Dans la Plaine orientale, le passage de Valérie Pécresse, la candidate LR à la présidentielle, a laissé les électrices et les électeurs indifférents. A Ghisonaccia, le scrutin ne déchaîne guère les passions. Et ne provoque même plus de débats.
« Si les gens qui vivent dans le 16ème arrondissement devaient supporter la moitié de ce que vivent au quotidien les gens des quartiers, il y aurait la révolution ! » martèle Nicolas Dupont-Aignan, emmitouflé dans une épaisse parka sombre.
« Apparemment, il fait froid, à Bobigny », commente Dédé, assis au soleil, derrière les grandes vitres de la terrasse fermée d’un café de Ghisonaccia. Avant de faire signe au serveur de lui amener un autre café-verre. Et de replonger dans son journal, et le compte-rendu de la demi-finale Sénégal-Burkina Faso à la Coupe d’Afrique des Nations.
Dupont-Aignan contre Orelsan
Sur l’écran de télévision suspendu au-dessus de l’entrée de l’établissement, le candidat de Debout la France déambule dans les allées d’un marché de Seine-Saint-Denis, afin de grappiller quelques voix. « Pourquoi tu as mis Cnews, ce matin, O Dumè ? » lance une habituée, tout en faisant défiler l’écran de son smartphone. « J’avais la flemme de changer de chaîne », répond le serveur, qui passe derrière la caisse et s’empare de la télécommande. Sur l’écran, Dupont-Aignan laisse la place à Orelsan et NRJ Hits. Sans provoquer la moindre manifestation de dépit chez les clients.
Dominique glisse un panier dans la machine à laver les verres et les tasses, enclenche le cycle de nettoyage, et hausse les épaules. « Les élections, tout le monde s’en fout, j’ai l’impression. Dans les conversations, c’est Covid, Covid, et Covid. Et puis quelques fois, à l’apéro, y a deux, trois habitués, toujours les mêmes, qui commentent les dernières déclarations des uns et des autres. Mais ça part même plus en embrouille, comme à l’époque… »
A Ghisonaccia, la campagne de la présidentielle n’a pas encore débuté. Au comptoir pas plus que sur les murs du village. Pas une seule affiche de campagne de candidat à l’horizon. « On a vu apparaître des affiches de Zemmour, mais ils les ont arrachées », raconte une cliente. Marguerite s’en fiche. Elle va voter pour Macron. Un client, assis près de l'entrée, regarde tout ça avec circonspection : "c'est toujours comme ça, ça va s'animer dans les derniers jours".
2.408 inscrits
S'animer, mais sans pour autant déplacer les foules. En 2017, ils avaient été 63,33 % des 2.408 inscrits à se déplacer jusqu'au bureau de vote pour le deuxième tour. A quelques décimales près, le même taux de votants que le reste de la Corse. Et sensiblement moins que dans l'ensemble de la France (74,7 %). Ghisonaccia avait voté pour Macron, à 53 %, face à Marine Le Pen. Au premier tour, en revanche, la commune la plus peuplée de la Plaine orientale avait voté en majorité à droite, comme traditionnellement en Corse pour les présidentielles. Fillon, Le Pen et Dupont-Aignan avaient réuni près de 60 % des suffrages. Qu'en sera-t-il cette année, alors que la campagne penche singulièrement à droite, et que les candidats qui s'en réclament sont légion ?
C’est qui, Pécresse ? La blonde ? Je l’aime pas, elle. Elle a l’air farza.
