La procédure est extrêmement rare : Eric Métivier, juge d'instruction ajaccien, vient d'être récusé sur décision de la première présidente de la cour d'appel de Bastia d'une affaire portant sur une tentative d'assassinat, survenue à Porto-Vecchio en janvier 2023. Il est reproché au magistrat d'avoir fait preuve de partialité.
Hélène Davo, première présidente de la cour d'appel de Bastia, et Jean-Jacques Fagni, procureur général près la cour d'appel de Bastia, en conviennent tous les deux : il s'agit d'une procédure extrêmement rare, et "qu'on ne prend pas à la légère".
Sur décision de la première présidente de la cour d'appel de Bastia, le juge d'instruction ajaccien Eric Métivier a été récusé, mercredi 17 janvier, du dossier Bornea/Battesti - Marcellesi, dont il avait la charge depuis un an. Une information révélée par nos confrères du Monde, et que France 3 Corse ViaStella a pu se faire confirmer.
Au motif de ce dessaisissement : une requête en récusation déposée le 18 décembre dernier à l'encontre du magistrat par la défense de la partie civile.
Impartialité dénoncée
Un dossier long de 61 pages, dans lequel ont été insérés "des éléments objectifs de la procédure", indique Me Valérie Vincenti, conseil de Guillaume Marcellesi. Il y est ainsi reproché à Eric Métivier des propos tenus tout au long de l'instruction, notamment au cours des auditions des parties civiles - y compris la toute première - avec “des appréciations” pouvant laisser entendre une volonté d'amenuiser le préjudice de la victime.
Mais également les ordonnances répétées de remise en liberté d’Antoine Bornea formulées par le magistrat - et toutes infirmées par la chambre d’instruction -, laissant supposer à la défense de la partie civile une certaine complaisance, ou encore la décision du juge de ne pas poursuivre la piste financière comme possible motif de ce passage à tabac.
"Une absence de délicatesse vis-à-vis des parties civiles et du ministère public"
Remontée jusqu'à la première présidente près la cour d'appel de Bastia, Hélène Davo, la requête a finalement été validée par cette dernière. Dans une ordonnance justifiant cette décision, la première présidente évoque, après analyse des différents éléments présentés par la défense de Guillaume Marcellesi, une "absence de délicatesse" de la part du juge d'instruction ajaccien, ceci vis-à-vis des parties civiles, "mais également du ministère public, délicatesse consubstantielle au devoir de magistrat - et de mesure dans l'expression".
Des propos qui laissent ainsi "transparaître une absence d'impartialité vis-à-vis des parties civiles", estime Hélène Davo, "qui se trouvent ainsi stigmatisées".
Contactée, la première présidente près la cour d'appel de Bastia maintient ce point de vue : "L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme est très clair : les citoyens doivent être égaux devant la loi, et l'impartialité du magistrat doit être garantie. Dès lors qu'un juge d'instruction fait preuve de partialité, nous sommes dans l'obligation de le récuser, détaille Hélène Davo.
"Dès lors qu'un juge d'instruction fait preuve de partialité, nous sommes dans l'obligation de le récuser"
"Il ne s'agit pas de choisir son juge pour son procès, mais simplement de respecter le Code civil, poursuit-elle. Dans ce dossier, la requête déposée et la décision de procéder au dessaisissement étaient largement motivées."
La première présidente conclut sur une précision : "Nous sommes face à un juge qui a déjà été infirmé 32 fois par la chambre d'instruction", depuis sa prise de poste au sein du tribunal judiciaire d'Ajaccio, en août 2022, dont plusieurs fois dans le cadre de cette affaire.
"La justice pénale est une matière particulièrement grave qui nécessite une rigueur dans son application."
Une décision saluée par la défense de Guillaume Marcellesi. "L'ordonnance de récusation rendue par Madame Davo est une décision justifiée, motivée et rassurante, se félicite Me Valérie Vincenti. La justice pénale est une matière particulièrement grave qui nécessite une rigueur dans son application."
"L'ordonnance de récusation rendue par Madame Davo est une décision justifiée, motivée et rassurante"
En sanctionnant cette partialité dénoncée, la première présidente "a été la gardienne rigoureuse de ses principes, foulés aux pieds par l'absence manifeste d'impartialité du juge d'instruction, qui depuis 12 mois a réitéré ses stigmatisations des parties civiles ainsi que du ministère public et ce, malgré les nombreuses motivations de la chambre de l'instruction, lui rappelant le droit et ses obligations", insiste l'avocate.
Citant plusieurs articles de presse publiés, au cours des derniers jours, sur cette affaire, Me Valérie Vincenti, reproche la un certain "émoi", qui aurait parfois tenté, "de manière grossière et inopérante, de présenter les auteurs présumés de tentative d'assassinat pour des victimes. La seule victime est Guillaume Marcellesi, passé à tabac jusqu'à l'inconscience par ses deux assaillants."
