Le centre de vaccination, qui couvre le Cap Corse, affiche déjà plus de 1.300 vaccinations. Et il est tenu à bout de bras par Philippe, Dominique et Marlène, un médecin et deux infirmières qui ont jeté toutes leurs forces dans la bataille. Mais cela n'a pas toujours été simple.
"J'ai failli ne pas venir, vous savez !" René, septuagénaire élégant, plie avec soin sa veste de costume et la pose sur le dossier d'une chaise, avant de s'asseoir face à Marlène. L'infirmière du centre de vaccination de Luri prépare la seringue, avant de tapoter le haut de son bras avec un coton imbibé d'alcool. "Vous aviez peur des effets du vaccin ? C'est le Pfizer, ici, soyez rassuré, tout va bien se passer...".
Je veux me faire vacciner parce que j'ai appris que le Tango Bleu allait réouvrir !
"Pas du tout, sourit le retraité, le regard plein de malice. Je ne voulais pas me faire vacciner, mais j'ai appris que le Tango Bleu allait réouvrir ! Et la patronne a fait savoir qu'elle n'acceptera que les gens vaccinés, alors vous imaginez bien que la décision a été vite prise..."
Marlène et Dominique, les deux infirmières du centre, éclatent de rire. Apparemment, le confinement, ça commence à faire long...
1.300 personnes vaccinées à Luri
Il est un peu plus de 15 heures, et dans la salle polyvalente, derrière la mairie du village du Cap Corse, ils sont une poignée de patients à attendre leur tour. En tout, aujourd'hui, soixante doses de vaccin seront injectées.
On voit de plus en plus de gens arriver de partout.
Le centre de vaccination est ouvert quatre jours par semaine, les mardi, vendredi, samedi et dimanche, de 13 heures à 17 heures. Et depuis le 26 janvier, début des vaccinations, Philippe Marchand, le médecin en charge du centre, et ses deux infirmières, Dominique Piazza et Marlène Galland, ont vacciné près de 1.300 personnes. Du Cap Corse et d'ailleurs.
"On voit de plus en plus de gens arriver de partout. Ils ont su que, ici, ça allait vite, qu'il n'y avait pas de file d'attente, qu'on pouvait se garer facilement, et que les rendez-vous étaient donnés la plupart du temps dans la semaine, explique le médecin. Alors on a décidé de dire non aux patients de Borgo, de Lucciana... Désormais, on se concentre sur les patients qui vivent au-dessus de Sisco et de Barrettali".
Impossible, en effet, de répondre à la demande. Les cadences sont déjà soutenues, rien que pour s'occuper des patients de la région.
À Luri, ils ne sont que trois, en tout et pour tout, à faire tourner le centre. À s'occuper de tout, de la prise de rendez-vous à l'accueil, de l'entretien médical à la vaccination, du suivi post-vaccinal aux explications, nécessaires, que ce soit pour rassurer les patients, ou les mettre en garde contre un relâchement trop précoce des mesures barrière après la première dose.
Un dévouement de chaque instant
Marlène et Dominique, les deux infirmières libérales, sont là 16 heures par semaine. De quoi empiéter sur leur temps de travail hebdomadaire, mais pas question de délaisser leurs patients habituels. "Sur la longueur, c'est fatiguant, c'est vrai, confient-elles. Parce qu'on fait quand même les heures avec nos patients, avant et après le centre de vaccination. Mais c'est comme ça, en permanence, depuis l'arrivée du Covid. Il faut s'organiser au jour le jour, repenser ses manières de travailler, de fonctionner".
"Mais on n'est pas les seules, c'est comme ça dans tous les métiers, je pense", conclut Dominique, un sourire aux lèvres, pas le genre à se plaindre.
D'autres qui ne se plaignent pas, ce sont les habitants du Cap. Ils sont reconnaissants à Philippe, Marlène et Dominique, d'assurer la vaccination à Luri. "Moi, s'il avait fallu aller jusqu'à Bastia, je ne me serais pas fait vacciner, assure Jeanne, 81 ans. "C'est mon neveu qui m'a emmené ici, de Macinaggio. Il travaille, il n'aurait jamais eu le temps de m'emmener à Bastia."
Le docteur Marchand confirme. "Si on n'était pas là, la plupart des gens du coin ne seraient pas descendus jusqu'en ville. Et il y aurait bien moins de 1.300 vaccinés dans le Cap."
