Témoignage. Journée mondiale de lutte contre le Sida : "J'ai toujours la crainte d'être mal vu, d'être rejeté du fait de ma maladie"

Publié le Écrit par Axelle Bouschon

Quarante ans après l'identification du virus du Sida, grâce à l'évolution des traitements médicamenteux, le quotidien des malades s'est considérablement amélioré. Mais entre clichés et fausses informations, le regard de la société peut être toujours difficile à affronter.

"C'était en 2010, j'avais 23 ans, et j'étais en troisième année de licence d'économie. Comme à peu près tous mes amis, je passais plus de temps dans les bars que sur les bancs de la fac... Et j'avais beaucoup de rapports sexuels non-protégés. Ce n'était pas une question de prendre des risques, c'est plutôt que je n'y avais jamais vraiment pensé. Pour moi, le sida, c'était presque une maladie moyenâgeuse."

Nathan* [le prénom a été anonymisé, ndlr] s'en souvient comme si c'était hier : "Je fréquentais depuis un an un garçon, et un jour, il m'a proposé d'aller nous faire tester. Une campagne de sensibilisation était organisée sur le campus, donc c'était l'occasion. On y est allés très tranquillement, un peu comme on part au marché. Et puis les analyses sont revenues positives, et je me suis complètement effondré."

"Je n'osais plus sortir, je n'osais plus aller en cours, j'avais même du mal à me motiver à aller faire mes courses. C'était un choc énorme."

D'étudiant insouciant "toujours un pied entre deux soirées", Nathan devient anxieux et replié sur lui-même. "Je n'osais plus sortir, je n'osais plus aller en cours, j'avais même du mal à me motiver à aller faire mes courses. C'était un choc énorme. On se dit toujours : ça n'arrive qu'aux autres, pas à moi. Moi, je fais attention. Et puis ça vous arrive et vous vous demandez à quel moment vous avez plus fauté, et ce que vous auriez dû faire, mais c'est trop tard, il n'y a plus de retour en arrière."

Rapidement, les rendez-vous médicaux s'enchaînent pour les deux hommes. Et avec la pression et l'angoisse naît aussi un ressentiment, source de nombreux conflits. Nathan et son ami s'accrochent malgré tout, veulent croire en leur capacité de tenir ensemble, et s'inscrivent même à des thérapies de couple spécialisées. Rien n'y fait. "Au final, la maladie aura eu raison de notre couple, soupire-t-il. Je pense qu'on s'accusait l'un et l'autre d'être responsable de notre contamination, sans vraiment se le dire."

La crainte de l'exclusion sociale et du qu’en-dira-t-on

Les premiers mois après la découverte de sa séropositivité ont été "difficiles" et rythmés par "de nombreuses crises d'angoisse" admet Nathan. "Pas vraiment pour la question médicale, puisque je suis suivi depuis le début". Un bon point, quand certains patients tardent à contacter des professionnels de santé, ce qui complique par la suite leur prise en charge.

"C'était plutôt l'aspect vie au quotidien : comment allais-je l'annoncer à ma famille, à mes amis ? Comment allaient-ils recevoir la nouvelle ? Je venais déjà tout juste de leur apprendre mon homosexualité, et je me préparais déjà aux réflexions et aux attaques sur mon mode de vie et mes fréquentations."

Douze ans après son diagnostic, Nathan explique n'être toujours pas "apaisé" sur ce point. "Mes très proches sont au courant, mes médecins aussi, mais c'est tout. Au travail, dans la vie courante, j'ai toujours la crainte d'être mal vu, d'être ou de me sentir rejeté du fait de ma maladie."

Le poids des clichés et des fausses informations

Sa vie sentimentale tourne, elle, "au ralenti", regrette-t-il. "Sur la dernière décennie, je n'ai fréquenté que quelques personnes avec lesquelles ça ne s'est à chaque fois pas bien terminé. J'ai rencontré récemment un homme qui me plaisait beaucoup qui a tout simplement refusé de continuer à me voir dès que je lui ai parlé de ma maladie. Et quand ce ne sont pas les gens qui me repoussent, c'est moi qui mets sans le vouloir des barrières."

"Un ami à moi séropositif a fini à l'hôpital en très mauvais état après avoir été roué de coups par une de ses fréquentations qui l'accusait de vouloir lui transmettre le sida."

La faute à des malheureux épisodes vécus par des connaissances et qu'il craint de voir un jour lui arriver. "Un ami à moi séropositif a fini à l'hôpital en très mauvais état après avoir été roué de coups par une de ses fréquentations qui l'accusait de vouloir lui transmettre le sida, alors qu'il prenait toutes les précautions. Son agresseur pensait qu'il pouvait lui transmettre juste par un baiser, ce qui est complètement faux."

Pour Nathan, c'est aujourd'hui tout le paradoxe du VIH, ou virus de l’immunodéficience humaine : "Aujourd'hui, les personnes séropositives comme moi souffrent toujours d'un certain nombre de clichés et méconnaissance de ce que sont la maladie et ses risques de contamination, et sont mises de fait au ban de la société. Mais dans le même temps, presque plus personne ne se soucie du sida, qui n'est plus considéré comme un risque au quotidien."

190.000 personnes vivent avec le Sida en France

En France, ce sont autour de 190.000 personnes qui vivraient avec le VIH. Sur ce total, elles ne seraient que 86% à connaître leur séropositivité. Selon le dernier bulletin de Santé publique France, 6,5 millions de sérologies VIH ont été réalisées en 2022 par les laboratoires de biologie médicale. "L’activité de dépistage du VIH, qui avait diminué entre 2019 et 2020 en lien avec l’épidémie de Covid-19, a réaugmenté pour atteindre un niveau en 2022 supérieur à celui de 2019."

En 2022, ce sont entre 4200 et 5700 personnes qui ont découvert leur séropositivité VIH. Un nombre en hausse par rapport à 2021, après une forte baisse observée en 2020, mais qui reste inférieur à celui de 2019. "Cette augmentation touche plus particulièrement les personnes nées à l’étranger, qu’elles aient été contaminées par rapports hétérosexuels ou rapports sexuels entre hommes", est-il précisé.

Plus encore, sur l'ensemble de la période 2021-2022, la diminution du nombre de découvertes de séropositivité est estimée entre -11% et -21%. "Cette diminution est encore plus importante chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) nés en France et peut être expliquée par le recours à la prophylaxie pré-exposition (PrEP) [un moyen de prévention du VIH particulièrement prometteur, avec des niveaux d'efficacité jusqu'à 92%] pour une part de cette population", note l'étude. 

Reste que 43% des infections à VIH ont été découvertes à un stade tardif de l'infection en 2022, une proportion qui ne diminue pas depuis pas depuis plusieurs années.

Une maladie encore trop méconnue

Selon une étude du Crips Île-de-France (Centre régional d’information et de prévention du sida et pour la santé des jeunes), 8 Français sur 10 se disent spontanément bien informés sur le VIH. "Un niveau d’information dont la fragilité se vérifie sur leurs connaissances en matière de prévention et de dépistage", est-il relevé.

Ainsi, 64% des Français pensent que le préservatif est l'unique mode de prévention contre le VIH. 53% ignorent que personne séropositive sous traitement ne transmet pas le VIH. Enfin, concernant le dépistage du VIH, seule une courte majorité de Français déclare savoir qu’il est gratuit dans tous les laboratoires d’analyses médicales (59%), et ne nécessite pas d’ordonnance (57%).

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