Dernier jour d’audience dans le procès de Marcel Vadella pour meurtre et tentative de meurtre, ce vendredi 29 novembre. La matinée a été consacrée aux plaidoiries des avocats des parties civiles, qui rejettent l'hypothèse de la légitime défense, et appellent plutôt à la reconnaissance, dans cette affaire, d'un acte intentionnel de l'accusé.
Que s’est-il passé, le 19 décembre 2020, devant le bar "L’Arcole", quartier Lupino, à Bastia ? Dans quelles conditions Marcel Vadella a-t-il tiré sur Jamal et Jaoide Fadil, tuant le premier et blessant sérieusement le second ?
Pour les avocats des parties civiles, le doute n'existe pas : en prenant avec lui son arme à feu, et en choisissant de se rendre à son bar, ce samedi-là, l’accusé avait l’intention de se venger des deux frères, avec qui il avait eu une violente altercation la veille.
La "double peine" pour les parties civiles
Après trois longues journées de débats, les cinq conseils de la partie civile ont tenu leurs plaidoiries, ce vendredi matin. "Quatre jours, c’est très court pour juger un homme", rappelle Me Jean-Baptiste Ortal-Cipriani, qui représente le père de Jamal et Jaoide Fadil. Très court, aussi pour résumer les quatre difficiles années vécues par la famille des victimes, confrontée, soupire la partie civile, à une inversion des rôles avant même que ne se termine l’enquête et que ne s’ouvre le temps judiciaire, avec "un auteur devenu victime et une victime devenue auteur".
On peut tout lui reprocher à Jaoide Fadil, mais durant ces quatre jours, on ne peut pas l’accuser
Cette "double peine" vécue par les proches de Jamal et Jaoide Fadil, les avocats la rappelle, tour à tour, dans leur tirade. "Le corps de Jamal était encore au sol que l’on criait déjà sa responsabilité", déplore Me Salima Darsi, représentante d’un des frères de Jamal et Jaoide Fadil et de leurs neveux. "Quand Jaoide Fadil s’est présenté, hier, c’est la défense qui l’a pointé du doigt et lui a dit : "On vous accuse". On peut tout lui reprocher à Jaoide Fadil, mais durant ces quatre jours, on ne peut pas l’accuser", insiste Me Jean-Baptiste Ortal-Cipriani.
Une hostilité à l’égard de la famille Fadil qui se traduit même dans la cour d’assises, déplore Me Benoît Bronzini de Caraffa, conseil du père des frères Fadil. "Dans cette salle, j’ai vu un public nombreux et bruyant favorable à l’accusé, un banc des parties civiles sans aucune partie civile. J’ai vu un public hostile à la famille Fadil. Je n’ai pas vu mon client qui a perdu son fils."
L'hypothèse de la légitime défense écartée
Les conseils de la partie civile en sont convaincus : dans ce dossier, la légitime défense invoquée par Marcel Vadella ne tient pas. D’abord parce que la lame que Jamal Fadil aurait tenue n’a été évoquée par l’accusé qu’à partir de ses auditions. Pas avant, aux diverses personnes qu’il a pu croiser ou appeler avant d’être placé en garde à vue.
"Il n’y a pas de couteau dans ce dossier, parce que personne ne le voit, personne ne le retrouve et personne n’en parle", tranche Me Elena Campario, conseil de Jaoide Fadil. "Si cette lame n’existe pas, alors il n’y a pas de légitime défense. Cette lame, elle pèse lourd dans votre délibéré", indique Me Benoît Bronzini de Caraffa à la cour.
"Le couteau n'a pas existé, mais ce qui a existé, en revanche, c'est la préméditation", relève Me Mourad Battikh, avocat de Jaoide Fadil. Car selon la partie civile, le fait que Marcel Vadella se rende ce jour-là dans son bar n'est pas le fruit du hasard.
Ce n'était pas une arme défensive. C'était une arme prête à servir, prête à tuer
"Le cœur du dossier, c'est que vous avez quelqu'un qui avait une quarantaine d'années qui tombe deux fois [le 18 décembre, la veille des faits, lors de la violente altercation avec les frères Fadil ndlr] et se prend des coups à terre devant tout le monde [...] C'est humiliant. Et la question, c'est comment on compose avec cette humiliation ?", questionne Me Mourad Battikh. "Ma conviction, c’est un désir de vengeance alimenté par une humiliation", acquiesce Me Salima Darsi.
"Monsieur Vadella, ce 19 décembre, n’avait aucune raison de se retrouver devant son bar. Il était censé avoir peur, extrêmement peur", rappelle Me Jean-Baptiste Ortal-Cipriani. "Monsieur Vadella n'avait aucune nécessité de tirer. Il aurait pu appeler à l'aide. Il avait d'autres choix que d'utiliser son arme à feu", assure Me Elena Campario.
"Une arme déjà chambrée ça n'existe pas. Mais Monsieur Vadella est parti avec, et ne s'est pas arrêté quand il l'a prise, quand il s'est mis en chemin, quand il est arrivé au bar. C'est un choix qu'il a fait et qu'il doit assumer. Ce n'était pas une arme défensive. C'était une arme prête à servir, prête à tuer, accuse Me Mourad Battikh. C'est ça la réalité de ce dossier."
L'absence d'excuses et de remords
Les avocats relèvent enfin "l’absence d’excuses spontanées de Monsieur Vadella". "Je regrette qu’il ne se soit excusé qu’à demi-mot, et seulement face à l’insistance de mon confrère", glisse Me Salima Darsi. "Monsieur Vadella s’excuse, mais le problème et la particularité c’est qu’il n’a pas de remords", insiste de son côté Me Jean-Baptiste Ortal-Cipriani.
"Tous mes confrères ont demandé à Monsieur Vadella si avoir une arme, l’avoir conservé, être parti avec, l’avoir chambré, ce n’était pas une erreur. Mais non, selon Monsieur Vadella, ce n’était pas une erreur", remarque Me Benoît Bronzini de Caraffa.
Procès reporté
Le procès devrait se poursuivre cet après-midi, avec les réquisitions de l'avocat général et les plaidoiries de la défense. Mais en raison d'un malaise d'une des avocats de l'accusé, le président de la cour d'assises, Michel Bonifassi, a fait le choix de reporter la suite du procès au lendemain matin, ce samedi 30 novembre.