A l'entrée de Ghisonaccia, devant le tabac-presse du centre commercial, Vincent, veste de treillis sable et casquette assortie, attend son petit-fils, qui fait la queue à la caisse. Le septuagénaire jette un coup d’œil à la une du Corse-Matin du jour, l’air dubitatif. Au moment où son petit-fils sort de la boutique, Vincent l’interpelle : « Tu le savais, qu’il y avait Pécresse à Ghisoni ? »
Le jeune homme glisse sa cartouche de cigarettes dans sa sacoche, et hausse un sourcil. « C’est qui, Pécresse ? La blonde ? Je l’aime pas, elle. Elle a l’air farza. Elle n’a que là-haut, à aller ? »
« Elle a un type de son équipe qui est Corse, mi pare. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que de flics, il va y en avoir partout, aujourd’hui », conclut Vincent en montant dans son 4X4.
Hibernation
La venue de la candidate des Républicains n’a pas vraiment suscité l’effervescence à Ghisonaccia. Au carrefour de la nationale et de la route de Ghisoni, ni gendarmes, ni militants LR. Pas même un curieux. Les rues, comme souvent dans le coin pendant l’hiver, sont calmes. Très calmes.
La Plaine orientale vit au rythme de la saison estivale, et Ghisonaccia en est l’un des poumons économiques. Mais les touristes partis, l’endroit redevient un gros bourg de 4.000 habitants. Un village qui paraît somnoler, comme une grande partie de la Corse, en attendant le printemps.
A quelques mètres de la mairie, Sarah et Maryline fument une cigarette, sur le trottoir devant la porte de leur commerce. Sarah a ouvert un magasin de chaussures il y a trois ans. Et Maryline, une boutique de vêtements pour enfants peu après. « Trois mois avant le premier confinement », confirme-t-elle avec une moue résignée. Les deux jeunes femmes s’occupent de l’association des commerçants de Ghisonaccia, et ce n’est pas une mince affaire.
Ghisonaccia ne vit qu'à travers la route nationale.
Sarah, présidente de l'association des commerçants
Ce matin du mois de février, nombre de commerces ont leur rideau baissé. « Le problème, ou plutôt l’un des problèmes de Ghisonaccia, confie Maryline, c’est qu’on est traversé par un axe routier majeur, et que la ville ne vit qu’à travers la route nationale ». « Entre ça, les gros centres commerciaux et internet, pas étonnant que les ruelles soient désertées » soupire Sarah, avant de retourner se servir une tasse de café.
Mais les deux commerçantes ne baissent pas les bras. Et elles préparent déjà la collection printemps-été, des mois à l’avance. « Sans avoir la moindre idée de ce à quoi ressemblera la saison. Si les touristes pourront venir, si elle se fera fermée, ouverte, en couvre-feu, s’il faudra un pass sanitaire, un pass vaccinal… » rappelle Maryline, un rien désabusée.
Trop de déceptions
Ni l’une ni l’autre ne sait pour qui elle va voter, ni même si elle votera lors de la présidentielle. Alors que les deux avaient glissé leur bulletin dans l’urne en 2017. Cela ne changerait rien à leur situation économique, et à leur quotidien. « Pierre, Paul ou Jacques, c’est la même chose. Tout ce qu’on entend, ce sont des promesses électorales, et on sait qu’aucune ne sera suivie d’effet ».
Il ne faut pas s'étonner que les gens ne votent plus pour un candidat, mais contre les autres...
Maryline
Sarah s’est laissé avoir en 2017, pas question de retomber dans le panneau. « On nous a promis de faire enfin payer les gros groupes comme Amazon, et on attend toujours ! Ils nous font une concurrence terrible, et on ne les taxe pas ».
Sa collègue acquiesce : « moi, je le dis honnêtement, je me sens asphyxiée par les taxes. Qu’ils prennent l’argent où il y en a, et qu’on nous laisse travailler ! Toutes les fins de mois, on tremble, on n’est pas sûres d’avoir de quoi payer les collections. On essaie de garder le moral, mais c’est difficile. Et puis de toute façon, cette année, ils s’embarrassent même plus de nous mentir. Je n‘ai entendu aucune proposition pour les gens comme nous. Après, on s'étonne que les gens ne votent plus pour un candidat, mais contre les autres..."