Les plages de Nonza et d'Albu feront-elles la fortune d'une société minière canadienne ? L'entreprise Aurania projette en effet d'exploiter le sable issu des déchets de la mine de Canari. L'association de défense de l'environnement U Levante lance l'alerte, pointant un risque lié à la présence d'amiante.
Nonza, sa plage noire de carte postale, et bientôt, peut-être, son nickel extrait en Corse.
Un projet d’extraction minière dans le Cap Corse dénoncé par U Levante sur son site internet. L’association de défense de l’environnement y alerte sur les dangers liés à l’amiante.
Ce programme minier, c’est celui de l’entreprise canadienne Aurania, cotée en bourse et spécialiste de l’extraction minière, et de la toute nouvelle société crée par son PDG : Corsica Ressources.
Contactée, elle nous renvoie à la communication publiée sur son site internet, détaillant les trouvailles faites sur les plages de Nonza et d’Albu : "Ces teneurs en nickel sont bien supérieures à celles de tous les gisements de roche dure connus à notre connaissance", peut-on lire sur Aurania.com.
"Un scenario de rêve" pour la société
C’est dans des bancs de sable que les géologues mandatés par la société minière ont découvert deux métaux riches en nickel, l’awaruite et la magnétite, qu’ils ont facilement prélevés grâce à des aimants, pour les analyser. "Dans les zones de placer de sable noir, la teneur en awaruite et en magnétite approche les 100 %", précise le site internet de l'entreprise.
Pour le président de la multinationale, cette teneur en nickel accessible aussi facilement est une véritable aubaine. "Un prospect de nickel où une matière première potentielle pour un four à matte de nickel ne nécessite aucun forage, dynamitage ou enrichissement et peut éventuellement être expédiée directement de Corse à un acheteur semble être un scénario de rêve", indique Keith Barron, le Président de Aurania et Corsica Ressources, sur ce même support.
L’avantage, pour la société minière, c’est que les métaux sont déjà concassés car les plages de Nonza et d’Albu ont été créées à partir des déchets de la mine de Canari. Problème, cette mine exploitait de l’amiante. Le site du BRGM, Infoterre.Com répertorie d’ailleurs les deux plages comme des lieux à risque d’amiante environnemental très élevé (en rouge ci-dessous).
Des cartes sur lesquelles se base U Levante pour dénoncer le projet. "Dans la mesure où nous ne savons rien des process d’exploitation, aériens, sous-marins, par dragage ou par siphonnage, nous restons dans l’expectative. S'il s'agit d'une extraction sous-marine, à la rigueur, je veux bien, mais si elle est aérienne, elle va mettre en mouvement les fibres et là le danger est certain", pointe Michelle Ferrandini, géologue et membre de l'association de défense de l'environnement.
Une version contestée par la société Aurania, qui ne voit que des avantages à exploiter ces plages. Elle affirme qu’il n’y a aucun danger et qu’aucun produit chimique ne sera utilisé dans la récupération.
Études d'impact
Contacté par mail, son géologue en charge du dossier nous précise : "La première phase consistera en la réalisation d’une étude d’impact selon un cahier des charges qui sera fixé par les administrations compétentes et qui étudiera tous les aspects liés à la particularité du site".
Des études que le maire de Nonza Jean-Marie Dominici appelle de ses vœux, notamment concernant la présence d’amiante : "Il peut y en avoir mais il peut aussi ne pas y en avoir. Et j’aimerais bien qu’une fois pour toutes, nous puissions nous, élus, communiquer. Et c’est pour ça que je vois presque une opportunité à ces études, il y a au moins ce côté positif".
Car en ce qui concerne le projet en lui-même, le maire semble dubitatif. "Je crois que ça pourrait paraître comme une espèce de fortune qui tomberait du ciel, sauf que les royalties pour le moment sont pour l’État, puisque c’est le domaine public maritime. Et deuxièmement, je crois qu’avec le mille-feuille juridique, réglementaire et la jurisprudence qui existe aujourd’hui dans un site classé avec la loi Littoral, les espaces remarquables, la présence du parc marin, la loi Paysage, le Padduc, ça fait quand même beaucoup...", estime l'édile.
Ce serait dommage que cette plage vienne complètement à disparaître.
Clément Franceschi, habitant d'Ogliastru
À Nonza, en ce mois de novembre, difficile de trouver des habitants pour parler du projet. À Ogliastro, en revanche, ils sont nombreux à avoir leur idée sur le sujet. Plusieurs y sont opposés, que ce soit pour des raisons éthiques et économiques, pour des enjeux liés à la biodiversité, notamment la préservation de la grande forêt de tamaris présente à Albu, ou pour les modifications paysagères qu’il pourrait entraîner.
"Je me dis qu'on va rechercher du nickel ailleurs, dans des pays étrangers, et qu’on les appauvrit... Je me demande comment on va le faire ici, de quelle façon, comment ils vont procéder, ce qu’ils vont abîmer... Ce qui me fait peur aussi, c’est que j’ai vu que c’était une entreprise étrangère basée au Canada et qu’il y avait des comptes aux Bermudes, moi c’est surtout ça qui ne me convient pas", souligne Vanina Franceschi, qui réside à Ogliastro.
"Certains nous disent que cette plage n’existait pas il y a 80 ans, indique Clément Franceschi, un autre habitant. Certes, mais aujourd’hui elle fait partie de notre village, elle fait partie de notre environnement, donc il serait dommage de mon point de vue que cette plage vienne complètement à disparaître, puisqu’aujourd’hui elle est connue, elle est fréquentée par des personnes qui sont Corses et même par des touristes qui peuvent venir en vacances."
Réunions publiques
Le maire Jean-Toussaint Morganti est lui aussi farouchement opposé à la disparition de la plage mais ce n’est pas ce qui l’inquiète le plus. Il y a quelque temps, il a rencontré les représentants de Corsica Ressources. S’en est suivi un rendez-vous au ministère de la transition écologique à la suite duquel il a convoqué un conseil municipal, puis organisé une réunion publique.
"Il y a l’environnement, le parc marin, l’amiante, le sanitaire : tous ces critères viennent pour moi avant les finances. J’ai demandé à la société Corsica Ressources de faire une autre réunion publique élargie où je ferai venir des associations pour être tranquille, ce n’est pas moi seul qui vais prendre la décision", déclare Jean-Toussaint Morganti.
Des réunions sur le sujet, ce n’est pas ce qui devrait manquer d’après U Levante. L’association devrait d’ailleurs rencontrer les représentants de Corsica ressources au début du mois de décembre. De leur côté, les services de l'État ont indiqué par communiqué "qu'ils ont bien été informés du projet, lequel sera instruit dans le respect du cadre réglementaire".
Le reportage de Maïa Graziani, Guillaume Leonetti et Christian Giugliano :