"Ça a toujours été une évidence. À dix ans, j’ai su que je voulais faire ça de ma vie" : Rencontre avec la chanteuse lyrique Eléonore Pancrazi

L'artiste lyrique Eléonore Pancrazi sort son premier album solo ce vendredi 8 novembre. Un récital qui mêle mélodies corses harmonisées par Maurice Ravel et chants traditionnels irlandais, tziganes ou encore en occitans. Nous l’avons rencontrée dans sa maison natale de Corte, là où sa passion pour la musique est née.

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Elle vous accueille avec sourire et chaleur, dans l’imposante villa cortenaise qui porte son patronyme. Une bâtisse du 19ème siècle, aux cadres dorés, tentures en toile de Jouy et costumes venus tout droit de l’opéra de Paris. Le décor serait presque intimidant pour le visiteur, il est en tout cas l’écrin parfait pour le talent de la mezzo-soprano Eléonore Pancrazi.

C’est dans le jardin de la maison familiale, qui a abrité durant de nombreuses années "Les nuits d’été", un festival d’art lyrique organisé par ses parents, que la vocation de la jeune femme de 34 ans est née. Ou peut-être était-ce plus tôt encore.

"C'est vraiment une passion partagée dans ma famille, confie-t-elle. Mon père m'a toujours raconté que ma mère, quand elle était enceinte de moi, jouait sans arrêt des airs d'opéra au piano, et mon père chantait, pour rire." Au fil des années, la passion familiale infuse et s’impose. "Ça a toujours été une évidence. À dix ans, j’ai su que je voulais faire ça de ma vie."

"Il fallait que je quitte la Corse"

À 16 ans, les encouragements du baryton Marc Scoffoni la décident à pousser la porte du conservatoire d’Ajaccio. Elle poursuivra ensuite son parcours à l’École normale de musique de Paris. "Il fallait partir, pour développer ma voix et intégrer le milieu professionnel, il fallait que je quitte la Corse", explique celle qui ne manque toutefois jamais une occasion de "retourner au bercail".

C’est d’ailleurs dans l’île qu’elle monte sur scène pour la première fois, en 2010. Elle incarne Zerlina dans Don Giovanni de Mozart. Un rôle qu’elle a repris l'an dernier à l’Opéra royal de Versailles. "Cela m’a ramenée à mes souvenirs d'étudiante, de débutante ultra-stressée. Et réaborder ce personnage, c’était aussi me rendre compte de l’évolution de ma voix et de moi en tant qu’artiste", se remémore la chanteuse.

Sur son parcours déjà riche, d’autres rôles marquants. Celui de Cherubino dans les Noces de Figaro, joué dans une quinzaine de théâtres. "C’est un personnage qui m’a accompagnée comme un petit frère", livre Eléonore Pancrazi.

"A voce di a Terra"

Autre rôle emblématique de sa tessiture de mezzo-soprano : Carmen, un des premiers qu’elle a chanté, à 23 ans, à l’autre bout du monde, au Japon. Un costume qu’elle endossera de nouveau en janvier à l’Opéra royal de Versailles. "C’est le prochain défi à relever... après la sortie de l’album."

Car ce vendredi 8 novembre, l’artiste sort son premier récital solo, "A voce di a Terra", sous le label Oktav Records. Un album qui mêle mélodies corses arrangées et orchestrées par Maurice Ravel et chants traditionnels irlandais, tziganes ou encore en occitans.

"C'est la concrétisation d’un rêve, sourit Eléonore Pancrazi, installée au piano qui trône dans le salon familial. C'est la rencontre de deux mondes, de ma vie en tant que chanteuse lyrique, avec la façon dont j'ai construit ma voix et en même temps, qui je suis, où je suis née. Avec aussi une autre façon de chanter, beaucoup plus traditionnelle."

Ses doigts courent sur le clavier de l’instrument, lorsqu’elle nous parle de son titre favori, La Nanna du Cuscione, une mélodie populaire corse adaptée par Maurice Ravel. "Le premier jour d’enregistrement, quand on l’a faite, le temps s’est arrêté", se souvient-elle.

"C’est une berceuse qui se chante en mineur. Un accord majeur, c’est solaire, il y a quelque chose de positif et d’heureux, alors que l’accord mineur est triste. Souvent, les berceuses se jouent en mineur, comme si la mère ou la grand-mère, au moment d’endormir l’enfant, ressentait le poids d’un malheur. La mort est présente dans notre culture comme dans notre musique, et c’est ce qui la rend extraordinairement belle", analyse la jeune femme, avant de nous partager quelques-unes des paroles de la berceuse, la voix serrée par l’émotion de deuils récents.

Victoire

Émotion encore, lorsque Eléonore Pancrazi se retourne sur le chemin parcouru. "Je me dis que c’est le résultat de mon travail et du soutien de mes parents", résume pudiquement celle qui avoue nourrir "un petit syndrome de l’imposteur".

Comme ce jour de février 2019, où elle est sacrée révélation lyrique de l'année aux Victoires de la Musique classique. "J'étais persuadée que je n'aurais pas cette récompense, et ma première pensée a été : “Il y a une erreur". Et c’est toujours comme ça quand il y a une bonne nouvelle : la joie vient après, mais sur le moment, je me dis toujours que ça ne peut pas être moi."

C’était pourtant bien elle. "Quand j'ai su que j'avais la voix, nous confiait-elle au début de notre entretien, j'ai fait ma voie". Celle du succès est désormais toute tracée.

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