Aleria, ou Alalia, comme l'appelaient les Etrusques, est une porte ouverte sur la Corse dans l'Antiquité. Et pourtant, le site archéologique a été ignoré durant près de quarante ans. Fort heureusement, depuis 2018, Aleria fait de nouveau l'objet d'une attention particulière. L'ouvrage publié par les éditions Eoliennes en est la preuve.
Aleria occupe une place à part dans l'histoire contemporaine de la Corse, depuis les événements qui se déroulèrent les 21 et 22 août 1975 dans une cave viticole, et donnèrent naissance au mouvement nationaliste.
Mais Aleria a également été dans l'antiquité, une cité phocéenne, étrusque puis romaine d'une grande importance, au cœur de la Méditerranée. Si tout le monde, en Corse, connait l'existence du musée archéologique, sa renommée paraît parfois en-deçà de ce que mérite le site de la plaine orientale.
Il est fréquenté régulièrement par les scolaires, et s'est imposé au fil du temps comme un lieu de visite incontournable pour les touristes férus d'Histoire. Pourtant, les Insulaires le regardent souvent de loin. Avec du respect, mais un intérêt mesuré.
Contre vents et marées
En cause, le parcours du combattant mené dans le domaine, en Corse, par les chercheurs antiquisants.
Tout débute vraiment dans les années 50, avec les fouilles menées par Jean et Laurence Jehasse sur la butte de Masselone à Aleria. Des fouilles capitales qui permettent d'exhumer les vestiges d'un forum et du cœur d'une cité romaine.
Quelques années plus tard, au sud d'Aleria, dans le périmètre de la prison de Casabianda, plusieurs nécropoles exceptionnelles, étrusques celles-là, et datant des Ve, IVe et IIIe siècles avant notre ère, sont mises au jour.
Une découverte capitale, qui révèle l'un des plus riches ensembles funéraires étrusques connus hors d'Italie. Plus de 4.500 objets, mobilier, vases, équipement militaire, sont recensés, qui rejoindront les collections du fort Matra, où a été installé le musée Jérôme Carcopino. De quoi, en toute logique, provoquer l'intensification des recherches, et des moyens mis en œuvre. Et pourtant...
Au tournant des année 80, Ces recherches vont être mises en sommeil. L'illustration parfaite du manque de cohérence, et de ligne directrice politique, qui a empêché tout développement cohérent.
Des périodes de destruction de sites parfois sous le regard abasourdi et impuissant des pionniers de la discipline.
Franck Leandri, directeur de la DRAC de Corse
"Il est de nos jours encore délicat de décrire et d'apprécier les grandes étapes, les tergiversations et les cheminements de la recherche archéologique en Corse dans les années soixante et jusqu'au début de notre siècle. Ce furent des périodes de destruction de sites parfois sous le regard abasourdi et impuissant des pionniers de la discipline. Ce fut aussi une époque de découvertes majeures marquée par la professionnalisation et le renforcement pluridisciplinaire des investigations. Ce furent enfin des moments de crispation et de mouvements d'humeur accompagnant la mise en place d'une administration de la recherche qui a permis d'inscrire définitivement l'archéologie dans la chaîne opératoire de la conservation, de l'étude et de la valorisation du Patrimoine historique de l'île", explique Frank Leandri, directeur de la DRAC de Corse et Conservateur général du Patrimoine.
Beau comme l'Antique ?
Depuis quelques années, une politique plus réfléchie semble avoir été mise en place.
C'est dès 2003 que plusieurs missions préventives soulignent les nombreux manques, tels que les problèmes de conservation des tombes étrusques, des édifices romains et des objets réunis pendant des décennies.
La deuxième étape importante, c'est l'instauration de la nouvelle Collectivité de Corse, qui réunit les deux départements en 2018. et qui a permis, explique Gilles Simeoni, le président de l'exécutif, "de concentrer les efforts de recherche et de valorisation sur un projet scientifique et culturel unique, intégrant le site archéologique et le musée, préalablement gérés par deux collectivités distinctes".
Le projet collectif de recherche Aleria et ses territoires : approches croisées, financé par le ministère de la culture et la CdC, est la conséquence concrète de cette nouvelle volonté politique de mettre en valeur le patrimoine antique de la région.
Ce sont 80 intervenants, rattachés à plus de 20 institutions, CNRS, université d'Aix-Marseille, museo civico di Santa Marinella, Sorbonne, INRAP, Direction du Patrimoine..., qui se sont mis à la tâche. Une partie d'entre eux ont réuni leurs travaux dans l'ouvrage Aleria et ses territoires, publié il y a quelques jours par les éditions Eoliennes.
Ouvrage de référence
Depuis plusieurs décennies, on manquait d'un ouvrage de référence qui fasse le point de l'avancée des recherches, et "apporte un éclairage spécifique sur différentes périodes de l'occupation du site, depuis l'Age de Bronze jusqu'à la fin de l'Antiquité, en mettant ainsi en évidence la contribution fondamentale que la recherche sur Aleria est en mesure d'apporter à l'histoire et à l'archéologie de la Corse mais aussi, bien au-delà, à la reconstruction du passé de l'ensemble du monde méditerranéen", explique Vincent Jolivet, directeur du programme collectif de recherches.
Les champs de recherche abordés sont nombreux : les rhyta, ces vases en forme de tête d'âne et de tête de chien qui révèlent le caractère philhellène des élites de la région ; les armes, le mobilier indigènes trouvés à la nécropole de Casabianda, qui nous renseignent sur les échanges en Méditerranée durant l'Antiquité ; l'histoire de l'amphithéâtre, dont la fonction principale reste encore à déterminer ; les inscriptions funéraires et leurs liens supposés avec celles du site de Mariana...
Autant de travaux universitaires rigoureux, denses, qui s'adressent avant tout aux spécialistes. S'il constitue un outil patrimonial d'une valeur inestimable, le livre n'est pas vraiment un ouvrage de vulgarisation, destiné à tous. Mais les pistes de réflexion qu'il ouvre, les innombrables et très belles illustrations, la somme de connaissances qu'il recèle sont un rappel bienvenu de l'importance des sites archéologiques d'Aleria et Casabianda, et de la nécessité de poursuivre dans la voie empruntée depuis 2018.
Ce Aleria et ses territoires n'est d'ailleurs, à ce titre, que le premier tome d'une série appelée à se poursuivre aux cours des prochaines années. Et pour cause. Si les découvertes des dernières décennies recèlent encore de nombreuses zones d'ombre, que le travail des chercheurs et des chercheuses permet, pas à pas, d'éclairer, le sol de la plaine orientale n'a pas non plus révélé tous ses secrets.
On a pu le constater, en 2019, quand le site de Lamajone a permis de découvrir deux tronçons de voie, et deux nécropoles, l'une étrusque, l'autre romaine, contenant des centaines d'objets. Mais aussi, et surtout, un hypogée, une sépulture typique de la civilisation étrusque, dont on a très peu d'exemples en France.
De quoi permettre, au cours des prochaines années d'affiner encore notre connaissance de la période, une fois le travail des historiens effectué..
Un nouveau musée, à même d'accueillir dans les meilleures conditions possibles la pléthorique collection, devrait voir le jour à l'horizon 2027.