Patrimoine corse : faut-il rénover les tours génoises à la chaux ?

La rénovation de la tour génoise d’Albu à Ogliastro est sur le point de se terminer. Mais les premières photos de l’édifice choquent une partie de la population. Le problème : l’utilisation d’un enduit à la chaux afin de rendre à l’édifice son état d’origine. 

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Elles sont encore 90 à ponctuer le littoral corse. Partie intégrante de l’identité visuelle des paysages insulaires, les tours génoises ont toutes une caractéristique commune : les pierres apparentes. 

Toutes sauf deux : la tour de Miomu à Santa-Maria di Lota et la tour d’Albu à Ogliastro. Ces édifices ont été rénovés dans le cadre d’un programme de rénovation initié par la collectivité de Corse en 2017 et financé à haute de 1,5 million d’euros par des fonds européens. Dans ces deux cas, les pierres ont été recouvertes d’un enduit à la chaux. Résultat : les murs sont lisses et blancs. 

Si Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de Corse, s’est félicité du rendu final dans un tweet, la polémique naît sur les réseaux sociaux. « Quel esprit barbare a pu concevoir un tel massacre de votre patrimoine corse ? » s’interroge un internaute. « La voilà bien bétonnée la tour d’Albu, cela permettra aux générations suivantes de gratter pour retrouver un vestige d’une autre époque », s’exaspère un autre. 
 


 


« L’utilisation de la chaux était systématique sur les bâtiments militaires »


Une polémique qui n’étonne pas Antoine-Marie Graziani, historien et auteur du livre « Les Tours du littoral de la Corse ». « Ce n’est pas une nouveauté, c’est un polémique qui apparaît de manière régulière à chaque fois que l’on touche au patrimoine. La chaux ne passe pas, mais il faut attendre que ça patine à ce moment-là, on verra les choses autrement », explique-t-il. 

S’il concède avoir été choqué à la vue de la tour d’Albu rénovée, « ça fait neuf, presque toc », il rappelle que l’utilisation de la chaux correspond à l’architecture militaire, fonction initiales de ces édifices bâtis au XVIe siècle. « J’ai consulté énormément de documents et l’utilisation de la chaux était systématique », note-t-il. 

C’est d’ailleurs ce que les études, menées sur la tour, ont révélé. « Des prélèvements ont été effectués. Lorsque tout est revenu du laboratoire, on s’est rendu compte que tout avait été enduit à la chaux au moment de la construction », explique Jean-Toussaint Morganti, maire d’Ogliastro. Avant les travaux, de 230.000 euros dont 70 % financés par le fonds européen de développement régional, la population a été consultée. « Au début, tout le monde voulait garder les pierres, car ils l’avaient toujours connue comme ça. Après des débats et des projections, ils ont compris l’importance de notre choix et maintenant, ils sont majoritairement satisfaits », assure-t-il. 

 
 

L’appréciation de l’état de ruine ? 


La réaction populaire face à cette rénovation amène les experts à s’interroger. Sébastien Celeri, architecte du patrimoine, estime que cette polémique invite à renforcer le travail de communication et de pédagogie autour des travaux de rénovation. « Notre œil n’est-il pas conditionné à aimer ces tours dans ces états parce que nous n’avons que ça ? Ces réactions sont assez logiques puisque les tours génoises font partie de notre patrimoine commun et chacun se l’approprie à sa façon. Néanmoins, ces pierres apparentes traduisent aussi l’état d’abandon de la Corse, que l’on retrouve aussi dans les villages, qu’un grand nombre trouve beau et auquel nous sommes habitués » analayse-t-il. Il insiste : « même si ça peut surprendre, le choix de la chaux va sauver l’édifice pour encore trois siècles. »

Une analyse partagée par Monique Traeber-Fontana, présidente de la fédération d’association et de groupements pour les études corses et spécialistes des églises baroques. Il y a quelques années, lorsqu’un travail de rénovation de ces édifices, à la chaux, a été entrepris, elle a rencontré les mêmes oppositions. « Le matériau n’est pas choisi par hasard, il facilite la visibilité et donne de l’importance au monument », soutient-elle.
 
Selon elle, il n’y a pas de bonne solution. Tout doit être analysé au cas par cas. « Parfois, lorsque les bâtiments sont déjà dans un état de ruine avancé, il n’est pas forcément légitime de les restaurer dans leur état d’origine. Il faut veiller à ne pas devenir sectaire et surtout rester fidèle à la destinée d’un bâtiment », complète-t-elle. 

Après Santa-Maria di Lota et Ogliastro, une troisième tour est sur le point d’être rénovée à Nonza. Les experts s’y attendent déjà, quelle que soit la solution choisie, elle engendrera, encore une fois, la polémique. 




 
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