Les marchands de journaux de l’île ne reçoivent plus la presse quotidienne nationale depuis le 20 Mars.
C’est un cri d’alarme. Celui du président régional des diffuseurs de presse : sous l’effet conjugué de l’arrêt de l'avion de l’aéropostale et de la liquidation judiciaire des filiales régionales de presstalis, les marchands de journaux de l’île ne reçoivent plus la presse quotidienne nationale depuis le 20 Mars. Même les habitués des kiosques ne s’en sont pas aperçus tout de suite, en raison du confinement.
Mais petit à petit, la présence, à l’entrée des commerces, de ces présentoirs désespérément vides a délivré son incroyable vérité : la presse quotidienne nationale (PQN) a disparu des kiosques insulaires. « Voilà 80 jours que nous sommes sans quotidiens nationaux », s’insurge Luc Chautard président de culture presse Corse, relai de l'union nationale des diffuseurs.
80 jours que les 200 diffuseurs de presse de l’île n’ont presque pas eu un « Libération », un « Figaro » ou « Les échos » à mettre entre les mains des lecteurs.
Tout a commencé le 20 mars, ce jour, au début du confinement, où l’aéropostale a arrêté ses rotations. Plus d’avions. Plus de journaux. « On a subi cette période du covid, en restant ouverts puisqu’on faisait partie des rares qui en avait le droit, mais sans quotidiens nationaux à vendre ».
A force de protester auprès des autorités, les diffuseurs de presse de l’île ont obtenu la mise en place d’un transport des quotidiens par avion d’Air Corsica. « Cela a fonctionné une semaine, du 5 au 13 mai seulement ». Pour les abonnés postaux des quotidiens, ce service se poursuit depuis, en attendant le retour de l’aéropostale.
Les conséquences du redressement judiciaire de presstalis
Le problème pour les diffuseurs, c’est le placement en redressement judiciaire de Presstalis, décidé par le tribunal de commerce le 15 mai dernier. Cela a conduit à la liquidation des antennes régionales et de leurs 512 salariés, exclus du plan de sauvetage proposé par les seuls quotidiens, faute d’accord avec les magazines.
Conséquence immédiate de ces liquidations pour la Corse : le dépôt de Marseille, d’où partaient les quotidiens nationaux pour l’île, mais aussi le dépôt d’Ajaccio qui les distribuait en Corse du sud, ont fermé leurs portes.
« Sans la SAD (société anonyme de diffusion) d’Ajaccio qui comptait six salariés, la Corse du sud n’a même plus de dépôt pour les magazines », explique encore Luc Chautard. En attendant un éventuel repreneur, c’est la sobadi, habituellement chargée uniquement de la Haute Corse qui assure aussi la livraison des magazines dans le sud».
Faute d’avion postal, ces magazines arrivent en Corse par bateau. « La sobadi, précise son directeur, a conclu avec presstalis un plan de continuité d’activité pour assurer cette livraison en Corse du Sud. Il restera en vigueur, poursuit Carlos Oliveira, jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée par les mandataires pour l’avenir du dépôt d’Ajaccio ». Ces mandataires doivent désormais choisir entre deux candidats, dont la Sobadi.
Leur décision est attendue le 15 juin.
Jusqu'à 40% de chiffre d’affaires en moins
Quand les quotidiens nationaux reviendront-ils dans les kiosques insulaires ? Personne n’en sait rien. Tout juste si les diffuseurs de l’île peuvent chiffrer les pertes que cela suscite.
En Corse comme ailleurs, les ventes de quotidiens nationaux ont baissé ces dernières année. De 2009 à 2019, le nombre d’exemplaires achetés en kiosque a été divisé par trois. Mais l’an dernier, il s’en est encore vendu 1,1 million (600 000 en Haute Corse, 516 000 en Corse du sud).
Selon les points de vente, ces quotidiens nationaux représentent de 20 à 40 % du chiffre d’affaires. En outre, leur absence des étals a incité nombre de lecteurs à adopter leur version numérique. Non content de risque d’être irréversible, cet abandon du papier détourne le client du kiosque. « A la perte de vente de journaux s’ajoutent la perte de bonbons, jeux à gratter et autres », s’inquiète encore Luc Chautard.
Reprise de l’aéropostale le 8 juin
Ce qui pourrait faire figure de bonne nouvelle, c’est le retour de l’aeropostale que nous a confirmé la direction régionale de la poste. La reprise des rotations est prévue le 8 juin.
Certes, l’absence de dépôt marseillais reste un problème, mais pour Carlos Oliveira, fin connaisseur du dossier, il y a des solutions, même dans ce contexte de fortes tensions sociales sur le continent entre les syndicats - qui bloquent certains sites - et Presstalis. « La solution la plus simple, ce serait de prendre les journaux à Paris et de les mettre dans l’avion pour la Corse ».
L’autre option à plus long terme, celle qui viendrait - définitivement ?- résoudre les problèmes de distribution des quotidiens nationaux en Corse, c’est de les imprimer sur place. « Il y a quelques années, un projet avait été monté, il n’a jamais abouti faute d’accord entre éditeurs. Mais il y a des possibilités avec l’impression numérique », estime encore Carlos Oliveira.
Reste que pour les diffuseurs de presse, il y a urgence : la saison compte beaucoup dans leur chiffre d’affaires. Et elle ne sera pas la même, sans la PQN.