Pietrosella : la commune adopte le bail réel solidaire

Jeudi 17 février, le conseil municipal de Pietrosella a voté à l’unanimité la mise en place d’un bail réel solidaire (BRS). "C'est le premier d'initiative communale en Corse", précise le maire Jean-Baptiste Luccioni. Il explique pourquoi sa commune a adopté ce dispositif limitant la spéculation.

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Conçu pour favoriser l'accession à la propriété en résidence principale dans des zones tendues, le bail réel solidaire (BRS) dissocie le foncier du bâti. En résumé : une personne est propriétaire de sa maison ou de son appartement à un prix en-dessous du marché mais reste locataire de son terrain.

Ce jeudi, le conseil municipal de Pietrosella voté à l'unanimité la mise en place de ce dispositif. "En termes d'initiative communale, c'est le premier en Corse, précise Jean-Baptiste Luccioni, maire depuis 2001 de la commune de la rive sud du golfe d'Ajaccio. On va donc créer un organisme de foncier solidaire (OFS) à Pietrosella destiné à la mise en oeuvre du bail réel solidaire. Cela fait près d'un an et demi que nous travaillons dessus. Pour nous, l'objectif est que personne ne soit exclu de l’accession à la propriété."

Ancien conseiller territorial à l'Assemblée de Corse sous la mandature de Paul Giacobbi (entre 2010 et 2015), l'édile divers gauche revient sur la création de cet "outil technique qui permet d'éviter la spéculation".

Jean-Baptiste Luccioni est maire de Pietrosella depuis 2001. © FTV

France 3 Corse ViaStella : Ce jeudi, le conseil municipal de Pietrosella a adopté la mise en place d'un bail réel solidaire (BRS). Qu’en est-il exactement ? 

Jean-Baptiste Luccioni : C’est un bail créé grâce à la loi ALUR (Accès au Logement et Urbanisme Rénové) votée en 2014. Il permet quelque chose de nouveau en termes de droit mais surtout en termes d’habitude en France car il sépare le foncier du logement. Avec le bail réel solidaire, il y a un avantage  : les personnes éligibles, selon leurs ressources, sont propriétaires de leur logement mais ne sont jamais propriétaires du foncier.

Cela signifie que le terrain sur lequel se trouve leur habitation ne leur appartient pas  ?  

Exactement. La contrepartie, qui est importante et intéressante, je pense, à l’échelle de notre commune mais aussi au niveau de la Corse et au-delà, c’est que s’il y a besoin de transmettre le bien pour une quelconque raison, il ne peut y avoir de plus-value sur la vente. Le terrain appartient à l’organisme de foncier solidaire (OFS). En étant propriétaire du foncier, cela permet d’encadrer le prix du marché. Par conséquent, les preneurs disposeront d'un bail de location pour le terrain car ils n’en sont pas propriétaires. Quant au prix des logements, il est limité par les plafonds sociaux. En ne payant que le bâti, le coût d'achat est forcément moins cher.

Comment se présente le dispositif ? Peut-on louer un bien ou doit-on forcément l'acheter ?

Il y a plusieurs options. Certains logements pourront faire partie de constructions réalisées directement par l’organisme de foncier solidaire (OFS) et seront mis à disposition sous forme de bail. La commune louera le logement. Sur ces mêmes constructions, elle pourra faire également de l’accession à la propriété. Les personnes sont propriétaires de leur appartement mais le terrain reste toujours communal. Cela peut aussi prendre la forme d'un lotissement : la commune acquiert un terrain, réalise toute la partie voirie et met à disposition les logements toujours sous forme de bail réel solidaire. Après, le preneur choisit de construire son bien et en a alors l'obligation. Il y a donc plusieurs possibilités  : soit une location simple, soit une accession à la propriété dans un appartement, soit une accession à la propriété sur un terrain dans un lotissement.

La commune pourra acquérir des logements déjà existants et les passer en bail réel solidaire.

