Thierry de Peretti, scénariste et metteur en scène, s'apprête à adapter A son image, le dernier roman de Jérôme Ferrari, au cinéma. L'occasion de revenir avec le réalisateur d'Une Vie Violente sur ce difficile exercice, et sur son rapport à la littérature.
Thierry de Peretti, en deux films, Les Apaches et Une Vie Violente, s'est imposée comme une voix qui compte dans le cinéma français contemporain, après une carrière très remarquée dans le théâtre, comme acteur et metteur en scène.
Alors que son troisième long-métrage, L'infiltré, avec Vincent Lindon, Roschdy Zem et Poi Marmaï, n'est pas encore sorti, Thierry de Peretti travaille déjà sur le prochain, l'adaptation pour le grand écran d'A son image, le roman de Jérôme Ferrari.
Une grande première pour lui qui a toujours, jusqu'à aujourd'hui, signé les scénarios de ses films.
Comment se passe l'adaptation ?
C'est vraiment un nouvel exercice... Qui demande une nouvelle manière d'écrire. Prenez les personnages, par exemple. Jusqu'à présent, je les écrivais sur mesure par rapport aux acteurs qui allaient les jouer, et que j'avais en tête. Souvent, quand j'entame un nouveau film, j'écris quelque chose et très vite j'amorce un travail de collaboration avec les acteurs, à travers les répétions, des impros. L'écriture, habituellement, pour moi, c'est un aller-retour permanent, avec les acteurs, les lieux envisagés pour le tournage. L'histoire se construit au fur et à mesure, se nourrit de tout ça.
Mais avec A son image, les personnages sont écrits. Ca a un côté rassurant, c'est vrai, et en même temps, je me demande si je vais savoir écrire sur des choses qui sont aussi présentes, très dessinées. Est ce que je vais trouver ma place, par rapport à l'écriture de Jérôme, qui est très rigoureuse ? C'est l'une des questions que je me pose régulièrement.
A quel point votre film sera-t-il fidèle au livre ?
C'est très difficile à dire. On est partis sur l'idée d'une adaptation très fidèle, mais forcément, le passage au grand écran demande des ajustements. La temporalité du récit, par exemple, soulève beaucoup d'interrogations. Le récit de Ferrari passe du passé au présent avec une grande fluidité, et dans un livre, on peut le faire autant de fois que l'on veut. Au cinéma, c'est plus difficile, on court le risque de sombrer dans l'exercice de style, et de perdre de vue le cœur du récit.
Ce travail d'adaptation, ça va être une longue série de choix. De quoi peut-on s'affranchir, qu'est-ce qui, dans le roman, est destiné à être montré, et qu'est ce qui est destiné à ne pas l'être... Ca pose des questions infinies.
Mais j'aime l'idée qu'un film s'invente petit à petit, jour après jour.
Est-ce qu'on sera fidèles, pas fidèles ? Est-ce qu'on trahira, ou ne trahira pas ? Beaucoup de gens, c'est vrai, ont lu ce roman, et il y en a qui seront déçus, ça ne fait aucun doute. C'est le jeu.
Une adaptation, c'est la promesse d'engager un dialogue, une réflexion avec le livre. Ca donnera ce que ça donnera au final, mais ce qui m'intéresse, c'est de plonger dedans. C'est ça qui me passionne. Et ensuite, une forme va émerger.
Bien sûr, je me suis posé la question de savoir si le roman de Ferrari avait besoin du cinéma. Il est là, il existe, il est fort...
Alors évidemment qu'il n'en a pas besoin. L'idée c'est d'engager une relation, pas d'apporter quelque chose en plus.
Tout ce qui importe, c'est que cette réflexion soit fertile.
Comment ça se passe avec Jérôme Ferrari ? Il y a des auteurs qui sont très jaloux de leur œuvre...Est-ce qu'on trahira, ne trahira pas ?
Jérôme laisse beaucoup de libertés, c'est plutôt moi qui le sollicite pour lui poser mille et une questions. Il me laisse un maximum de latitude. On échange sur des détails, sur la question du changement de temporalité, dont je vous parlais, ou encore sur comment rentrer dans les scènes, comme en sortir... En ce qui concerne l'écriture, il regarde ça de loin, mais il est par exemple très intéressé, en ce moment, par le choix des actrices et des acteurs.
Vous pensez commencer le tournage quand ?
Idéalement à la fin de l'été 2021, mais je m'avance un peu, il faudrait vraiment qu'on avance vite.
Est-ce que vous diriez que vous faites un cinéma littéraire ?
Dans le milieu, chez les critiques, "cinéma littéraire" ça sonne toujours un peu comme une critique. La plupart du temps, c'est une manière de dire qu'il y a beaucoup de dialogues. Pour ma part, les auteurs français à qui l'on fait ce reproche, Marcel Pagnol, Sacha Guitry ou Jean Eustache, par exemple, je les aime beaucoup.
Deux d'entre eux étaient écrivains et dramaturges...
C'est vrai. Et Jean Eustache... Dans La maman et la putain, y a une langue, les personnages monologuent, c'est l'exemple type de ce que l'on pourrait appeler un cinéma littéraire, mais ils existent à partir du moment où ils parlent. C'est la langue qui fait l'action.
Malgré tout, quand quelqu'un qualifie un film de littéraire, c'est jamais très bon signe.
Oui, bien sûr. Il y a ceux auxquels je reviens tout le temps, Jack London, William Faulkner, ou Joseph Conrad... La ligne d'ombre, Lord Jim m'ont beaucoup marqué, et quand j'écris j'y pense beaucoup.
Trois auteurs anglo-saxons...
Quand j'ai commencé la mise en scène, je mettais en scène Bernard -Marie Koltès, qui était très influencé par cette littérature, Baldwin, Styron, Les sept piliers de la sagesse de Lawrence. Et j'ai lu ce qu'il lisait. Il dévorait ces auteurs de manière compulsive, presqu'exhaustive.
Ca m'a fasciné. Alors je me suis plongé dans les romans auquel il se référait. Quand j'écris des scénarios, ils sont présents à mon esprit, toujours.