Sécheresse en Corse : les pluies “trop tardives” d’avril n’auront “pas de conséquences sur le niveau des nappes phréatiques”

Les précipitations du mois d’avril, en Corse, auraient pu laisser penser à une recharge des nappes phréatiques et avec elle l’éloignement d’une éventuelle sécheresse. “Trop tard”, selon l’ingénieur-hydrologue Jean-José Ferracci-Ceccaldi. Il répond aux questions de France 3 Corse ViaStella.

De la pluie et de la neige au mois d’avril. En Corse, ces phénomènes météorologiques, auraient pu laisser croire à un éloignement des risques de sécheresse. La réalité est toute autre selon l’ingénieur-hydrologue, Jean-José Ferraci-Ceccaldi. Il répond aux questions de France 3 Corse ViaStella.  

Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement des nappes phréatiques ?  

Il y a plusieurs types de nappes. Dans le cas présent, nous sommes dans un milieu granitique, donc ce sont ce qu’on appelle des nappes de fissures. Ce sont les nappes les plus complexes, l’eau s’infiltre et circule dans des réseaux de fissures plus ou moins fins. Il existe aussi les nappes alluviales, les nappes karstiques qui sont dans les milieux calcaires, là ce ne sont pas des petites fissures, mais carrément des canyons, des siphon, des grottes, ça n’a rien à voir. Ce sont les trois types de nappes qui peuvent exister.  

S’il n’y a pas assez de pluie et si les nappes ne sont pas alimentées, la source ne coule plus...

Une nappe pour être alimentée, ça peut prendre des années. Plusieurs années, voire des dizaines d’année, ou encore plus... Donc s’il y a un déficit d’eau pour alimenter ces nappes, au fur et à mesure, elles vont diminuer et pour les réalimenter ça prend énormément de temps.  

Le phénomène pluvieux du mois d’avril ne changera donc rien aux conséquences de cet été ?  

Non, parce que ces pluies sont trop tardives. Il aurait fallu alimenter les nappes en automne, un peu au printemps. Mais je ne pense pas que les pluies du printemps soient suffisantes. Les pluies les plus importantes sont celles de l’automne et évidemment de l’hiver.  

Certaines sources ne coulent déjà plus. Êtes-vous pessimistes pour l’avenir ?  

Oui. Parce qu’il y a plusieurs types de sécheresse. La sécheresse climatique, météorologique, que tout le monde connaît ; la sécheresse hydrologique, les cours d’eau qui ne se réalimentent plus, ils coulent de moins en moins et disparaissent de plus en plus ; la sécheresse agricole que les gens connaissent le plus souvent parce qu’on en parle beaucoup à la télévision.  

Et il y a une autre sécheresse dont on ne parle jamais, la sécheresse hydrogéologique, c’est-à-dire la sécheresse des eaux souterraines. Donc si au départ, en amont, il y a un déficit d’eau, c’est sûr qu’in fine les nappes seront de plus en plus touchées. Étant donné que le changement climatique entraîne un changement des températures et qu’elles vont augmenter, les épisodes pluvieux vont être de plus en plus violent. Donc les eaux vont avoir de plus en plus de mal à s’infiltrer dans le sol et les nappes s’alimenteront de moins en moins. C’est là où est le danger.  

Vous disiez qu’il faudrait plus surveiller les nappes phréatiques, comment le faire ?  

Je pense qu’il faudra être plus vigilant et surveiller de mieux en mieux les nappes souterraines et les eaux superficielles pour essayer de limiter les dégâts et de prévoir les déficits en eau et les gérer beaucoup mieux.  

On peut surveiller le niveau des nappes en mesurant le niveau piézométrique de la nappe, c’est-à-dire où se trouve l’eau dans le forage. Si on voit qu’il y a une chute grave, il faudra faire attention. Ça commence à se faire, le BRGM le fait, mais il faudra le faire de plus en plus pour mieux prévoir l’arrivée d’une éventuelle sécheresse.  

Y a-t-il des solutions pour récupérer plus d’eau ?  

Les gros barrages ne sont pas la solution, parce que cela engendre trop d’impacts en aval. Les retenues collinaires sont à la mode, mais on ne sait pas encore ce qu’on met derrière ce mot-là. Parce que ça dépend des contextes géologiques, des contextes hydrogéologiques. Il faudrait donc que ce soient des petites unités qui n’aient pas d’impact en aval. C’est à étudier, mais il ne faut pas faire de bêtises.  

Que peut-on essayer de faire autres que les barrages et les retenues collinaires ?  

Il y a les forages, mais il faut être prudent là aussi, parce que tout le monde fait son petit trou. C’est dangereux et je le dénonce depuis des années, mais la législation est très complexe parce que ça remet en cause la notion de propriété privée. Aujourd’hui un particulier a le droit de faire un trou sur son propre terrain, parce que le sous-sol lui appartient. Mais on sait très bien comment fonctionnent les nappes, l’eau qui est sur une parcelle ne va pas y rester parce qu’il y a des fissures et ça alimente d’autres fissures.  

L’eau étant un bien commun, si on pompe à un endroit, on prive les autres d’eau et c’est catastrophique. Je le dénonce, mais malheureusement, la législation freine tout ça. L’idéal serait, et je ne vais pas me faire aimer, d’interdire les particuliers de faire des forages privés. Je pense qu’à un moment donné, on va être obligé d’y arriver. Des forages oui pour alimenter en eau potable des populations, mais les privés, aujourd’hui, c’est une aberration.   

Le reportage de Stéphane Poli et Mathias Landry :

durée de la vidéo : 00h02mn12s
S.POLI ; M.LANDRY. ©France Télévisions

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