Jean-Baptiste Luccioni

En cas de location d'un logement, celle-ci donne-t-elle le droit à une priorité sur l’achat du bien  ?  

Si demain l’organisme de foncier solidaire décide de vendre, le locataire a priorité pour l’achat. Autre point important  : si l'on est propriétaire d'un logement en BRS et que l'on doit s'en séparer, l’OFS peut se porter acquéreur. La mairie le rachète et peut le revendre dans les mêmes conditions à une famille équivalente. Cela donne donc des droits au preneur. Il peut à tout moment disposer de son bien si les choses de la vie font qu’il doit s’en séparer. Et s’il n’arrive pas lui-même à trouver un acheteur, celui-ci sera l’OFS qui lui rachètera au prix investi, car il n'y a ni plus-value ni spéculation et les familles ne perdront pas d’argent.

Ce bail réel solidaire peut-il s'appliquer sur des logements déjà existants  ?  

Dans le cadre de son OFS, la commune pourra acquérir des logements déjà existants et les passer en bail réel solidaire. Elle pourra les acquérir via un contrat avec un promoteur dans le cadre des Véfa (Vente en état futur d’achèvement). Elle pourra elle-même les construire pour arriver jusqu’à leur mise à disposition. Il y a donc trois possibilités par rapport à l’acquisition de ces logements ou à leur construction : une accession à la propriété avec construction par le preneur du bail, une accession à la propriété par construction de l’organisme de foncier solidaire et une location de l’habitat à l’OFS.  

Comment financez-vous ce dispositif ? 

Une partie est issue de la location des terrains puisque l’OFS va les louer aux différents preneurs. Cet organisme est éligible à des prêts à très long terme, entre 50 et 80 ans. Il est aussi éligible à des subventions. Cela veut-dire que le coût du foncier devient minime par rapport à la partie remboursement d’emprunt ou de loyer. Cela permet le cofinancement à travers des rentrées d’argent provenant des preneurs d'une part et de subventions que l’on pourrait obtenir de l’État ou de la Collectivité de Corse de l'autre. Les prêts à long terme permettent aussi de lisser sur de longues années l’impact foncier qui devient alors négligeable. Cela permet donc de pouvoir proposer ce type de logements à des personnes qui, aujourd’hui, en sont exclues.

Posée sur la rive sud du golfe d'Ajaccio, la commune de Pietrosella compte près de 1950 habitants et s'étend sur plus de 35 kilomètres carrés. © FTV

Votre commune est l’une des plus chères de l’île en termes d’immobilier. En optant pour le bail réel solidaire, elle pourra donc accueillir des personnes en résidence principale qui n’ont pas forcément les moyens d’y habiter et, surtout, d’y acheter... 

Avec cet outil, notre intérêt est de permettre à des gens qui, théoriquement, ne pourraient pas s’installer là d’accéder à la propriété et de vivre dans des logements qui sont à destination du plus grand nombre. Au niveau national, nous sommes la 133 ème commune la plus chère de France en termes de prix du mètre carré. Les coûts excluent donc une partie de la population sur le plan financier mais aussi générationnel, car ce sont souvent des jeunes couples ayant peu de moyens qui souhaitent s’installer. Ce BRS  permet, sur des territoires tendus comme Pietrosella, de répondre à cette double exclusion tout en ayant un garde-fou extrêmement important : en cas de revente, il y a cette clause d’anti-spéculation qui rend la plus-value impossible.  

Pietrosella compte environ 1950 habitants. Quel serait le pourcentage de personnes éligibles à ces logements ?  

On n’a pas travaillé si loin. En revanche, on a lancé une opération de création d'un lotissement communal il y a quelque temps. Elle est en cours et pourrait être transférée à l’organisme de foncier solidaire. Le permis d’aménager comprend 62 lots. Actuellement, on a un peu moins de 700 demandes sur ce projet-là. De la même façon, un opérateur social a fait une opération de 54 appartements sur la commune. En ce moment, ils ont encore 49 dossiers éligibles. Avec ce BRS, on sait donc que l’on va toucher beaucoup de gens et beaucoup de familles de la commune mais aussi du bassin de vie ajaccien. En Corse, on sait que 75% de la population est éligible au logement social.

