Leila Shahid n'a jamais vécu en Palestine, mais elle porte depuis toujours la voix de ce peuple sur le devant de la scène internationale. À l'origine de son engagement, les souvenirs que sa mère lui a transmis dans son enfance. Leila a accepté de les partager dans le documentaire "Mémoires de Palestine". Un témoignage inédit, illustré par des archives personnelles. Un éclairage particulier sur l'histoire du peuple palestinien alors que Gaza est en guerre depuis le 7 octobre 2023. À découvrir ce mardi 6 février à 21h40 sur ViaStella.

Les souvenirs d'une famille, la mémoire d'un peuple

Tout a commencé par une histoire de visa ! Dans les années 1990, Sirine Husseini Shahid, mère de Leila Shahid, est à Londres pour l'organisation d'une exposition sur les costumes palestiniens. Elle se rend au Ministère de l'intérieur britannique pour retirer une carte de séjour. Ce papier mentionne qu'elle est née en 1920 à Jérusalem... en Israël ! Anachronisme, car l'Etat d'Israël a été créé en 1948. Atterrée, elle déchire le document et appelle sa fille en pleurs. Un mois plus tard, Leila reçoit un appel de sa mère qui revient sur l'anecdote et lui dit ceci : "C'est notre faute, car nous ne leur avons pas raconté ce qu'il y avait avant qu'ils n'arrivent". Sirine entreprend alors l'écriture du livre "Souvenirs de Jérusalem", une incursion dans la vie quotidienne d'une famille palestinienne, sa famille. Elle y décrit les jours heureux, l'exil vers le Liban en 1936, le sort des classes modestes restés en Palestine et la mise en place de la résistance dans les années 40. Ces souvenirs, Leila Shahid les a entendus dès son enfance. Ils constituent à la fois le point de départ et la trame du témoignage qu'elle livre dans le documentaire "Mémoires de Palestine". Elle évoque aussi pour la première fois et avec émotion l'implication des membres de sa famille dans le destin de la Palestine. Comme l'histoire du cousin Sami, qui a lutté contre le colonialisme britannique en 1936 et que Sirine décrit comme le premier fedayin. 

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En regardant une photo de famille des années 30, Leila Shahid se souvient de la tragique histoire du cousin Sami. Un jeune homme engagé contre le colonialisme britannique... ©France 3 Corse ViaStella

Un témoignage sur 100 ans d'histoire…

La lecture des passages du livre de Sirine, les photos de famille, les archives vidéo et le témoignage vivant de Leila Shahid nous font basculer à travers les époques et les événements qui ont émaillé l'histoire de la Palestine. À chaque étape de la Grande Histoire, il y a un récit à hauteur d'hommes, porté par un membre de la famille de Leila Shahid ou par Leila Shahid elle-même. Leur engagement n'est pas que politique, il est aussi et surtout humaniste. Le 14 mai 1948, la création de l'Etat d'Israël déclenche une guerre et l'exode de 800.000 Palestiniens vers des camps de réfugiés dans les pays arabes voisins. À cette époque, la mère de Leila, qui vit à Beyrouth, organise l'aide humanitaire et son oncle Moussa crée une ferme à Jéricho en Cisjordanie pour accueillir les paysans chassés de leurs terres par les colons juifs. 

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En 1949, Moussa al-Alami, l'oncle de Leila Shahid crée une ferme en Cisjordanie pour accueillir les paysans palestiniens chassés de leur terre suite à la création de l'Etat d'Israël ©France 3 Corse ViaStella

"La Palestine ne peut pas être résumée à un conflit politique"

Toutes ces histoires ont nourri Leila Shahid. Militante depuis ses 18 ans, âge auquel elle a rejoint le Fatah (mouvement de libération de la Palestine) de Yasser Arafat, elle a choisi de défendre la Palestine en embrassant une carrière de diplomate. Elle fut Déléguée Générale de la Palestine en France de 1993 à 2005, puis ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne de 2005 à 2015. Ce n'est qu'en 1996, qu'elle foule pour la première fois le sol de Jérusalem, berceau de sa famille, lors d'une visite officielle du Président Chirac. Aujourd'hui, dégagée de tout mandat politique, elle vit entre Beyrouth et la France. À 75 ans, son engagement n'a pas pris une ride ! Pour elle, "Jérusalem était une ville universelle et doit rester une ville universelle. Moi je ne veux pas qu'elle soit la capitale de la Palestine, je veux qu'elle soit une ville ouverte pour tous, c'est ça sa vocation". 

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Pour Leila Shahid, la Palestine ne se résume pas à un conflit politique. Son histoire est plus proche d'une tragédie grecque... ©France 3 Corse ViaStella

"Rappeler que la Palestine est un peuple comme un autre" Interview de Serge Le Péron, réalisateur du documentaire "Mémoires de Palestine".

