Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : la dernière page d’un journal

Durant deux mois, fidèle au poste, notre journaliste a raconté le quotidien du confinement au temps du coronavirus. Le déconfinement est là, et l'heure de refermer ce carnet de routes intérieures aussi... Mais jusqu'à quand ?

Quand j’ai ouvert grand les portes fenêtres qui donnent sur le balcon, à peine levée, j’ai vu passer un bus.
Je ne me rappelais plus que les bus passaient dans ma rue.

Des ouvriers montaient un échafaudage dans une ruelle sur la gauche. Le bruit métallique des niveaux que l’on assemble m’a fait grimacer.
J’avais l’impression d’être agressée par le bruit.
J’ai aussitôt refermé les battants vitrés que j’avais pris l’habitude de laisser ouverts aux quatre vents, du matin au soir, durant ce confinement.

Je me suis dit qu’il me faudrait quelques temps avant de me réhabituer aux décibels d’une rue dont j’ai pourtant toujours aimé le ronronnement.
Je crois que je m’étais habituée au presque silence de cette drôle de période.
Mais la vie devait changer, nous étions le lundi 11 mai.
 


Une météo (intérieure ?) contrariée

La météo n’étant pas très bonne, je n’avais même pas honte d’oser me calfeutrer encore un peu.
Mon chat jouait les pachas, couché pattes en l’air sur le canapé, pensant sans doute récupérer l’entière jouissance de son territoire.
Il n’imaginait pas devoir me supporter encore un bon mois.

Bizarrement, la levée du confinement ne me donnait pas pour autant envie de courir me mêler au monde.
J’avais même plutôt besoin de fuir cette réalité qui me rattrapait.

J’ai envoyé un message à Nicolas pour savoir s’il n’avait pas envie de faire le sentier des douaniers à la mi-journée.
Il a répondu «ok » : d’un coup je me suis sentie mieux respirer.
Au moment où j’aurais dû courir vers l’extérieur me réapproprier une certaine liberté, je me trouvais déprimée, des tensions musculaires de la tête aux pieds.
 

J’ai appelé Rose.
Elle télé-travaillait.

Elle m’a dit que Juliette-la-tourterelle était venue la réveiller à 6h50 en chantant, mais ne savait pas si elle continuerait à l’entendre comme avant à cause des bruits de la ville (en reprise de droit direct).
Je me suis demandée, pour ma part, si elle reviendrait tout court.

Si toute cette nature qui avait si bien vécu sans nous n’allait pas déchanter.
l y a des choses pour lesquelles on aurait souhaité un confinement longue durée.

Une fois l’appel terminé, j’ai continué à temporiser entre les quatre murs de mon appartement.
J’ai jeté un œil sur Facebook pour voir ce qui était avancé de la vie extérieure.

J’ai vu le petit film d’un commerçant annonçant la réouverture de sa boutique, version « d’après » : gel désinfectant en premier geste barrière à l’entrée, essayage possible avec nettoyage vapeur assurée avant la remise en rayon, reprise et échange des achats plus compliqués.

Il va falloir s’habituer.
Je comprenais pourquoi, dès le matin, j’avais juste envie que cette nouvelle vie ne me rattrape pas trop vite.

A la mi-journée, j’ai eu «Bree » au téléphone.
Toujours au boulot, toujours à fond dans sa vie (un mari, deux enfants, deux chiens, un chat et les tortues du quartier). Elle m’a expliqué qu’elle aussi avait été assailli par le bruit en partant travailler.

Quand Nicolas m’a rejoint un peu plus tard, il m’a parlé des embouteillages, de la rocade complètement bouchée quand il était sorti pour aller chez le médecin.
Machinalement j’ai pensé, « non, pas maintenant, c’est trop tôt », comme pour me protéger.
Le grand air du côté des Sanguinaires constituait mon échappatoire.
 


La balade du 11 mai (à fêter chaque année ?)

Pour rejoindre la Parata, nous n’avons d’ailleurs pas traversé la ville mais emprunté route de St Antoine élargie après le col (tout se perd).

Je n’avais plus conduit sur une telle distance depuis deux mois !
Nous avons rejoint la route des plages sans croiser personne.

Au niveau du chemin des Eucalyptus, quelques voitures étaient abandonnées en bord de route, signe de la présence de promeneurs, mais seulement un véhicule à l’embranchement du sentier des douaniers.

