Incendie du Globo à Ajaccio : deux ans de prison requis en appel contre les trois prévenus

Le tribunal correctionnel de Bastia a jugé en appel, ce mercredi 23 novembre, l'affaire de l'incendie du restaurant le Globo, en septembre 2017. Trois prévenus comparaissent dans cette affaire. En première instance, tous avaient été condamnés à deux ans d'emprisonnement.

L’affaire, rappelle le président du tribunal correctionnel Thierry Jouve, remonte à la nuit du 22 au 23 septembre 2017, à Ajaccio. Il est un peu plus de minuit quand les secours sont contactés par des habitants d’appartements donnant sur la place du général du Diamant. Ceux-ci font état de bruits et de fortes fumées se dégageant d’un restaurant très fréquenté du centre-ville : le Globo.

Rapidement maîtrisé, le feu ne fait finalement que peu de dégâts. Mais son origine criminelle est presque immédiatement déterminée par les enquêteurs, qui s'appuient sur les images des caméras de surveillance du quartier. 

Deux incendiaires filmés

Sur les vidéos, on distingue deux personnes cagoulées, gantées et vêtues de noir. L’une d’allure "jeune et athlétique, l’autre plus massive", rappelle Thierry Jouve. Celles-ci tentent de défoncer la porte de l’établissement, en vain. Avant de changer de méthode, de mettre le feu à la terrasse par le biais d’un liquide inflammable, et de prendre la fuite.

C’est là que les vidéosurveillances de la voie publique perdent leur trace, laissant supposer qu’ils seraient passés par une coursive menant au parking d’une résidence de la place du Diamant.

Si les vidéos ne permettent pas d’identifier formellement les auteurs des faits, les hommes de la police judiciaire portent rapidement leur attention sur plusieurs objets distingués sur ces mêmes images : deux jerrycans blancs à bec verseur rouge, un pied de biche rouge et gris, un tournevis orange, "et un objet bleu pouvant s’apparenter à une mèche d’allumage", détaille Thierry Jouve.

Des achats dans un magasin de bricolage en question

Justement, la veille et l’avant-veille du sinistre, des objets similaires ont été achetés dans un supermarché de bricolage d’Ajaccio. Le 20 septembre, deux personnes payent ainsi un tournevis, un pied de biche, une bouteille d’alcool ménager, un tuyau d’arrosage et des gants.

Le 21 septembre, c’est un troisième homme qui se présente au même magasin et repart avec deux jerrycans de 10L, comparables à ceux distingués sur les caméras de surveillance.

Les enquêteurs identifient respectivement Philippe Porri, Jacques Pastini, et Jean-Laurent Salasca comme étant les trois acheteurs. Tous trois, détaille la police judiciaire, ont une "certaine proximité avec la bande du Petit Bar".

Pour les enquêteurs, ces achats sont en lien avec l’incendie. Plusieurs perquisitions sont alors organisées. Elles permettent notamment la découverte chez Jacques Pastini d’une télécommande avec clé donnant accès à l’appartement et au parking d’un voisin du restaurant incendié. Le voisin en question : Jacques Santoni, présenté par les autorités comme le leader de la bande criminelle du « Petit Bar ».

Les liens avec Jacques Santoni

Comme en première instance, en septembre 2020, les trois prévenus, tout en niant les faits qui leur sont reprochés, reconnaissent, dans leur majorité, les achats au magasin de bricolage. Mais assurent qu’ils auraient été effectués dans le cadre de travaux de rénovation d'un cimetière.

Premier à être interrogé à la barre, Philippe Porri - placé sous tutelle depuis mars 2021 en raison, notamment, de troubles de mémoire - indique dans un premier temps ne pas se souvenir précisément de la date des achats ni du panier exact de course. Sous l’insistance de Thierry Jouve, le président, il reconnaît avoir acheté une bouteille d’alcool à bruler. Cela, dit-il, "pour nettoyer des traces de peinture". "Vous nettoyez avec de l’alcool à brûler, vous ?", relance Thierry Jouve, sceptique. Oui, assure Philippe Porri.