Depuis près de 50 ans, le réalisateur et scénariste français Serge Le Péron a tourné de nombreux documentaires et films de cinéma consacrés à l'engagement politique, dont Laisse Béton (1984) et J’ai vu tuer Ben Barka (2005). Passionné par le 7e Art, il a par ailleurs collaboré pendant 10 ans avec la revue "Les Cahiers du Cinéma".

 Racontez-nous l'histoire de la genèse de ce documentaire et comment vous avez réussi à convaincre Leila Shahid de se livrer si intimement ?

Je connais Leila Shahid depuis 30 ans. Nous nous sommes rencontrés au milieu des années 70 alors que je venais de participer à la réalisation de "L’Olivier", un documentaire consacré aux causes et au développement du conflit israélo-palestinien. À cette époque, Leila était Présidente de l’Union des étudiants palestiniens en France. Depuis, je l’ai toujours suivi et j’ai participé avec elle à de nombreuses manifestations culturelles entre le monde Arabe et l’Europe.
En 2019, Leila Shahid me fait parvenir "Souvenirs de Jérusalem", la réédition en français du livre écrit par sa mère. Un ouvrage retraçant les souvenirs de la vie de Sirine Husseini Shahid à Jérusalem entre les deux guerres mondiales. C’est là que m’est venue l’idée de faire ce documentaire et je lui ai proposé. Au début, Leila ne voulait pas, elle avait refusé beaucoup de propositions à ce sujet d’ailleurs. Mais le fait de retrouver les souvenirs de sa mère, qui sont devenus les siens, l’a convaincue.

Pourquoi avoir choisi d’utiliser les souvenirs de la famille de Leila Shahid pour parler de la Palestine ?

Les souvenirs, c’est mieux que la mémoire parce que c’est incarné ! On les porte et quand on disparaît, ils disparaissent avec nous. Ça aurait pu être n’importe quelle famille palestinienne, mais celle de Leila Shahid a une résonance particulière avec les événements que nous connaissons tous. Parce que chacun de ses membres a eu une vie très remplie à Jérusalem et en Palestine. Un arrière-grand-père, maire de la ville Sainte et député au parlement ottoman, un grand-père et un oncle qui ont lutté contre l’occupation britannique et ont représenté leur pays sur la scène internationale (à Londres en 1939, puis à l’ONU en 1948), une mère qui s’est engagée politiquement et enfin Leila qui a passé sa vie à porter la voix de la Palestine aux quatre coins du monde. Aussi parce que cette famille de notable possède des photographies de la vie quotidienne, ce qui était très rare à l’époque.

La Palestine est toujours évoquée sous l'angle de l'actualité liée au conflit qui l'oppose à Israël. Vous avez choisi de parler des souvenirs d'une famille pour retracer l'histoire de ce pays. Pourquoi cet angle ?

C’est vrai, on a toujours tendance à parler de la Palestine sous l’angle du conflit. À l’époque où j’ai commencé à tourner ce documentaire, en octobre 2022, on ne parlait plus de la question palestinienne. Elle n’était plus évoquée. Il me paraissait important de se souvenir de l’histoire, de redonner aux Palestiniens l’image d’un peuple comme un autre. Un peuple, avec ses paysans, ses commerçants, ses élites bourgeoises, qui vivait normalement et cohabitait en bonne intelligence avec différentes communautés. Avant 1936, Jérusalem, qui signifie ville de la paix en hébreu, était une ville cosmopolite. J’ai voulu montrer qu’on pouvait raconter la Palestine en dehors des drames qui ont émaillé son histoire au 20e siècle. Alors oui, on ne peut pas occulter ces événements, mais on les perçoit avec le point de vue de ceux qui les ont vécus quotidiennement.

Une manière aussi de rappeler le rôle et l'engagement des femmes dans la société palestinienne ?  

Oui en effet. Il y a un passage bouleversant dans le documentaire où Leila Shahid raconte les derniers moments de vie de sa mère en 2008. Alors qu’elle était très affaiblie, Leila lui lisait l’édition fraîchement publiée en Arabe de son livre « Souvenirs de Jérusalem ». Et c’est là, qu’elle s’est aperçue que chaque chapitre de l’ouvrage mettait en avant les actions de résistance d’une femme de sa famille, ces héroïnes du quotidien, engagées politiquement. Tout un pan de la lutte palestinienne que l’Histoire a ignoré. Le livre de Sirine Husseini Shahid rétablit une vérité historique.

📺📲💻 "Mémoires de Palestine", un documentaire réalisé par Serge Le Péron, à voir mardi 6 février à 21h40 sur ViaStella et en replay sur France.tv

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