« Il n’y a aucune preuve que la Covid-19 ait été créée en laboratoire et on ne peut pas trancher sur l’origine de ce virus ». C’est ce qu’affirme le renseignement américain dans un rapport déclassifié rendu public le 23 juin dernier. Ces informations sont bien loin des théories du complot qui ont rythmées la pandémie depuis 2020. Elles se rapprochent du discours scientifique, qui prône la zoonose, la transmission du virus à l’homme par un animal. La Covid-19 a suscité bon nombre d’intox. C’est la désinfodémie, un mot créé en 2020 par l’UNESCO ! Si le terme est récent, ses mécanismes ne sont pas nouveaux ! En 1918, la propagation de la grippe espagnole faisait déjà l’objet de désinformation. Retour sur l’histoire de cette épidémie ce vendredi 30 juin à 21h40 dans le magazine « Democratia ».
Un siècle avant la Covid-19, la grippe espagnole, celle que l'on surnomme "la mère de toutes les pandémies", a tué entre 50 et 100 millions d'êtres humains, soit 1/3 de la population mondiale. Ce chiffre est 4 fois supérieur au nombre de morts lors de la Grande Guerre. Le premier cas de grippe espagnole a été enregistré le 4 mars 1918 dans un camp militaire américain au Kansas.
Le virus arrive en France dans les tranchées sous le nom de "maladie onze" au printemps 1918. ¾ des troupes françaises et la moitié des troupes britanniques tombent malade. Côté allemand, 900.000 hommes sont hors de combat. Favorisée par le déplacement des troupes militaires et des prisonniers de guerre, la maladie se répand massivement au sein de la population. Après une accalmie courant juin, une souche plus transmissible et plus virulente se propage dès septembre avec l'arrivée des renforts américains à Brest en septembre 1918.
▶ Extrait : Récit de la propagation de l'épidémie de grippe espagnole à bord du paquebot transatlantique le Léviathan.
À partir de cette date, tout s'accélère ! Sans traitement, ni vaccin, le milieu médical est dépassé. La plupart des hôpitaux, médecins et infirmières sont réquisitionnés par l'armée. Le gouvernement est fortement critiqué pour son inaction. La presse passe sous silence le désastre sanitaire pour se concentrer sur la défaite allemande. La pandémie prendra fin en France en mai 1919. Après 3 vagues, et l'immunisation de la population, le virus devient alors saisonnier.
Grippe espagnole et Covid-19, même combat ?
Toutes les pandémies ont un socle commun : la propagation sans frontières d'un virus, une désorganisation brutale de la société, un dépassement du corps médical, un décalage entre connaissances scientifiques et rapidité à endiguer la maladie. 4 grands piliers autour desquels gravitent la circulation de l'information et son pendant la désinformation. En la matière, la pandémie de grippe espagnole regorge d'exemples. Pour ne pas affaiblir le moral des troupes, le gouvernement français a placé la presse sous contrôle (loi réprimant les indiscrétions en temps de guerre de 1914). Aucune information ne devait filtrer sur la gravité de la situation sanitaire. Par contre, on pouvait lire dans les gazettes que les soldats allemands étaient plus touchés par la grippe espagnole que les soldats français. Autre extrapolation à des fins de propagande, l'origine du virus. Pour stigmatiser l'ennemi, il était affirmé que le virus venait d'Allemagne et que sa propagation en France était due à l'envoi de boites de conserves contaminées. Ces épisodes rappellent les polémiques relayées par les médias sur l'origine de la Covid-19 et sa création dans un laboratoire en Chine.
Beaucoup plus cocasse, le recours à des remèdes "de grands-mères". Sans vaccin, ni traitement, certains médecins préconisaient de fumer et de boire de l'alcool pour éviter d'attraper la grippe espagnole. On ne peut s'empêcher de faire un parallèle avec la polémique autour du traitement à l' hydroxychloroquine proposé par le Professeur Raoult. Enfin, la communication autour des consignes d'hygiène pour se prémunir du virus de la grippe espagnole sont semblables à celles que nous avons tous suivis en période de Covid-19; On retrouve même la réticence au port du masque !
▶ Extrait : Les gestes barrières en 1918
Comment lutter contre la désinfodémie ?
Dans le cadre d'une pandémie, répandre de fausses informations en vue d'en tirer un quelconque profit ou de manipuler les faits à des fins politiques ou économiques sont des constantes. Ce qui est nouveau avec le Covid-19, c'est l'impact immédiat, planétaire et multi-sources de la désinformation, facilité par la popularité des réseaux sociaux. Ces fake news sont d'autant plus néfastes, qu'elles peuvent avoir une incidence directe sur la santé des populations. Face à ce phénomène, L'UNESCO a inventé le terme de désinfodémie et a rédigé une note d'orientation pour décrypter et répondre à différents types de fake news.
"La désinformation sur la COVID-19 crée une confusion sur la science médicale avec un impact immédiat sur chaque personne dans le monde et sur toutes les sociétés. Elle est plus toxique et plus meurtrière que la désinformation sur d’autres sujets. Pour cette raison, dans cette note d’orientation, nous employons le terme de désinfodémie."
UNESCO - Julie Posetti et Kalina BontchevaRapport "Désinfodémie, déchiffrer la désinformation sur le Covid-19" - 2020
La première étape consiste à identifier les ressorts de la désinfodémie en décortiquant les fausses informations véhiculées. Les rapporteurs de l'UNESCO ont constaté qu'il existait 4 formats clés : le récit basé sur l'émotion ; de faux sites web de gouvernements ou d'entreprises qui délivrent des données erronées ; des images ou vidéos inventées ou décontextualisées et enfin des campagnes de désinformation. Les messages contenus dans ces formats peuvent être catégorisés autour de 9 sujets : l'origine et la propagation du virus, les statistiques, l'impact économique, le discrédit des médias et de la science, les conséquences sur la société et l'environnement, la manipulation de la population par le politique, les remèdes miracles et enfin la vie des stars touchées par la maladie.
L'analyse étant faite, le rapport préconise 10 types de réponses qui suivent 4 axes. Le premier est d'identifier les potentielles fausses informations, de les vérifier et ensuite de révéler le mensonge au grand public. Le deuxième levier est d'utiliser le pouvoir politique pour véhiculer des contenus fiables de santé publique et sanctionner les acteurs de la désinformation. Troisièmement, s'appuyer sur les médias, les réseaux sociaux et autres vecteurs de production et distribution d'information pour lutter contre la désinformation. Enfin, dernier volet, celui de la pédagogie, qui encourage les campagnes de sensibilisation aux fake news ou encore la mise en avant de la crédibilité des sources d'informations.
📺 "Democratia, des hommes et des microbes, retour sur l'histoire des pandémies", un documentaire et un débat à voir vendredi 30 juin à 21h40 sur ViaStella