Jacques Pastini raconte lui avoir "croisé", ce jour-là, Philippe Porri en chemin, et lui avoir proposé de l’accompagner faire ses courses. Le pied de biche, se défend-t-il, devait servir à bouger des pierres dans un cimetière familial. "Ça peut aussi servir à ouvrir une porte dont je n’ai pas la clef", raille le président.

Autre point sur lequel sont longuement questionnés les deux prévenus : leurs liens avec Jacques Santoni. "C’est mon ami, indique Philippe Porri. Il est handicapé [Jacques Santoni est tétraplégique, ndlr], je m’occupe de lui, je le lave, je l’aide à s’habiller, à manger…" Même réponse, à peu de chose près, pour Jacques Pastini. "Il m’arrive de lui rendre service", souffle-t-il.

Tout le monde connaît le Petit Bar, sauf vous

Catherine Levy, avocate générale

"C’est chez vous qu’on a retrouvé la télécommande et les clefs permettant d’accéder à son immeuble, insiste le président. Le même immeuble du Diamant par lequel seraient passés les incendiaires à l’aller et au retour, et où le matériel aurait pu être entreposé." "J’avais un bip qui ouvrait le garage, comme tous les occupants de l’immeuble, répond Jacques Pastini. Je l’utilisais quand il m’appelait pour venir lui donner un coup de main."

Au-delà de leur amitié avec le chef présumé du Petit Bar, ce sont surtout leurs possibles liens avec la bande criminelle qui intéressent les magistrats. "Vous êtes le frère de Pascal Porri", un des membres supposés de la bande criminelle, rappelle Catherine Levy, l’avocate générale, à Philippe Porri. "Ça vous dit quelque chose, le Petit Bar ?", demande-t-elle. "Rien", répond le prévenu. "Tout le monde connaît le Petit Bar, sauf vous, le frère de Pascal Porri", s’étonne la magistrate. 

Interrogé sur le même point, Jacques Pastini est bref : "Je lis les journaux comme tout le monde." "Il faut quand même savoir, insiste Catherine Levy, que l’établissement incendié, le Globo, se situe à quelques mètres d’un autre café, le café de Paris, créé par le père de Jacques Santoni. Vous voyez un rapport entre cet incendie et cet établissement ?" Non, glissent les deux prévenus présents.

Un incendie "qui n'est pas le fruit du hasard"

Pour l’avocate générale, pourtant, "cet incendie volontaire n’est pas le fruit du hasard" et serait directement lié à ce second établissement, propriété de la famille Santoni.

Il y a dans cette affaire, déclame-t-elle, "des gens qui disent ne pas vraiment se connaître, et pour lesquels on voit au fil des investigations qu'il existe bien des liens entre les autres", des personnes défavorablement connues des services de police "pour leurs liens avec des membres présumés du Petit Bar".

Si nous n'avons pas identifié les auteurs, nous avons identifié les complices.

Catherine Levy, avocate générale

"On parle ici d'un incendie dans un centre-ville, heureusement rapidement maîtrisé, car on s'imagine les dégâts qu'un sinistre de ce type peut causer", reprend-elle. Face à la cour, elle insiste : "Vous avez eu des explications pour l'achat des divers objets repérés sur les vidéos. Je n'y crois pas du tout. Ce que je trouve troublant, c'est cette coïncidence entre les objets qui ont servi à l'incendie, et ceux qui ont été achetés par ces hommes."

Dans ce dossier, conclut l'avocate générale, "il ne peut pas y avoir de doutes. Si nous n'avons pas identifié les auteurs, nous avons identifié les complices". Dans ce cadre, Catherine Levy requiert deux ans de prison pour les trois prévenus, soit des peines similaires à celles données en première instance.