S'imposer pour exister
En matière de lutte contre l'épidémie de Covid, Luri a fait ses preuves. Mais cela n'a pas été sans mal. Dès les premiers signes de l'arrivée de la maladie, il y a un an, la commune ouvre un centre médical avancé. "Au début, on faisait une journée, par-ci par-là. On faisait les tests de détection, comme on pouvait. On devait être plusieurs docteurs, à l'origine, et puis très vite je me suis retrouvé tout seul. Et je me suis dit, tant pis, moi je continue..."
L'ARS n'était pas vraiment partante, au début...
Le docteur Philippe Marchand, arrivé il y a neuf ans en Corse, créé alors l'association Capi Corsu Sperenza. Pour arriver à obtenir de l'aide. Et mener son projet à bien. "C'était la condition sine qua non pour être reconnus par l'ARS. Et bénéficier de financements. Ca nous a permis, entre autres, d'effectuer gratuitement les tests anticorps, alors qu'ils étaient payants normalement. Et puis la mairie, de son côté, a cru en nous, elle a mis des moyens à disposition, nous a laissé la salle polyvalente..."
Alors, au moment où les vaccins arrivent, la structure est minimale, c'est vrai, mais elle a le mérite d'exister. Et entre temps, les deux infirmières, Marlène et Dominique, ont rejoint le docteur Marchand. Un temps, Gérard, 82 ans, a même fait partie de l'équipe, pour assurer le service téléphonique et la prise de rendez-vous. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues.
Débrouillardise
Manque néanmoins le principal : les vaccins. "L'ARS n'était pas vraiment partante, au début. On n'était pas sur les listings de centres de vaccination, on n'était pas dans le circuit Doctolib... On était un centre satellite, quoi. Alors on arrivait à grappiller un flacon de temps en temps, miraculeusement, et on ouvrait quand on avait de quoi vacciner".
Mais c'était compter sans la solidarité et le légendaire entregent capcorsins.
"Marie-Christine Viale, la fille de Mado, notre pharmacienne du village, est responsable des stocks à l'hôpital. Alors évidemment, ça a aidé à débloquer la situation. Elle a réussi à nous obtenir une bouteille, puis deux, puis trois... Et nous, on calculait, au jour le jour, on faisait notre planning le matin, selon les flacons dont on disposait. On jonglait en permanence avec les patients potentiels, et les vaccins dans nos placards."
Beaucoup auraient jeté l'éponge, face à la tâche de travail et aux obstacles. Pas eux. "Il fallait être mobilisés et réactifs, mais ça a porté ses fruits. L'ARS a vu le travail qu'on abattait, et aujourd'hui si on demande huit flacons, on a les huit flacons. Ils savent qu'ils seront bien utilisés, et qu'on ne gâche pas la moindre dose".
Philippe Marchand se lève de la table où il reçoit les futurs vaccinés et se dirige vers le coin cuisine pour préparer du chocolat chaud à Dominique et Marlène, alors qu'une subite vague de froid s'est abattue sur le Cap corse en ce début du mois de mars.
Aujourd'hui si on demande huit flacons, on a les huit flacons.
De leur côté, derrière la porte d'une pièce transformer en cabinet médical, les deux infirmières finissent de s'occuper d'Elodie qui, de toute évidence, ne rentre pas dans les critères actuels de vaccination. Coup de chance pour la jeune femme qui accompagnait ses deux parents, éligiblesalors que le centre s'apprête à fermer, il restait une dose dans un flacon, et c'est elle qui, aujourd'hui, en a bénéficié.
De 7h15 à 22 heures
Il est 17 heures. Philippe Marchand met un tour de clé dans la serrure de la salle polyvalente, et se dirige vers sa voiture. La journée est loin d'être terminée. Marlène et Dominique partent faire la tournée à domicile de leurs patients, et le médecin, lui, rejoint son cabinet. Pour s'occuper des grippes, des angines et des rougeoles des habitants de la commune. Mais il n'en a pas fini avec le Covid.
"J'arrête les consultations à 20 heures, et après, je dois m'occuper des soixante dossiers des patients qu'on a vaccinés dans la journée, pour être à jour. Et le matin, en plus des consultations, j'ai la clinique de Luri. Ca fait des belles journées, de 7h15 à 22 heures !"
Mais pas question, là encore, de se plaindre, ou d'attendre des louanges. Au centre médical de Luri, depuis un an, on fait son boulot, du mieux qu'on peut, et les résultats sont là. 1.300 vaccinés, très peu d'hospitalisations, et un seul décès du Covid19 dans le Cap Corse. Pour Philippe, Dominique et Marlène, ça vaut toutes les médailles du monde.