photo pour la relire avec mes lunettes cette fois.
 


Silence radio…


Arrivée à l’étage, j’ai posé les courses devant la porte, j’ai sonné et me suis éloignée : rien ! Pas l’ombre d’un mouvement dans l’appartement de ma mère. J’ai réessayé mais face au manque de réaction, j’ai fini par ouvrir (avec mon jeu de clés) non sans sortir une lingette désinfectante avant de saisir la poignée.

Là, j’ai crié « maman ! ». Silence absolu. Comme l’appartement est grand, j’avais encore espoir qu’elle soit dans la salle de bain en train de se laver les dents radio allumée, mais aucun écho de FM qui braille n’arrivait jusqu’à moi. En désespoir de cause, j’ai fini par rentrer, limite paniquée par ce qui pouvait m’attendre. Avait-elle fait un malaise ? Je me rappelais – s’il était besoin-  que je ne l’avais pas appelée la veille, déjà condamnée d’une telle ignominie.

J’ouvrais portes après portes en appelant toujours ma mère et je dois dire que jamais le couloir qui mène à sa chambre ne m’a paru aussi long. J’ai retenu mon souffle le temps d’ouvrir « sa » pièce… pour découvrir un lit au carré, et là, une petite voix m’a soufflé, « appelle-là ». J’ai sorti mon téléphone, cherché son numéro dans la liste et lancé l’appel. Après quelques secondes, ma mère décrochait. « Tu es où, je suis chez toi ? », me suis-je entendu dire d’une voix que je voulais calme. « Là, je suis en train de remonter à la maison », m’a répondu ma mère d’un air enjoué. J’ai su après qu’elle était descendue jusqu’à la pharmacie… J’ai abandonné les courses dans la cuisine avant de rejoindre ma voiture, largement soulagée.

Je rangeais encore des affaires dans mon coffre quand ma mère est arrivée, toute souriante, des fleurs qu’elle avait cueillies en chemin dans une main (il y a un espace vert arboré à coté de l’immeuble) et les chocolats qu’elle m’avait achetés pour Pâque dans l’autre. Je la trouvais magnifique et pimpante, j’avais juste envie de l’embrasser. Je crois qu’elle aussi, parce que j’ai dû lui dire plusieurs fois de reculer, qu’elle était trop près. Franchement ? Elle a eu l’air de s’en foutre royalement, il faisait beau, elle voyait sa fille et c’est tout ce qui lui importait.
 


Je l’ai laissée à ses sourires, au bonheur que lui avait procuré sa sortie du jour, parce qu’il faut trouver le bonheur où il est quand on passe ses journées seule. J’ai quand même dit, « maman, les chocolats, c’est adorable, mais je ne suis pas d’accord pour que tu ailles dans les commerces, ok ? ».  J’ai soigneusement évité de parler à ma mère du message que l’on m’avait transféré la veille…

Il disait cela, le message : « Chers amis, bonjour et merci pour votre soutien. Ce que je vis, je ne le souhaite même pas au pire de mes ennemis. 12 jours de coma artificiel, certains de ne pas se réveiller tellement cette cochonnerie est puissante. Puis retour en réa, mais on te dit : pas de remède pour les gros cas comme moi, refaire le système pulmonaire qui était attaqué à 80%, donc très affaibli. Je travaille tous les jours avec une kiné. Voilà, soyez prudents, c’est pas une grippette. Basgi a tutti »

Ce message, c’est l’homme que j’apprécie énormément - et dont je vous ai parlé il y a quelques jours – qui l’a adressé à ses amis en sortie de coma. Je crois que ces mots se passent facilement de commentaires. On comprend sans ombrage qu’il ne s’agit pas simplement de quitter le niveau le plus critique pour penser l’épreuve terminée. Dans la notion de « temps pour s’en remettre », il y a autre chose que l’idée d’un simple repos forcé.

Le propos note bien cette vie à réapprendre. A l’heure où le mot « déconfinement » tourne en boucle sur les chaînes télé laissant presque croire – à tort - que l’heure du relâchement  a sonné, il vient remettre un peu d’ordre dans les priorités, ce message.

J’ai songé à ma mère, au masque que je lui ai laissé hier comme une sécurité. Une sécurité, pas un passe droit, j’ai insisté. Il faut insister pour tout le monde, j’ai l’impression, non, avec ce beau temps ?

 
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