"Peu de choses"

Un quantum que déplore Me Peres-Canaletti, conseil de Jean-Laurent Salasca, absent, ce mercredi 23 novembre, pour raisons médicales. 

L'avocate invite la cour "à réfléchir". "Ce dossier se résume à peu de choses", argumente-t-elle, regrettant "toutes ces circonvolutions sur Jacques Santoni, qui il est, où il est, où il travaille...Tout cela ne m'intéresse pas et ne doit pas vous intéresser. Aujourd'hui, je ne vois pas Jacques Santoni, je ne vois pas ses proches avec nous. Je vois ces deux malheureux, lance-t-elle en pointant Jacques Pastini et Philippe Porri, et le troisième que je représente."

La seule question qui vaille, c'est si ce dossier recèle ou non les éléments caractéristiques de la complicité.

Me Peres-Canaletti

"La seule question qui vaille", estime-t-elle, doit être si le dossier recèle ou non les éléments caractéristiques de la complicité. Or, attaque Me Peres-Canaletti, les investigations ont eu tendance à se concentrer sur les trois prévenus parce qu'ils étaient connus des services de police pour leurs liens supposés avec des membres de la bande criminelle.

Fin août, énumère-t-elle, dans ce même magasin de bricolage, sept jerrycans du même format ont été achetés. En septembre, un autre bidon par une autre personne. Pourquoi, alors, s'interroge-t-elle, s'est-on arrêté sur les vidéos montrant les trois prévenus ? 

Dans cette affaire, c'est "on n'a pas la preuve, on ne sait pas si, mais on le pense, grogne-t-elle. Ce n'est pas celle-là la justice dans laquelle je crois."

La défense demande la relaxe

Concernant son client, Jean-Laurent Salasca, ce dernier aurait acheté un jerrycan sur demande de Jacques Pastini. En considérant que ce même jerrycan aurait pu être utilisé pour cet incendie, "qu'est-ce qui vous permet de dire qu'il s'avait ? Qu'est-ce qui fait qu'il reçoit l'information de Jacques Pastini ? Parce que dans ce cas-là, il est quoi ? Le complice du complice ? Cela n'existe pas."

Me Peres-Canaletti est catégorique : "Deux ans d'emprisonnement dans un dossier où il n'y a aucune preuve, c'est grave." Elle demande la relaxe. 

Un manque flagrant de preuve, c'est le même argument développé par Me François, conseil de Philippe Porri et Jacques Pastini.

Ou plutôt des coïncidences dénoncées par l'avocate générale et avant elle les enquêteurs qui ne sont "pas bien corroborées". Les couleurs des gants et de la bouteille achetés par ses clients, et ceux utilisés par les incendiaires et filmés, ne sont pas les mêmes, argue-t-elle. 

Plus encore, "acheter un pied de biche pour faire des travaux dans un cimetière, c'est permis". L'avocate s'arrête sur le cas de Philippe Porri. Placé sous tutelle depuis mars 2021, en raison, notamment, de troubles de la mémoire, de l'orientation ou encore du langage, ce dernier a pu se montrer confus dans ses réponses à la cour.

On peut se poser la question si une personne, quelle qu'elle soit, ferait appel à monsieur Porri pour une affaire comme celle-là.

Me François

"Lorsqu'on lui demande quand il a été placé sous tutelle, il répond il y a trois mois. C'était il y a un an et demi, et il n'arrive pas à s'en souvenir. Alors imaginez pour des faits qui remontent à cinq ans", soupire-t-elle. Son état de santé, poursuit l'avocate, s'est détérioré à partir de 2012, et ses troubles sont devenus plus prononcés en 2016. "Quand on sait que les faits se sont déroulés en 2017, on peut se poser la question si une personne, quelle qu'elle soit, ferait appel à monsieur Porri pour une affaire comme celle-là."

Pour Jacques Pastini comme pour Philippe Porri, Me François demande également la relaxe. 

Le jugement est mis en délibéré à la date du 25 janvier 2023.

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