Après l'agression d'un couple homosexuel le mois dernier dans un établissement de Macinaggio, des collectifs LGBT et féministes appellent à un rassemblement anti-homophobie, dimanche 22 août, à Bastia. Une mobilisation "nécessaire", alors que les militants pointent des discriminations quotidiennes.
Son homosexualité, Xavier l'a longtemps vécue comme une punition. "Enfant, je me demandais si j'avais fait quelque chose de mal, si c'était le Seigneur, là-haut, qui me punissait sans que j'en comprenne la raison", se souvient le Balanin. Il raconte avoir senti dès le plus jeune âge qu'il n'était "pas tout à fait comme tous les autres garçons" de son village.
"J'ai su très vite que les filles ne m'intéressaient pas dans ce sens-là, et que mon attirance se portait sur les garçons." Issu d'une famille chrétienne et très pratiquante, Xavier comprend très vite qu'il lui faudra cacher sa découverte. "Mes parents ne cachaient pas ce qu'ils pensaient des homosexuels, du dégoût que ça leur inspirait. Impossible de leur avouer que leur fils unique était "de ceux-là". Alors j'ai pris sur moi et j'ai essayé de me convaincre que ce n'était qu'une passade, et qu'en me forçant, j'arriverais à changer ma nature."
Désormais trentenaire, Xavier travaille jour après jour à vivre en paix avec "celui [qu'il est]", mais refuse encore de vivre ses relations au grand jour. "J'aimerais vous dire le contraire, mais la vérité, c'est que la Corse n'est pas prête pour cela aujourd'hui."
Preuve en est, dit-il, l'agression d'un couple gay, le 14 juillet dernier, à Macinaggio. Les deux hommes auraient été victimes d'insultes homophobes, avant d'être passés à tabac lors d'une soirée dans un établissement sur la marine de la commune de Rogliano. Une attaque qui a connu une large médiatisation à échelle régionale et nationale, et qui s'est accompagnée, en Corse, de commentaires parfois acerbes à l'encontre du couple en question.
Homophobie, biphobie, transphobie
C'est pour répondre à ces prises de position "injustifiables", et montrer aux membres de la communauté LGBT insulaire "qu'ils ne doivent pas se sentir contraints de se cacher" que le collectif anti-homophobie Arcu Corsica, organise ce dimanche 22 août un rassemblement devant le palais de justice de Bastia, à 19h. Une mobilisation soutenue, notamment, par plusieurs associations féministes régionales.
"L'homophobie, en Corse, c'est quelque chose de tabou. Il y a une forme de déni collectif : on est convaincu que ça n'existe pas, un peu comme le racisme d'ailleurs", soupire Sylvie Fondacci, membre du bureau d'Arcu. Originaire de Propriano, cette militante LGBT de longue date a quitté la Corse depuis une trentaine d'années pour Paris.
Un départ lié à ses études puis à son travail, mais elle l'admet : il est plus facile, aujourd'hui, de vivre en tant que femme lesbienne dans la capitale française que sur l'île de beauté. "À Paris, on peut rester anonyme, ce qui n'est pas le cas en Corse. Il y a aussi un plus grand brassage de population, et donc plus d'acceptation. Je suis longtemps restée cachée en Corse. Ce n'est plus le cas aujourd'hui."
Il y a une forme de déni collectif : on est convaincu que ça n'existe pas, un peu comme le racisme d'ailleurs
Silence décrié des élus insulaires
Avec cette manifestation, Sylvie Fondacci espère voir se développer une plus grande sensibilité de la population face aux discriminations rencontrées par la communauté LGBT quand les agressions physiques, comme celle survenue à Macinaggio, "ne sont que la pointe de l'iceberg d'attaques quotidiennes". Et inciter au passage les élus insulaires à se mobiliser davantage sur la problématique.
"J'ai interpellé monsieur Simeoni sur le sujet depuis plusieurs années. En avril dernier, nous avons eu une réunion avec Lauda Guidicelli [Conseillère exécutive en charge de la jeunesse, des sports, de l'égalité hommes-femmes, ndlr], durant laquelle on a pris le temps de nous entendre, et c'est positif. Mais on aimerait maintenant que l'écoute se traduise par des actions. En juillet dernier, on a regretté de voir que le président du Conseil exécutif, qui utilise pourtant beaucoup Twitter, n'a même pas pris la peine de mettre un petit message en soutien au couple agressé. Un tweet, ce n'est pas assez, mais c'est déjà un début, qu'on aimerait voir se poursuivre par des actions concrètes."
On ne demande pas quelque chose de fou : on veut juste pouvoir vivre notre vie librement, être amoureux ou amoureuses de qui on veut sans se faire menacer.
Un désir partagé par Mattea Riu, 24 ans, également membre du bureau d'Arcu. "Il est vraiment temps que les choses évoluent."
Adolescente, la jeune femme se souvient avoir vécu des moqueries de la part de ses camarades, en personne et via les réseaux sociaux. "On me disait "Ah c'est Mattea la lesbienne", on se moquait, on me faisait des gestes. Moi, j'ai toujours assumé ma bisexualité, je n'ai jamais eu à la cacher. Je n'ai jamais subi des violences, mais je n'ai jamais eu de petite amie en Corse non plus. Certains de mes amis, en revanche, ont déjà été frappés, suivis avec une voiture, menacés... C'est aussi pour les soutenir eux que je me mobilise."
Pour l'étudiante, peu importe, finalement, le nombre de personnes qui feront le déplacement dimanche. "L'essentiel, c'est qu'on enclenche une réaction, qu'on montre que nous sommes là, qu'on existe. On ne demande pas quelque chose de fou : on veut juste pouvoir vivre notre vie librement, être amoureux ou amoureuses de qui on veut sans se faire menacer."
Un voeu que collectifs, associations et militants dans leur ensemble espèrent voir se réaliser dans un futur (très) prochain.