Trois ans après Le Principe, Jérôme Ferrari revient sur l’île avec un nouveau roman, A son image. Son héroïne, Antonia, une jeune photographe, sillonne les zones de guerre de la fin du siècle dernier, de la Yougoslavie qui vole en éclats à la Corse nationaliste qui s’entretue.
La photographie, quiconque a déjà lu Jérôme Ferrari le sait, est un art qui fascine l’auteur du Sermon sur la Chute de Rome, lauréat du Goncourt 2012. Il y avait même consacré un livre, en 2015, avec Oliver Rohe, A Fendre le Coeur le plus dur.
Mais elle n’avait jamais été au coeur d’un de ses romans. C’est désormais chose faite avec A son image (Actes sud).
Une jeune femme, Antonia, rentre chez elle après avoir passé une partie de la journée à Calvi, où elle avait immortalisé sur pellicule un nouveau mariage. Elle n’arrivera jamais à bon port. Une sortie de route, et Antonia est tuée sur le coup.
Instant fugitif
C’est ainsi que débute le nouveau roman de Ferrari. Qui va s’articuler autour de l’office funèbre célébré par son parrain, prêtre de la paroisse, qui est à l’origine de sa vocation. Il lui avait offert un appareil photo pour ses quinze ans.
Au fil de la cérémonie, des souvenirs, des confidences, des récits vont retracer le parcours d’Antonia. Un parcours qui débute sur l’île, où elle fait ses premières armes au sein de la rédaction du quotidien régional. Elle y est confrontée à la dure réalité de la profession. La jeune fille, fascinée par la photographie, par cet instant fugitif où l’on est témoin d’un moment que l’on peut immortaliser, est aussi consciente de la responsabilité qui en résulte.
Désabusée par son expérience journalistique, elle délaisse les faits divers pour partir couvrir le conflit qui met à feu et à sang les Balkans au coeur des années 90. Une expérience, dans un pays étranger, où elle va enfin faire connaissance avec le pire et le meilleur de ce métier…
Les souvenirs de son parrain, égrenés au fil du livre, vont également nous dévoiler une autre facette d’Antonia. A travers son attirance, puis sa relation amoureuse avec un militant nationaliste avec qui elle a grandi, au village. Un militant qui n’hésite pas à troquer les tracts électoraux pour la cagoule une fois la nuit venue. Et qui va se retrouver emporté par le déchaînement de violences qui, loin de la Croatie et de la Bosnie, va également s’abattre sur la Corse.
Témoignage d'une époque
Toute sa vie, Antonia a essayé de lutter contre les compromissions, contre les médiocrités. Contre les puissants liens familiaux et sociaux d’une île où l’on est jamais moins libre que lorsque l’on pense le devenir. Pour rester fidèle à la vocation qu’elle s’était choisie. En vain. Elle apprendra, de la plus cruelle des manières, que l’on ne peut regarder sa propre vie comme l’on a appris à regarder le reste du monde. A travers l’objectif d’un appareil photo.
C’est un magnifique et poignant roman que livre Ferrari avec A son image. Un roman où l’auteur fait preuve d’une maîtrise narrative éblouissante, entremêlant les époques, les voix et les lieux avec brio. Un roman où la guerre entre nationalistes, déjà au cœur de Balco Atlantico, l’un de ses précédents romans, occupe une place de choix.
Mais où Jérôme Ferrari s’interroge également longuement sur la force de la photographie. La représentation d’un instant qui, à notre époque, fait figure de témoignage, de preuve incontestable, mais qui pourtant, peine à capturer toute la complexité du réel. "Ce que nous montre une photo est à chaque fois figé pour toujours dans la permanence du présent et a pourtant, dès le déclenchement de l’obturateur, déjà disparu".