Dans mon message du matin, j’avais précisé à Nicolas, « on va marcher, même s’il pleut », mais, par chance, le temps s’était levé un peu.
La contrepartie de cette éclaircie était bien sûr le vent qui venait nous fouetter les joues.
Il était aussi vivifiant que bienvenu.

Du monde, nous en avons croisé un peu en revenant, mais quel bonheur de se retrouver dans la nature sans personne (ou presque) à l’aller.
Je crois que plus les paysages défilaient, plus je planais : les Sanguinaires battues par une mer agitée, la nature qui commence à sentir bon le miel et la plage du petit Capo en contrebas avant de rebrousser chemin, le ravissement de cette première journée hors les murs.

Près du petit village que constitue le rassemblement de cabanons et de maisons du petit Capo, et à quelques mètres de la plage, six hommes – de ceux qui avaient confiné (ou décidé de déconfiner) ici -  jouaient tranquillement aux boules.

Loin de l’agitation de la ville, ils semblaient les oubliés bienheureux d’une vie qui avait repris.
Je crois que je serais bien descendue me mêler à leurs conversations joyeuses.

Mais en regardant Nicolas s’étirer, évoquant une tension au niveau du dos, je me suis dit que ce n’était pas une bonne idée.
Mon voisin (mais il est plus que ça aujourd’hui) est privé d’eau, son élément favori, depuis deux mois.
Je sens bien qu’il n’en peut plus, son corps est en souffrance.

Il a même dû renoncer aux apnées à sec ces derniers jours alors qu’il avait progressé durant les premiers temps du confinement.
Descendre si près de la grande bleue n’aurait fait qu’accentuer son envie d’immersion. Nous nous en sommes retournés.
 

En marchant je lui ai dit, « tu te rends compte que nous n’avions jamais fait un si long chemin en extérieur ensemble ».

Il a emménagé en février dans mon immeuble, on nous a présenté, je l’avais invité à manger un soir à la maison avec des amis, mais nous ne connaissions pas avant le confinement.

L’unique bout de trottoir que nous avions parcouru ensemble, avant, est celui qui mène de l’immeuble au garage, un matin, en partant au travail.
Le reste de notre « histoire » nous l’avons vécu dans un huis clos.

Hier soir, nous sommes passés régler les fromages que nous avions commandés à une amie.
En rentrant, avant de l’abandonner à son palier et de rejoindre le mien, un étage au-dessus, j’ai serré Nicolas dans mes bras.

Il y a eu des mots, il y a eu des attentions, il y a eu des silences parfois, entre nous, durant ce confinement, mais il n’y avait jamais eu de gestes tendres.
La réalité du moment ne me volera pas celui-là.

Notre proximité est ailleurs mais bien réelle pourtant.
Avant de me coucher, je lui ai envoyé un petit mot pour le remercier d’avoir partagé ces deux mois avec moi.
Il a répondu, « mais l’aventure n’est pas terminée ! ».
Il a raison, elle ne fait que commencer mais dans la « vie d’après » cette fois (une vie à réinventer de surcroît).

Il est vraiment chouette Nicolas.

 J’ai eu ma mère au téléphone ce matin. Elle qui s’est servie tour à tour du tri sélectif, d’une ordonnance à renouveler, d’un magazine télé à acheter au kiosque, de gambettes à dégourdir et de toutes ces choses qui me faisaient froncer les sourcils, cette rebelle en puissance, devinez ce qu’elle a fait hier, premier jour du déconfinement ?

Bingo, elle est restée à la maison !
Un problème domestique de machine à découpe (de formulaires) qui connaissait un bourrage papier, une excuse capitale au renoncement.

Finalement, au bout de ce confinement, je me trouve un point commun avec ma chère maman : l’esprit de contradiction. Ce morceau de vie ne sera pas venu pour rien, ma mère va pouvoir me reconnaitre comme sa digne fille, ENFIN !

C. 

PS : Parce qu’il faut tourner la page, ce journal s’arrête ici. J’ai reçu beaucoup de messages de personnes que je ne connaissais pas et qui lisaient quotidiennement cette chronique. J’ai pris le temps de répondre à chacun – sauf une fois mais j’ai été trahie par la technique, j’ai eu beau essayer, le message ne passait pas via Messenger ! – mais je voulais vous dire à mon tour merci : c’est bien d’écrire mais c’est encore mieux d’être lu et donc de partager !
Comme a dit Nicolas, « l’aventure n’est pas terminée », elle se poursuivra autrement ! Il y a du lien social à créer pour affronter la suite. A bientôt, donc…
 
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