C'est une rencontre inattendue qui s'est déroulée ce lundi 23 janvier à l'intérieur de la prison de Borgo. Cioni, Mandrichi, Poggi et leurs coéquipiers ont affronté une équipe de détenus. Un événement dans le quotidien monotone du centre pénitentiaire.
La rencontre a commencé dans la décontraction et la macagna. Et puis au bout de cinq minutes, tout le monde s'est pris au jeu. "Sur le terrain, il n'y a pas d'amis, comme je le dis toujours. L'esprit de compétition reprend vite le dessus", s'amuse Gary Coulibaly, de la Squadra Corsa.
Pour autant, dans le gymnase du centre pénitentiaire, on était loin des empoignades viriles d'Armand Cesari. La rencontre entre les joueurs de la Squadra Corsa, composée d'habitués du haut niveau, et les détenus de Borgo s'est déroulée dans une ambiance de camaraderie, et de respect mutuel. Et si les hommes de Dédé di Scala l'ont emporté, l'opposition a été de haute tenue.
Quand on voit le sourire sur leur visage, et le plaisir qu'ils ont pris, on est fiers.
Gary Coulibaly, Squadra corsa
Jean-Marie, crâne rasé et carrure de déménageur, en sourit. "On joue beaucoup au foot, ici, vous savez. On a le temps de s'entraîner. Et pour cause, y a que ça à faire !" Celui qui a été, durant 40 minutes, l'un des attaquants de l'équipe des détenus, ajoute, un sourire aux lèvres : niveau intensité, ça change quand même de nos matchs habituels..."
Respect mutuel
A la fin du match, les deux équipes se saluent, se donnent l'accolade, alors que les détenus remercient les joueurs d'avoir fait le déplacement jusqu'à eux. Tous ont répondu présent à l'appel de Dédé di Scala. Les seuls absents, excusés, sont Modesto, Cahuzac et Cavalli, pris par leurs engagements en club, et les blessés, tels que Bocognano.
Pour Gary Coulibaly, ce n'est pas étonnant : "On est toujours réceptifs à ce genre de demandes. Mais là, c'est vraiment un événement particulier. C'est quelque chose qui nous touche. Et quand on voit le sourire sur leur visage, et le plaisir qu'ils ont pris, on est fiers".
Dédé Di Scala, le manager de la Squadra Corsa, discute avec Charlot Orlanducci, légende du Sporting et Michel Castellani, député de Haute-Corse, qui ont fait le déplacement pour l'occasion. Il revient pour nous sur la genèse de cette rencontre pas comme les autres : "Une première demande avait été faite il y a quelques années par les détenus. Et puis le Covid a tout mis entre parenthèses. Mais récemment, on s'est vus avec la directrice, qui était partante, et on a pu mettre tout cela en place".
Une fenêtre sur l'extérieur
Julie Latou ne cache pas sa satisfaction devant la réussite de cette journée, qui s'inscrit dans la démarche qu'elle a initiée depuis neuf mois, "travailler les faits via la fête". Les faits, ce sont les raisons pour lesquelles les détenus sont incarcérés, et la fête, ce sont toutes les activités qu'elle veut leur proposer, pour faciliter leur retour à la vie active. "Vous savez, le temps qu'ils passent entre ces murs est difficile".
La directrice essaie de faire en sorte que les gars qui sont rentrés ici ressortent meilleurs...
Jean-Marie, détenu
Ateliers photo, vidéo, sorties lors des festivals de la région, partenariats avec les manifestations culturelles... Les activités sont légion. Et Jean-Marie, qui est incarcéré depuis quelques années, le reconnaît : "Elle essaie de faire en sorte que les gars qui sont rentrés ici ressortent meilleurs..."
Inscrire la prison de Borgo, trop souvent vue comme une entité coupée du monde, mais également ses pensionnaires, dans leur environnement, c'est l'un des combats que mène la directrice depuis son arrivée, il y a deux ans et demi.
C'est pour cela qu'elle a sollicité, une nouvelle fois, les commerçants de la commune pour les intégrer à la vie du centre pénitentiaire. Elle tient à le faire savoir, le buffet dressé en hâte au centre de la terrain de foot a été fourni gracieusement par la supérette voisine, tandis que la trousse de toilette de fortune, en cas de blessure, a été composée par la pharmacie.
Ne pas couper les détenus de leur environnement, en multipliant les initiatives du genre. C'est le créneau de Julie Latou.
Pas de sélection par le casier
"La sélection parmi les détenus, pour composer l'équipe, ne s'est pas faite sur le casier judiciaire. Elle s'est faite sur des critères sportifs. Sinon, ce serait aller contre l'esprit même de notre démarche", précise la cheffe d'établissement.
Quand on lui demande si Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, les deux détenus de Borgo qui ont fait la Une de la presse nationale l'année dernière, à l'occasion de leur rapprochement sur l'île, auraient pu prendre part à la partie, Julie Latou se garde bien de répondre, mais assure que "la juge en charge de la matière [Les affaires terroristes - NDLR], à Paris, a été avisée et a salué l'initiative". On n'en saura pas plus.
Trois caméras sont disposées le long du terrain, pour enregistrer la rencontre. Elle sera ensuite diffusée sur le canal interne, pour que les autres détenus puisse la voir, en différé.
A l'origine, les détenus qui souhaitaient y assister étaient les bienvenus, mais la pluie a rendu le terrain extérieur impraticable, et il a fallu se rabattre sur le gymnase, plus exigu, et dont les murs sont recouverts de multiples fresques. Et dont le blason du Sporting, époque S.E.C.B., peint derrière l'un des buts, donne une idée de l'âge.
Des équipements sportifs vétustes
De nouveaux équipements sportifs, c'est le dernier chantier en date de la direction de la prison de Borgo, qui veut se doter d'un vrai terrain, en pelouse synthétique, et d'une salle multi-sports.
La présence de Lauda Guidicelli, conseillère exécutive chargée de la jeunesse, des sports et de l'égalité hommes-femmes, n'est pas anodine. L'étude concernant un cofinancement de l'administration pénitentiaire et de la Collectivité de Corse va être lancée en 2023, et Julie Latou espère bien que les détenus pourront bénéficier de ce nouveau terrain avant la fin de l'année.
Elle n'est pas la seule : "Le terrain qu'on a aujourd'hui, c'est un champ de patates, un coup il est inondé, un coup il est tellement dur qu'il est impraticable...", confie Jean-Marie. "Ca permettrait à plus de monde de faire du sport, de s'aérer...".
Et de mettre entre parenthèses, le temps d'un match de foot, les pesanteurs du quotidien derrières les barreaux...