Le 24 octobre, le conseil exécutif de Corse et l’Assemblée ont voté une résolution déclarant la réhabilitation des fusillés insulaires pour l’exemple durant la Première Guerre mondiale. Une reconnaissance dans l’espoir d’une réaction de l’Etat toujours resté silencieux.
César-Antoine Colonna-Bozzi, Joseph Tomasini, Joseph Gabrielli, Sylvestre Marchetti, Virgo Luigi et François Guidicelli. Ces six jeunes corses ont été « fusillés pour l’exemple » durant la Première Guerre mondiale.
Fusillés après avoir été condamnés à mort par des conseils de guerre. Instaurés dès 1914, ces dispositifs visent à dissuader toute velléité de désertion dans les rangs de l’armée française. Parmi les exécutés, 700 le sont « pour l’exemple ». Pour eux, aucune mention sur les monuments aux morts durant des années, et toujours aucune commémoration officielle.
Jeudi 24 octobre, soulignant un trop lourd silence de l’État, le conseil exécutif de Corse et l’Assemblée ont adopté une résolution solennelle déclarant la « réhabilitation des fusillés insulaires pour l’exemple. »
Résolution solennelle du conseil exécutif de Corse et de l'Assemblée
« C’est historique, se félicite Jackie Poggioli, journaliste et réalisatrice du documentaire Fucilati in prima linea sur lequel se sont appuyées les institutions insulaires. Proclamer cette réhabilitation aura peut-être un effet boule de neige. Si toutes les régions concernées par cet épisode de l’Histoire adoptent des résolutions en ce sens, ça peut peut-être faire bouger les lignes. »
La résolution solennelle du Conseil Exécutif et de l'Assemblée de Corse pour la réhabilitation des soldats fusillées pour l'exemple durant la 1ère guerre mondiale a été adoptée.
— Assemblea di Corsica (@AssembleeCorse) October 24, 2019
Ce vote a précédé la projection du court métrage Aiò Zitelli pic.twitter.com/QYmBSTRGjy
Lettre morte
Pourtant, le sujet mobilise l’Assemblée de Corse dès 2011, sous la présidence de Dominique Bucchini. S’appuyant déjà sur le documentaire de Jackie Poggioli, elle réclame la réhabilitation collective des fusillés insulaires pour l’exemple à l’État. La demande restera lettre morte.
Car la France ne s’est jamais positionnée sur le sort de ces soldats. Seul, en 1998, le Premier ministre Lionel Jospin appelle à une « réintégration des fusillés dans la mémoire collective nationale. » Depuis, les plus hautes instances de l’Etat restent silencieuses. Et si quelques hommes politiques ont pu afficher une volonté de réhabilitation, une fois à la tête du pays, rien n’est fait pour y parvenir, comme sous François Hollande. Un petit pas est tout de même fait en leur faveur sous son quiquennat avec la création d'une salle dédiée au musée de l'Armée aux Invalides.
► Documentaire Fucilati in prima linea - Jackie Poggioli :
« La France est le pays qui a fusillé le plus de soldats »
Ce silence de l’État laisse Jackie Poggioli perplexe. « C’est étonnant en sachant que de nombreuses collectivités, de tout bord politique, se sont prononcées en faveur de cette réhabilitation. Il faut savoir que la France, avec l’Italie, est le pays occidental qui a fusillé le plus de soldats. Cette réhabilitation est donc d’autant plus importante », estime-t-elle.
La mobilisation pour la reconnaissance de ces soldats oubliés s’échelonne depuis le début des années 2000. Dans certains pays, elle a abouti à une réhabilitation collective. C’est notamment le cas au Royaume-Uni, au Canada et en Nouvelle-Zélande.
Engagement populaire
En Corse, des familles de fusillés pour l’exemple et des associations se sont lancées dans les recherches. « Dans l’île, la mobilisation a un profil inédit, car il y a un réel engagement populaire avec notamment la constitution d’un collectif et la tenue d’actions, comme le lancement d’une pétition. Dans les autres régions, la mobilisation est portée par des acteurs institutionnels ou associatifs », reprend Jackie Poggioli.
Cet engagement a ainsi permis les rapatriements des cendres du soldat Sylvestre Marchetti, grâce au travail de Joseph Cipriani, dans son village de Taglio-Isolaccio en 2012 et de François Guidicelli à Santa-Reparata-di-Balagna en 2010. Les militaires ont été fusillés en 1916 et 1915.
À Aullène, c’est le monument aux morts qui rend hommage aux fusillés pour l’exemple. Dans ce village, la stèle a pris les traits du soldat Joseph Tomasini, mort en 1914. Le jeune homme a été condamné à mort pour abandon de poste et automutilation. Il est l’un des deux soldats corses à avoir été réhabilités.
Le 28 janvier prochain, le film Aio Zitelli sera diffusé à l'Assemblée nationale afin de soutenir une motion pour la réhabilitation des fusillés pour l'exemple qui devrait être déposée par le groupe Libertés et Territoires.
Les fusillés corses pour l’exemple :
Six jeunes corses ont été fusillés pour l’exemple durant la Première Guerre mondiale. Deux d’entre eux ont été réhabilités durant l’entre-deux-guerres.• César-Antoine Colonna-Bozzi : 24 ans, originaire d’Albitreccia, exécuté à l’automne 1914.
• Joseph Gabrielli : 21 ans, originaire de Pietraserena, exécuté au printemps 1915. Le jeune homme, déficient mental, s’égare un jour sur le champ de bataille et est blessé par l’ennemi. Il est condamné à mort pour abandon de poste et exécuté. Il est réhabilité en 1933, comme une quarantaine d’autres soldats durant l’entre-deux-guerres grâce au vote d’une loi favorable au réexamen de certains dossiers au cas par cas.
• François Guidicelli : 21 ans, originaire de Santa-Reparata-di-Balagna, exécuté au printemps 1915. Il est retrouvé inconscient après un bombardement. Il aurait été victime du syndrome de shell-shok, ou obusite, et erre plusieurs jours. Il se présente lui-même à son commandement et est déféré devant un conseil de guerre spécial. Il est condamné à mort pour abandon de poste et tentative de désertion. Ses cendres ont été rapatriées dans son village natal en 2012.
• Virgo Luigi : 31 ans, originaire de Casabianca, fusillé en septembre 1916.
• Sylvestre Marchetti : 22 ans, originaire de Taglio-Isolaccio, fusillé en octobre 1916. Ses cendres ont été rapatriées dans son village natal en 2010.
• Joseph Tomasini : 21 ans, originaire d’Aullène, fusillé en 1914. À la suite d’une blessure, il est contrôlé par un médecin qui doute que le jeune homme a été blessé par l’ennemi. Il est condamné à mort pour abandon de poste et automutilation. D’autres soldats, blessés en même temps que Joseph Tomasini, sont aussi contrôlé par un médecin qui extrait des morceaux d’obus allemands de leurs blessures. Joseph Tomasini est réhabilité en 1922.