Pierre Chaubon : un homme discret et influent

Pierre Chaubon vient de disparaître à l’âge de 67 ans au terme d’une vie politique aussi courte que dense, par la multitude d’événements auxquels il a pris part. Des discussions à l’Assemblée de Corse aux pourparlers de Matignon, il a été souvent au cœur du débat.

Bien peu de gens en Corse, y compris dans la classe politique, étaient capables, avant 1999, de mettre un visage sur le nom de Pierre Chaubon.

Bien que maire de la petite commune de Nonza depuis 17 ans et Président de la communauté des communes du Cap depuis 1995, il restait d’une discrétion exemplaire, peut-être moins par choix que par caractère.

Pourtant la politique l’a toujours intéressé, puisque c’est dès l'âge de 27 ans qu’il devient premier magistrat de sa commune. 
 

 

Une carrière dans la haute fonction publique

Une élection locale qui ne va pas interférer dans sa vie professionnelle puisque, devenu haut fonctionnaire, il entamera une longue carrière au sein des cabinets ministériels en tant que conseiller technique.

Au ministère de l’environnement d’abord, et jusqu’aux Affaires étrangères avec Roland Dumas en passant par le Tourisme ou la Coopération.

En 1998, il quitte les ministères pour entrer au Conseil d’Etat en tant que Maître des requêtes.
Dans le même temps, il franchit une étape sur le plan politique.
Le maire de la petite commune rurale est candidat aux élections territoriales sur la liste d’union de la Gauche menée par Emile Zuccarelli.
Des élections vont se dérouler dans un contexte de grande tension, quelques semaines après l’assassinat du Préfet Erignac.
 

Une entrée en politique dans un contexte particulier

La politique intéresse Pierre Chaubon au plus haut point, et depuis un moment déjà.
Quelques années auparavant, en 1990 il a participé à un groupe de réflexion informel avec l’universitaire Claude Olivesi, rejoint plus tard par Michel Beveraggi, secrétaire de la CFDT, et Jean-Paul Calendini, ancien militant nationaliste.
 


Ils ont suivi avec beaucoup d’intérêt l’élaboration du projet de Pierre Joxe pour la Corse.
Pierre Chaubon sait par ailleurs que l’action locale – qui plus est dans une petite commune – est très limitée si elle n’a pas un relais territorial.

Homme de gauche, il ne s’en est jamais caché, Pierre Chaubon rejoint donc Emile Zuccarelli dans sa démarche d’union mais on ne reconnaît ni ses compétences ni son utilité électorale.
Il se retrouve donc à une place... non éligible.

Mais le destin va lui sourire.
Les élections sont annulées pour fraude manifeste et l’année suivante il est élu à l’Assemblée Territoriale sur la liste de Simon Renucci, avec qui il est lié depuis 1995.
Les moments que vit la Corse sont alors tourmentés, violents mais aussi bouillonnants sur le plan politique et bientôt institutionnel, domaine de prédilection du conseiller d’Etat.
 

Matignon : un processus à sa mesure

Après l’assassinat d’un Préfet et l’embastillement de son successeur, incendiaire de paillottes, l’urgence est au dialogue et au rétablissement d’une certaine normalité.
Lionel Jospin, alors Premier ministre, prendra la mesure des choses et entamera une démarche politique qui restera dans l’histoire sous le vocable de « Processus de Matignon ».

Pierre Chaubon y trouvera là un rôle à sa mesure.
Conseiller d’Etat, il a quelques entrées à Paris dans les sphères du pouvoir.
Il connaît bien Olivier Schrameck avec qui il a travaillé, et qui est alors directeur de cabinet de Lionel Jospin, ainsi que le conseiller Alain Christnacht.
 

Côté corse, les choses vont être plus difficiles.
Il faut composer avec une classe politique très divisée, dont les intérêts sont opposés, et le clivage politique semble quasiment insurmontable.

Pierre Chaubon est un homme de l’Etat, il l’assume.
Conseiller d’Etat, il est au cœur de la structure administrative française caractérisée par son jacobinisme et son interprétation stricte des lois et règlements.

Il est aussi un élu corse, progressiste, qui connaît les pesanteurs du système politique local et qui sait qu’il doit évoluer, sous peine de se voir balayé par la vague nationaliste.
Il se méfie de ces derniers mais aussi des « corsistes » dont il craint les compromissions...
 
Il va donc s’opposer dans un premier temps aux « évolutionnistes » partisans d’un pouvoir législatif de plein droit et à l’élargissement des domaines de compétences de la Collectivité de Corse.
En revanche il est favorable à une simplification visant à la suppression des départements et l’instauration d’une collectivité unique.

Mais on arrive vite à une situation de blocage.
Le rejet de la motion dite « évolutionniste » par 26 conseillers sur 51 le 10 mars 2000 fait rejaillir l’éternel clivage et planer la menace d’un retour à la violence...

Pierre Chaubon, avec d’autres responsables de toutes tendances, entamera alors une démarche de réconciliation en allant voir les élus corses et nationaux, les conseillers du Premier Ministre et même ceux, ou plutôt celui, de Jacques Chirac, Maurice Ulrich.

Les tensions sont surmontées, les points de vue rapprochés, pour aboutir à un vote massif en faveur d’une évolution institutionnelle majeure en juillet 2001.
 
 

Un rôle politique pas vraiment reconnu

Cette réussite, qui n’aboutira que partiellement pour cause de défaite présidentielle, ne profitera pas à l’élu capicursinu...
Certes il continuera à œuvrer au sein de l’hémicycle en faveur d’un compromis, soutiendra le référendum de 2003 pour la création d’une collectivité unique, mais il sera assez vite confronté à des problèmes politiques au sein de Corse Social Démocrate, des problèmes qu’il n’imaginait sans doute pas...

Jalousie due à son rôle dans le processus, stratégie différente de celle de Simon Renucci, poids politique trop important ?

La crise va éclater lors d’une assemblée générale du mouvement en 2005. Violemment pris à partie par les partisans de Simon Renucci, lui et ses amis, Mimi Allegrini-Simonetti et François Xavier Marchioni, élus du groupe, sont exclus pour avoir entamé un rapprochement avec l’intergroupe de Jean Claude Guazzelli.

La rupture est définitive, Pierre Chaubon en sortira meurtri.
 

Dès lors un ressort s’est cassé.
En 2010 il rejoindra Paul Giacobbi et reprendra son travail à la tête de la commission des compétences législatives.
Il produira un travail reconnu par tous, architecture de la future collectivité unique, mais là encore il ne sera guère récompensé de ses loyaux services.

Ni place à l’Exécutif, ni fauteuil de Président de l’Assemblée.
Il n’entre dans aucune des catégories nécessaires : pas de poids électoral, pas d’influence politiques...

En 2017, avec la victoire des nationalistes et la mise en place de la Collectivité unique, il aurait aimé une reconnaissance à la tête de la Chambre des Territoires, mais il n’a eu aucun retour de la majorité nationaliste.

Pierre Chaubon aura traversé le monde politique insulaire en y apportant son sens du dialogue, sa compétence et son progressisme, mais aussi une certaine naïveté...


 
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