Invasion de fourmis : "Elles sont entrées dans la maison par colonies et ont attaqué les gaines électriques"

Depuis quelques années, la prolifération de la Tapinoma magnum ne cesse de s’accentuer en Corse. Nombreux sont les particuliers à se retrouver quelque peu démunis face à cette espèce invasive, qui arrive parfois jusque dans leurs maisons. [Cet article a été initialement publié le 27/05/2023]

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"Il y a toujours eu des fourmis, mais depuis 5-6 ans, l’augmentation est plus importante." 

Autour de la maison de Christelle, sur les hauteurs de Bastelicaccia, la Tapinoma magnum est désormais en terrain conquis.

"Après avoir tenté d’exterminer ces fourmis puis pris conseil auprès de professionnels, j’ai opté pour une forme de zonage, confie son mari. J’ai sécurisé une zone sur laquelle je ne veux plus qu’elles viennent, explique-t-il, avant de se reprendre : en fait, pour être concret, je me suis parqué dans une zone sans fourmis et je leur laisse le reste du terrain. Pour l’instant, heureusement, elles ne sont pas rentrées dans la maison."

À quelque 150 kilomètres plus au nord, à Biguglia, Patrice n’a pas eu la même chance.

"En plus d’avoir "bouffé" deux moteurs de portail électrique ainsi qu’un moteur de climatisation, elles sont rentrées dans l’appartement qui a été bien affecté. J’ai mis de la poudre et il y avait des dizaines de cadavres sous les prises, mais les fourmis revenaient. J’ai fini par prendre une entreprise spécialisée. Les agents sont venus et ont fait des trous pour injecter un produit. Je ne vous cache pas que ça m’a coûté très cher mais ça a été efficace. Enfin, pour l’instant, car ce n’est pas définitif."

Dans l’Extrême Sud, la Tapinoma magnum a aussi fait des ravages dans la campagne porto-vecchiaise. Notamment dans l’imposante villa d’Antoine.

"Elles sont rentrées dans la maison par colonies et ont attaqué les gaines électriques et les prises jusqu’à créer des courts-circuits. Nous avons été obligés de mettre du produit sous les murs de la maison afin de diminuer leur présence à l’intérieur, ce qui a fonctionné."

Dehors, en revanche, les colonies de fourmis n’ont pas diminué. Au contraire. "Moins il y a d’herbe, plus il y en a, surtout dans les endroits arides, constate Antoine, avant de livrer cette anecdote : L’autre jour, je faisais des travaux et j’ai laissé quatre tas de terre. Désormais, ce sont quatre fourmilières géantes."

 Comme Christelle à Bastelicaccia, lui aussi a dû abandonner certaines zones de sa propriété à cette espèce qui n’en finit plus de proliférer sur l’île.

Espèce invasive

Noire, petite - sa taille ne dépasse pas 5 mm -, la Tapinoma magnum présente la caractéristique de dégager une forte odeur de beurre rance lorsqu’on l’écrase entre ses doigts.

Si, pour certains spécialistes, sa présence en Corse est "difficile à dater de manière exacte", elle "remonterait probablement au milieu des années 1960 avec l’introduction de certains végétaux notamment venus d’Afrique du nord".

Néanmoins, l’espèce serait devenue invasive ces dernières années.

"Le réchauffement climatique favorise son implantation et son aspect invasif, explique Cyril Berquier, entomologiste à l’Observatoire des Insectes de Corse qui dépend de l’Office de l’environnement de la Corse (OEC). Il y a d’autres espèces invasives dans l’île, comme la fourmi d’Argentine, mais celle-ci, davantage présente sur le littoral, apprécie plus l’eau qui stagne et le terrain inondé. À l’inverse, la Tapinoma magnum aime les fonds secs, ainsi que les milieux perturbés comme les endroits où la terre a été retournée ou encore les lieux bétonnés avec des sols chauds et secs comme il y en a de plus en plus dans les zones urbaines. C’est d’ailleurs pour cela que l’on peut désormais la retrouver dans des immeubles et des appartements."

"Avant, c'était différent. L'hiver, on n'intervenait pas".

Un responsable d'une société de désinsectisation

Autre changement observé dû au réchauffement climatique : une présence et une activité de la Tapinoma magnum et de ses impressionnantes colonies qui s’étalent désormais sur toutes les saisons. C’est ce qu’a constaté ce responsable de la société SOS insectes qui déploie ses équipes sur l’ensemble de l’île :

"Comme on n’a pas d’hiver rigoureux, nous avons sans arrêt des appels pour ces fourmis-là. Avant, c’était différent : l’hiver, on n’intervenait pas. Maintenant, c’est tout le temps. Après, comme il y  a plus de monde lors de la saison estivale, automatiquement, nous avons davantage de cas à cette période-là."

"Impuissance"

Face à ce fléau, difficile pour les particuliers de lutter et de se débarrasser de cette fourmi omnivore qui s’attaque également aux arbres fruitiers et aux cultures. "On se sent complètement démuni et impuissant face à ces colonies de fourmis", avoue Patrice à Biguglia.

Beaucoup ont essayé de les combattre à coups de produits en tout genre. Ce qui ne semble pas être la – bonne – solution : "Nous disons aux gens qu’il y a peu de chance de détruire ces fourmis-là et, en plus, c’est anti-environnement, souligne le responsable de SOS Insectes. On va donc davantage essayer de faire des barrières afin qu'elles n'aillent pas là où c'est embêtant. Les traitements sont davantage axés en ce sens-là afin de ne pas essayer de les détruire. Car si on les détruit, on a une chance sur deux de les déplacer et de les retrouver à l'intérieur des maisons. C’est ce que font beaucoup de gens, ils essaient de les détruire dans le jardin puis ils se retrouvent complètement envahis chez eux." 

De plus, les produits utilisés sont désormais moins toxiques, eu égard à la protection de l’environnement.

"En tant que société, nous utilisons des produits qui respectent cela mais qui sont donc globalement moins fiables, précise le responsable en ajoutant : Maintenant, les produits fonctionnent différemment. On va dire qu’il n’y a plus de rémanence, ce qui empêche une action de long terme. Les fourmis peuvent alors réenvahir le site très rapidement."

"Il faudrait revoir notre manière de fonctionner."

Cyril Berquier

Entomologiste à l'OEC

Pour Cyril Berquier, de l'Office de l'environnement, la lutte passe aussi par une "prise de conscience générale" :

 "Il faudrait revoir notre manière de fonctionner et, si possible, devenir de vrais jardiniers de l'écosystème afin d'avoir davantage de sols riches et moins secs. Il faudrait aussi avoir une réflexion sur l'urbanisation parce que le béton favorise son implantation. Aujourd'hui, le problème, c'est qu'on a très gravement modifié le milieu et ces espèces qu'on a introduites, il va donc falloir apprendre à vivre avec pendant un certain temps afin que des systèmes naturels trouvent des équilibres. Cette espèce est désormais très implantée et les conditions lui sont toujours plus favorables. Ce n'est donc pas très positif pour la suite..." 

D'autant plus que ces derniers temps, la Tapinoma magnum ne se contenterait plus de faire uniquement des dégâts matériels dans et autour des maisons.

Récemment, à Ajaccio, Cyril Berquier a observé que la fourmi "commençait à poser problème sur la conservation de l'escargot du Ricanto et sur quelques invertébrés en général".

Ce qui pourrait laisser présager une menace sur la biodiversité de certaines espèces endémiques à forte valeur patrimoniale.

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