En visite à Ajaccio ce mercredi, le candidat du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) à l’élection présidentielle est revenu sur les récents événements qui ont secoué l’île. Et sur la question de l’autonomie, une semaine après la venue de Gérald Darmanin.
" Philippe vient en Corse dans des circonstances qui sont celles que vous connaissez. Nous sommes aussi attristés que l’ensemble du peuple corse du drame qui vient de se passer. La responsabilité de l’État est centrale."
C’est par ces mots, en guise d’introduction, que Serge Vandepoorte - militant d’A manca - a laissé la parole à Philippe Poutou.
Mercredi 23 mars, après un crochet par France 3 Corse et le plateau d'In Tantu, le candidat de la gauche révolutionnaire à la présidentielle s'est rendu dans la salle de restaurant d'un hôtel ajaccien. Face à quelques journalistes, le leader du Nouveau parti anticapitaliste a d’abord rappelé les conditions de sa venue dans l’île :
" On profite d’un jour libre de la campagne. Je dis "libre " avec des guillemets puisque je devais participer à une émission spéciale présidentielle avec tous les candidats ce soir sur BFM. On avait donc la journée bloquée. Mais il se trouve que l’émission a été annulée. "
Philippe Poutou en a donc profité pour sauter dans un avion pour la Corse. "Avec la situation politique ici et la contestation, on s’est dit que c’était peut-être l’occasion d’organiser une rencontre."
Celle-ci s’est faite en deux temps : une conférence de presse d’abord. Une réunion publique ensuite avec des militants politiques (A manca, Inseme a manca, la France insoumise, Core in Fronte) et des représentants syndicaux (CGT et STC).
Dans la salle, les questions tournent rapidement autour de la situation dans l’île, une semaine après la visite du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et deux jours après le décès d’Yvan Colonna.
"La gestion du gouvernement a été catastrophique, assène Philippe Poutou. Il y a d’abord eu une colère politique puis une colère sociale qui a explosé. C’était une réaction au déni démocratique et à l’attitude de l’État français, un État colonial, qui refuse de reconnaître des droits à un peuple, des statuts et le droit de parler sa propre langue. "
Corse, Pays basque, Kanaky
Le candidat du NPA rappelle également la position de son parti sur la question de l’autonomie : " De principe, on fait partie de ce courant politique révolutionnaire qui revendique le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce n’est pas nous qui allons décider à la place de autres mais on pense que c’est un droit qui peut être reconnu. Cela n’est pas seulement le cas de la Corse. Il y a aussi le Pays basque, ce qu’on appelait les Dom-Tom et, plus récemment, la question de la Kanaky. Elle a d’ailleurs été traitée par l’État français d’une manière désinvolte et très irrespectueuse. "
Pour rappel, le "non" à l'indépendance l'avait emporté à 96,5% le 12 décembre dernier en Nouvelle-Calédonie. Un résultat en trompe-l'oeil marqué par un fort taux d'abstention dû au fait que les partisans du "oui" à l'indépendance avaient boycotté le scrutin qui aurait dû être reporté selon eux en raison de la pandémie de Covid-19.
Concernant un éventuel référendum - évoqué par certains élus locaux - sur l'avenir institutionnel de la Corse, Philippe Poutou est mesuré : "Il faut voir comment la question est posée. L'idée de demander l'avis à la population paraît légitime, mais on a aussi l'expérience de certains référendums. Suivant comment c'est "fabriqué", ça ne résout pas forcément tous les problèmes. Le référendum en Kanaky est quand même l'exemple d'une entourloupe."
"Un système de plus en plus injuste"
Questionné par Maïdée Nicolaï, secrétaire nationale du STC, sur ses récentes déclarations concernant les violences dans l’île qu’il jugeait “légitimes”, Philippe Poutou n’a pas changé de discours : “Nous, quand la population et les peuples s’organisent et expriment leur colère, ça nous fait plaisir. C’est bizarre de dire ça car il y a des bâtiments qui brûlent, mais ça ne nous choque pas tant que ça en fait. Ce qui nous choque, c’est la violence d’une société capable d’accumuler autant d’injustices, d’inégalités et d’irrespect des gens. Et quand ça réagit, on se dit il y a un sursaut qui est légitime, normal et humain.”
Si le débat autour de la présidentielle est quelque peu éclipsé par l'actualité insulaire, les parallèles avec le Continent se font par le biais de la "colère d'une jeunesse en situation précaire".
Selon le candidat du NPA, dans l'île, cette colère est liée à celle contre l’État déclenchée par “l’affaire Colonna”. “On a vu une jeunesse très mobilisée, très en colère. On retrouve des choses qui se passent notamment au Pays basque, avec une jeunesse sans avenir, sans perspective, face à une spéculation immobilière et des loyers qui explosent. Il y a aussi la difficulté d’avoir du boulot et d’être payé correctement. Il y a le sentiment d’être méprisé et d’être écrasé par un système de plus en plus injuste. Et là, ça explose.”
L’autonomie de la Corse pourrait-elle remédier à cette situation sociale ? “Il faut aussi discuter socialement, répond l’ex-ouvrier de l’usine Ford de Blanquefort (Gironde). Il ne faut pas laisser le pouvoir ou la domination à des couches riches qui pourraient profiter de la situation. Il y a aussi les aspects lutte de classe. En règle générale, il faut arriver à poser ces problèmes-là en même temps. C’est l’idée d’une autonomie politique et d’une même dépendance politique qui permet aussi de construire un monde sans oppression et sans exploitation dans lequel on ne laisse pas la main à des ultra riches. Et comme au Pays basque, il y a certainement des ultra-riches corses.”
"Il ne peut y avoir d’évolution institutionnelle sans que la question sociale soit au cœur de la discussion."
Présent dans la salle, Patrice Bossart rebondit sur les propos de Philippe Poutou. Le secrétaire général de la CGT Corse-du-Sud a notamment assisté à la réunion avec le ministre de l’Intérieur la semaine dernière à Ajaccio :
“Notre attention autour du mouvement des travailleurs est de se dire qu’il ne peut y avoir d’évolution institutionnelle sans que la question sociale soit au cœur de la discussion. On l’a vu au travers des accords de Matignon, il y a vingt ans, où ces questions sociales n’ont pas été incluses dans le package des discussions avec l’Etat. Et donc, lorsque le ministre de l’Intérieur prend une postion sur la question de l’article 74, cela doit attirer toute notre attention à nous syndicalistes. Il nous semble primordial que ces questions qui sont des éléments de transformation notable de la société doivent être au cœur des discussions, y compris localement mais aussi selon le calendrier fixé par le ministre de l’Intérieur avec un texte qui doit être proposé d’ici la fin de l’année.”
D’ici là, l’élection présidentielle aura rendu son verdict le 24 avril prochain. Selon les derniers sondages, Philippe Poutou est crédité de 1,5% des intentions de vote.