Honnêtement, je crois très moyennement au fait que la proposition de loi sur la spéculation immobilière puisse avoir des effets concrets.

Jean-Baptiste Luccioni

Sur votre commune, on compte plus de 50% de résidences secondaires. Ce dispositif pourrait-il en limiter la construction ?  

Aujourd’hui, légalement et réglementairement, on n’a pas ce moyen d’agir pour les limiter. Récemment, les députés nationalistes ont fait une proposition de loi au niveau national afin d’essayer de réguler le marché. Je pense qu’il n’y a que le politique qui pourra le réguler. À titre d’exemple, à Pietrosella, on a fait un PLU en 2007 et on va d'ailleurs lancer sa révision. À l’époque, avec le bureau d’étude,  on s’est aperçu qu’en ouvrant beaucoup de terrains à l’urbanisation on pourrait réguler le marché. L’offre étant supérieure à la demande, le marché se régulerait. Or, pas du tout. Au contraire. J’ai conscience qu’aujourd’hui le marché ne se régulera pas tout seul. Le bail réel solidaire n'aidera malheureusement qu’un tout petit peu à réduire la part de résidences secondaires. En revanche, il faut une volonté politique pour y arriver.  

Vous évoquiez la proposition de loi récemment présentée par le député nationaliste Jean-Félix Acquaviva à l’Assemblée nationale. Peut-elle, selon vous, avoir un véritable effet sur le foncier ? 

Honnêtement, je crois très moyennement au fait qu'elle puisse avoir des effets concrets. Même si c’est compliqué juridiquement, je crois en revanche davantage à ce qu’on avait pu porter à l’Assemblée de Corse entre 2010 et 2015  : le statut de résident. De façon pragmatique, si on  pouvait changer le code de l’urbanisme, il serait bien que les communes qui élaborent un PLU aient la possibilité de zoner des espaces réservés à l’habitat permanent et donc à la résidence principale. Aujourd’hui, ce n’est pas possible. On peut réserver des espaces pour faire de l’habitat mais on ne peut pas être aussi précis concernant la résidence principale. 

Ce bail réel solidaire n’est-il pas, en quelque sorte, un ersatz du statut de résident que vous avez soutenu  ? 

C’est une réponse technique à une problématique politique. Aujourd’hui, je considère que la Corse, comme d’autres régions en France et ailleurs, est soumise à une contrainte liée à l’attractivité du territoire. Des gens y viennent et tant mieux, mais ils ont des moyens bien plus importants que ceux qui y vivent. Par conséquent, au fur et à mesure, on crée une exclusion sociale et générationnelle. La réponse politique que l’on avait trouvée à l’époque était de créer quelque chose pour que les gens qui vivent ici aient les moyens de continuer à pouvoir le faire.  Le statut de résident permanent était cette réponse. Aujourd’hui, l’OFS que l’on va créer à Pietrosella peut être une réponse technique. Pour autant, celle-ci est partielle car elle ne répond pas à la totalité du problème qui est politique. 

À Pietrosella, quand est-ce que les premiers logements en BRS seront-ils disponibles ?

Si tout se passe bien, les statuts de l’OFS pourraient être arrêtés fin mai en préfecture. Dans la foulée, les premières opérations pourraient être transmises. Actuellement, on a deux permis de construire en cours et un permis d’aménager. Sur la commune, 10 logements communaux existent déjà. 41 autres logements sont en cours de construction et pourraient passer en organisme de foncier solidaire. A minima, cela fait déjà 51 logements susceptibles de devenir bail réel solidaire. D’ici trois ans, on pourrait en avoir une centaine sur la commune. À très court terme, on peut donc apporter une vraie réponse à pas mal de gens.

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