"Il a été porté atteinte à l’indépendance d’un magistrat du siège"
Maîtres Dominique Paolini et Jacqueline Laffont, conseils d'Antoine Bornea, déplorent de leur côté "une décision inexplicable et inquiétante pour ce dossier mais plus généralement pour la justice pénale."
Pour les avocats, qui se disent scandalisés, "les motivations retenues sont infondées ou dérisoires. Il est en réalité clairement reproché au juge d’instruction d’avoir instruit à charge et à décharge ce qui est sa mission. Il a ainsi été porté atteinte à l’indépendance d’un magistrat du siège. Cette immixtion dans la liberté d’appréciation d’un juge d’instruction provoque une vive inquiétude et crée un précédent dangereux."
"Il est en réalité clairement reproché au juge d’instruction d’avoir instruit à charge et à décharge ce qui est sa mission."
Pour Maîtres Dominique Paolini et Jacqueline Laffont, cette ordonnance de la première présidente près la cour de l'appel de Bastia s’inscrit "dans un climat délétère que nous dénonçons depuis de nombreux mois dans ce dossier. Et dont notre client est la victime collatérale."
Ils concluent : "C’est avec détermination que nous poursuivrons sa défense dans le respect du droit et avec la sérénité de tout combat judiciaire dans un dossier qui s’en est éloigné pour des raisons qui nous échappent et qui nous semblent éloigné de la justice."
Un prochain juge d'instruction bientôt désigné
Consulté sur le sujet, le procureur général près la cour d'appel de Bastia, Jean-Jacques Fagni, avait enfin émis un avis défavorable au dessaisissement du juge Métivier sur cette affaire.
"Ce sont des choses qui arrivent, on m'a demandé mon avis, je l'ai formulé, il n'était pas le même que celui de la première présidente. Ce sont des choses qui arrivent dans la vie judiciaire", tempère-t-il.
"La première présidente reste bien évidemment libre de son appréciation sur ce dossier. La procédure est peu courante, mais inscrite dans le code de procédure pénale, et donc tout à fait possible."
Désormais orphelin de magistrat, le dossier Bornea/Battesti - Marcellesi devrait prochainement être confié à un nouveau juge d'instruction, désigné par le président du tribunal judiciaire d'Ajaccio.
L'influence prêtée par certains à l'hôtelier et promoteur immobilier Jean-Noël Marcellesi, père de la victime, a-t-elle pu peser dans cette rare décision de récuser le juge d'instruction ? Les avocats de la défense ne l'excluent pas. La cour d'appel ne fait pas de commentaires sur cette question.
Passage à tabac
Pour rappel, l'affaire remonte au 17 janvier 2023. Guillaume Marcellesi est victime d'une violente agression à Porto-Vecchio. Frappé notamment au moyen d'une barre de fer, Guillaume Marcellesi s'en sort avec un pneumothorax et de multiples fractures faciales, et se voit prescrire 30 jours d'ITT.
L'attaque, particulièrement brutale, est filmée dans son intégralité par quatre caméras de vidéosurveillance présentes sur la scène. L'agresseur, Antoine Bornea, et son complice, Pierre Battesti, sont rapidement interpellés et mis en examen pour "tentative d'assassinat".
Un an après les faits, la défense de Guillaume Marcellesi avance que leur client souffre encore aujourd'hui de séquelles physiques de ce passage à tabac. Antoine Bornea reste lui placé en détention provisoire. Pierre Battesti a de son côté été remis en liberté, et placé sous contrôle judiciaire.
Rencontre fortuite ou intimidation ?
Quelles sont les raisons de cette violence agression ? Pour la défense d’Antoine Bornea, sa rencontre avec Guillaume Marcellesi était fortuite, et les violences ont pris place à la suite d’un différend entre le fils de l’accusé et la victime.
Une version réfutée par les conseils de la partie civile, qui parlent eux d’un contexte de tensions entre les deux parties. Selon le quotidien le Monde, Jean-Noël Marcellesi, le père de la victime, aurait ainsi fait état d’une “démarche d’intimidation” antérieure de plusieurs mois à l’attaque de son fils. Même constat pour le ministère public, qui estime, lui, que l’agresseur aurait “tenté d’obtenir par la violence un engagement de renonciation à l’acquisition d’un ensemble immobilier situé à Porto-Vecchio au préjudice de Jean-Noël Marcellesi”.
Le projet en question : un complexe immobilier situé sur le site de Piantarella. L’achat du site avait été remporté fin 2022 par Jean-Noël Marcellesi. L’homme se trouvait alors en compétition avec d’autres acheteurs, parmi lesquels Paul Canarelli, propriétaire du domaine de Murtoli, et beau-frère d’Antoine Bornea.
Selon la famille Marcellesi, Antoine Bornea les aurait menacés pour se retirer dudit projet. Le juge Eric Métivier n'a néanmoins pas choisi, au cours de son instruction, de poursuivre la piste financière comme motif d'agression, préférant placer Antoine Bornea sous le simple statut le statut de témoin assisté dans un volet supplétif de cette affaire, pour le chef de "tentative d'extorsion en bande organisée".