Julien Colonna présente son premier long-métrage, le Royaume, dans la catégorie Un certain regard, sur la Croisette. Nous avons rencontré le réalisateur et scénariste, afin d'en savoir plus sur ce film de fiction qui est né de sa propre expérience.
Lesia, une adolescente corse, est arrachée à l'insouciance de l'enfance lorsqu'un homme à moto vient la prendre, un été, et l'emmène rejoindre son père, dans une villa isolée. Son père, c'est une figure du grand banditisme insulaire, pris dans la guerre que se livre le milieu insulaire. Commence une cavale de plusieurs semaines, entre moments de tendresse et de complicité entre le père et sa fille, et montées de tension alors que la traque bat son plein...
Entretien
Julien Colonna, vous êtes le fils de Jean-Jé Colonna, surnommé le dernier parrain corse. Est-ce que ce film est autobiographique ?
Ce film est inspiré de la relation parent-enfant que j'ai vécue. J'y ai puisé une certaine véracité, mais j'ai voulu écrire un récit de fiction. Ni moi ni personne ne peut prétendre avoir vraiment vécu les situations que je décris dans Le Royaume. Avec ma coautrice, Jeanne Herry [réalisatrice et scénariste du film Je verrai toujours vos visages, en 2023 - NDLR], on a voulu faire un travail de scénaristes, pas un travail de mémoire.
On voulait montrer la machine de la voyoucratie dans son extinction programmée et inévitable
Julien Colonna
Votre personnage central, Lesia, est une jeune femme. C'était une façon de mettre une distance supplémentaire entre votre expérience et le film ?
C'est avant tout un choix dramaturgique. Cette jeune fille, une enfant sentinelle, avec sa blessure rentrée, courageuse, déterminée, et douce en même temps, plongée dans ce milieu opaque, très masculin, ça faisait sens. L'idée, c'était de dépeindre cette relation filiale qui tente d'exister, qui tente de survivre, dans un contexte ou tout meurt.
Vous dites avoir voulu faire un anti-film de voyous. Qu'est-ce que ça signifie ?
On voulait montrer la machine de la voyoucratie dans son extinction programmée et inévitable. On s'est concentré sur ces destins tragiques. Ces hommes sont des pénitents de leur propre vie, ils vivent comme des animaux sauvages, entre la chasse et la cache. Ce fatum devait écraser l'histoire et ses personnages dans sa lente inertie.
Votre vision de ce monde n'a rien de glamour ou de clinquant...
Ce qui nous intéressait, c'était la relation entre un père et sa fille. Le reste, les guerres de clans, les guerres de territoire, on l'a volontairement mis au second plan. Que ce soit en Corse ou ailleurs, dans les films ou dans la réalité, ces histoires-là se ressemblent toutes. Avec Jeanne, on voulait positionner Le Royaume ailleurs.
Les choix de vie marginale de ces hommes ont des conséquences sur la vie des proches
Julien Colonna
Vous redonnez également une réalité aux personnes qui sont les victimes collatérales du grand banditisme.
C'était important pour moi d'essayer de dépeindre un milieu trop souvent fantasmé, et d'essayer de le montrer d'une manière plus fidèle. Les choix de vie marginale de ces hommes ont des conséquences sur la vie des proches, les femmes, les enfants, les frères, les soeurs... C'est ce que les Italiens appellent la Malavita.
Si des collectifs Antimafia vous demandaient de montrer ce film dans des collèges, des lycées, est-ce que vous iriez ?
J'accompagnerai le film partout où on me le demandera, mais je ne suis pas là pour donner des leçons. Ce que l'on veut, avec ce film, qui est une fiction, c'est instiller des pistes de réflexion, pas apporter des réponses toutes faites. Mais si un jeune voit le film et remet en question ses choix de vie alors qu'il se dirigeait vers ce monde-là, alors peut-être que le film aura servi à quelque chose.