Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : Quand le ciel pleure un peu…

Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées. Ce lundi, elle pleure Félix Coggia, mort du Covid-19.

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Chapitre 20 : Quand le ciel pleure un peu…

J’en veux beaucoup au ciel, cela devait arriver. Arriver comme un orage quand le ciel se met au beau. J’ai décroché mon téléphone et il a pointé son nez, le gros nuage. Quatre mots à l’autre bout du fil ont suffi à faire disparaître un soleil.

Il avait pour prénom Félix ce soleil, mais je l’appelais tendrement «papa Coggia». C’était un sacré Monsieur, je vous assure. Un Monsieur avec des étoiles dans les yeux, des étoiles qu’il n’a jamais effacées, même quand son fils s’en est allé. Il s’est relevé de tout Félix, pas de ce fichu virus. Il est parti juste après Nénette, son épouse adorée. En trois jours, le seul fils qui leur reste a perdu ses parents.
 

Le hand en héritage…

Mais je ne vous ai pas raconté comment j’avais connu Félix. En fait, je l’ai rencontré dans un gymnase, quand j’ai débuté. J’étais jeune journaliste (sportive) de presse écrite, c’était longtemps avant la télé. Il était le père de Pierre, gardien du GFCA handball. Il hantait les gymnases comme une seconde maison, premier supporter d’une équipe qui allait voyager loin. Comme il allait lui-même «voyager» ensuite entre Ajaccio et Corte, pour encourager ses petits-fils assurant la relève. On a le handball dans le sang chez les Coggia. Je crois que le nuage d’hier a fait tomber un peu de pluie dans bien des cœurs entre là-bas et ici.

Cela me fait penser à cette phrase du fils de Pierre (lui-même fils de Félix, donc) le jour où l’on a enterré son père et qu’une fine bruine s’est invitée au cimetière, «même le ciel pleure un peu». Il fait grand soleil aujourd’hui, mais oui le ciel pleure un peu et moi (nous) avec, de ne pas pouvoir accompagner Félix, un peu plus loin, où le chemin s’arrête. Ce satané virus, non content de l’emporter, va même nous voler ça. Ce dernier « au revoir », on ne lui dira pas.

Hier, Alex, l’un de ses petits-fils m’a dit, «j’avoue que je suis très malheureux». Je le suis encore plus de ne pas pouvoir le serrer dans mes bras. Je ne parle pas d’une étreinte de circonstance mais celle que le cœur amène quand on n’a pas les mots pour le dire. Dans cette période, on est contraint de les trouver les mots, car c’est la seule chose que ce virus autorise. On appelle cela la distance sociale. Je la supporte pour tout le reste mais la déteste particulièrement aujourd’hui. Je n’aurais rien ôté à la tristesse d’un fils, de cinq petits enfants et de toute une famille, mais j’aurais été là. Pour moi. Pour pleurer ces larmes que «papa Coggia» n’aurait pas voulu. Celles qu’il ne verra pas.

Faire vivre le lendemain…

Alors vous savez ce qu’on fait, faute de mieux, pour noyer le chagrin? On se raconte par texto Félix. On a tous des souvenirs avec lui. J’en ai aussi. Papa Coggia m’a vue arriver un jour dans la profession. J’avais 24 ans.

J’étais la petite, celle qu’il envisageait avec tendresse. Il m’a toujours regardée avec ses yeux-là depuis. Non sans un regard de reproche - le front plissé et la mine contrariée – quand il me revoyait après un certain temps, l’air de dire «mais où tu étais passée, ce n’est pas bien de ne pas te voir si longtemps».

Il avait toujours cette approche paternelle bienveillante, Félix. J’aimais ce sourire qui disait qu’il était heureux de me voir, certain de la réciproque. Je le portais dans mon cœur comme on porte une partie de sa vie. Je le revois s’approcher du cercueil, le jour où mon père est parti : son fils n’aurait pas suffi, il était monté lui aussi.

J’avais une affection débordante pour «papa Coggia», une affection débordante pour son fils Pierre… il me reste celle que je porte à deux de ses petits-fils que j’ai vu grandir de loin, Marc-Antoine et Alex. Ce dernier me disait encore, hier, «Ah, c’était quelqu’un Félix». Oui, c’était quelqu’un, vraiment…


J’avais du mal avec l’idée du confinement mais j’arrivais à l’oublier jusqu’à hier. Jusqu’à ce que la vraie vie me rattrape et la mort avec elle. En écrivant cela, je me rappelle du noir qui chassait parfois les étoiles dans les yeux de Félix. Ses colères de passionné. Ai-je le même noir dans le regard en envisageant la faucheuse qui vient de siffler – arbitrairement - la fin d’une rencontre ? Je dirais qu’il est voilé par les larmes, mais oui.

Et puis le sourire me revient quand je pense à Félix, à toute sa malice. Il n’aurait pas aimé qu’on pleure, ça l’aurait rendu triste. Il aurait grondé – il savait gronder et dire les choses «papa Coggia» – pour nous dire de sourire et continuer. On sait qu’il serait parti tôt ou tard, Félix. Mais il aurait pu attendre un peu…

Je n’écrirai pas autre chose aujourd’hui, je n’y arrive pas. Une amie l’a dit mieux que moi ce matin, «J’EN PEUX PLUS DE CE PUTAIN DE VIRUS A LA CON». Elle l’a écrit comme ça. En gros caractères. C’est elle qui, par son coup de fil, a fait la météo de ma journée d’hier. Elle qui a pleuré avant de m’appeler pour me dire. Pour m’annoncer un gros cumulus rempli de pluie.

Mais vous savez la vérité vraie de tout ça ? Oui, un nuage est venu tuer le soleil mais le soleil est toujours là ! (là, quelque part au fond du cœur).

(La mort rôde sournoise, depuis le début de l’épidémie. Comme si on attendait qu’elle se manifeste un jour par un nom. Elle en a un aujourd’hui pour moi. Je ne peux pas écrire autre chose ce matin, c’est trop triste. Jamais cet enfermement ne m’a paru aussi pesant. Pourtant, ce sentiment d’abattement, je le vis régulièrement depuis le début du confinement. Il est toujours suivi d’un rebond. J’attends celui qui viendra demain…)

 
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